Poche
Parution Juin 2020
ISBN 978-2-88927-764-3
304 pages
Format: 105x165 mm
Disponible

Introduction de Rudolf Mahrer

C. F. Ramuz

Posés les uns à côté des autres

Petite bibliothèque ramuzienne
Parution Juin 2020
ISBN 978-2-88927-764-3
304 pages
Format: 105x165 mm

Introduction de Rudolf Mahrer

Résumé

Inédit du vivant de Ramuz, Posés les uns à côté des autres est son roman le plus personnel. Il y dépeint les voisins de son village, qui s’y entrecroisent sans qu’ils ne se comprennent ni se connaissent jamais. Cette séparation des êtres entre eux, « posés les uns à côté des autres », est à l’origine de la solitude tragique des personnages ramuziens. Elle contraste ici avec la beauté bouleversante du lac et de la montagne.

 

Auteur

C. F. Ramuz

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n’est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Dans les médias

« Posés les uns à côté des autres n’a jamais été publié du vivant de Ramuz. Une édition de poche sortie chez Zoé met en lumière ce roman de l’incompréhension et de l’incommunicabilité. Une merveille.

Très personnel, il est balayé d’un souffle magnifique, d’une profonde mélancolie dans sa description de l’incompréhension qui règne dans cette petite communauté. Qui est celle de toute l’humanité, évidemment. (…) Ramuz décrit ce bourg fermé sur lui-même avec la puissance d’une langue-geste qu’il n’a cessé de revendiquer. Opposée à la langue-signe, elle vibre de sa propre énergie pour coller à la rude réalité de ce monde terrien. Cette langue qu’il empoigne et triture, on aurait tort de la prendre pour purement régionaliste ou simplement orale, même si elle en emprunte des traits. (…) Il n’est évidemment pas question de folklore, mais d’un ancrage local qui n’empêche jamais l’universalité du propos. » Eric Bulliard

« Inédit du vivant de Ramuz, ce livre âpre parle de la séparation tragique des êtres, posés les uns à coté des autres, qui se croisent mais ne se connaissent ni ne se comprennent. D’origine extérieure, l’altération ronge les individus de l’intérieur. « Est-ce qu’on se réconciliera jamais avec soi-même ? » questionne Ramuz. Un roman des plus troublants… » Guillaume Lebaudy

« Le texte qui ouvre ce vrai faux recueil est un bijou de concision et d’efficacité. Tout est dit dans un silence sonore, je veux dire que l’on entend tous les petits bruits que le personnage ne provoque pas. »
Une chronique de Noé Gaillard à lire en entier ici

« On ne maudira jamais assez la cruauté de la postérité. Le grand Charles Ferdinand Ramuz en est une des plus tristes illustrations. Saluons donc la maison Zoé qui poursuit la réédition en poche de son œuvre de subtil prosateur, quinze ans après son entrée dans « La Pléiade ». Cette fois, c'est un roman sur la séparation, écrit au soir de sa vie, en 1943, qui nous plonge dans l'univers rural de sa bourgade de Pully, dans le canton de Vaud, entre lac et montagne, avec sa placette, véritable « chambre à ciel ouvert ». Au centre de cette succession de scènes, le personnage d'Adrienne Parisod, et la traversée des apparences, des drames. De son temps, Ramuz fut salué par Giono, admiré par Zweig qui louait « la banalité du quotidien transfigurée, éternisée, par l'intensité de l'artiste. Et puis le don de rendre la simplicité sublime et le sublime simple (…) cet équilibre entre l’art raffiné et la force primitive. » A l'heure où abondent les romans frelatés sur un idyllique « retour à la terre », voilà un retour aux sources bien salutaire. » Thierry Clermont

 

Coups de cœur

« Ramuz, c'est la beauté, la simplicité, la langue toujours au plus près des émotions. Un auteur classique du début du XXe siècle à découvrir absolument ! »

« Il est juste parfait, comme un objet emblématique, de ce qui fait le coeur et la joie de notre métier: vous faire connaître, hors des sentiers battus, des textes d'une beauté éternelle. »

Extrait

1

 

Menétrey avait attendu que tout le monde fût endormi dans la maison, c’est-à-dire trois personnes, sa fille, son gendre, et son petit-fils ; il avait été bien raisonnable. Il avait fait tout ce qu’il avait pu pour ne pas déranger son monde et que tout fût en ordre dans sa chambre, où ses habits étaient soigneusement pliés sur une chaise, comme toujours. Et il avait laissé sur la table un mot de billet : c’est pour leur épargner des ennuis quand la justice viendra.

Il ne s’y plaignait de rien, assurant au contraire qu’il se donnait la mort de son plein gré ; « mais je me fais vieux, disait-il, j’ai septante-quatre, j’ai fait mon temps et puis je ne suis plus solide sur mes jambes ; alors, comme je ne vais plus pouvoir travailler… »

C’était un papier à lettres, quadrillé de violet, qu’il avait plié en deux et il avait posé dessus sa vieille montre d’argent à chaîne de nickel.

Il avait fait tout doucement, il était en chemise, il avait des chaussettes de coton rose. Il marchait sur ses chaussettes.

C’était un peu après minuit, à l’heure de la nuit qui est la plus silencieuse et où le sommeil est le plus profond ; il a pu ouvrir sa porte et pousser jusqu’à la cuisine sans être entendu.

Personne ne s’était réveillé, personne ne s’occupait de lui, personne ne pensait à lui, il n’existait plus pour personne ; et aussi il lui avait été facile de tourner ensuite la clé dans la serrure de la porte d’entrée qui était fermée en dedans.

Il pensait : « S’ils se réveillent, je leur dirai que je ne me sentais pas bien et que j’ai été prendre l’air. »

Mais il n’y avait toujours dans la maison que le tout petit bruit qu’il faisait par moment (la clé qui craque ou bien la porte avec son faible grincement) et puis silence, et, lui, il ajoutait encore à ce silence tellement il savait être immobile quand il fallait et tellement il retenait son souffle, étant debout maintenant dans le haut de l’escalier extérieur protégé par un avant-toit et tout au long duquel, de haut en bas, de chaque côté, sur chaque marche, il y avait des pots de fleurs : c’étaient des reines-marguerites.

Des roses et des blanches, on en distinguait les couleurs.

Il faisait un petit peu de lune quelque part ; elle éclairait de temps en temps entre deux nuages, faiblement : un tout premier petit quartier de lune, lequel suffisait cependant pour que les reines-marguerites eussent repris vie au fond de l’ombre, faisant des taches pâles à ses pieds, tandis qu’il descendait une marche, s’arrêtait, écoutait, puis descendait une autre marche, écoute encore : mais on continuait à ne rien entendre, si ce n’est un train qui passait au loin dans la nuit, faisant un bruit comme quand on déchire une étoffe.

Alors il s’était senti extraordinairement séparé du monde. C’était comme s’il n’avait jamais été ; comme s’il n’existait déjà plus. Comme si ce qui lui restait à faire n’avait d’autre raison d’être que de signifier aux gens ce qu’il était déjà dans son privé[1]. Et tranquille, tellement tranquille.

On a travaillé cinquante ans dans les vignes, sous le soleil, sous les averses, et la neige aussi quelquefois ; on a taillé, sulfaté, vendangé : c’est comme si on n’avait jamais rien fait.

Un vieil homme déjà délivré de la vie, qui s’est penché pour prendre sous la dernière marche de l’escalier la clé de la remise dans sa cachette, puis s’est avancé à pas toujours silencieux jusque devant cette remise, sur le côté de la maison, où il n’est plus déjà qu’une ombre, quelque chose de blanc et justement la lune l’éclairait. Long, maigre, voûté ; c’est une porte à deux battants ; il marche sur ses chaussettes roses.

Il fait tourner une dernière fois cette clé dans la serrure.

Il y a de l’ombre où il est entré. Une ombre où cependant il est chez lui, ayant tout préparé d’avance… La corde est dans un coin. Une corde mince, mais solide, que l’usage a assouplie, un peu grasse sous la main. Et puis il y a ce vieil escabeau. Et, dans le haut de la porte, une imposte vitrée par où justement passe une vague lueur et dont les barreaux de fer se détachent en noir sur un fond de grisaille.

Tout avait été calculé d’avance.

Il a repoussé le battant de la porte, point de bruit. Et l’horloge elle-même n’a sonné qu’un seul coup, après les quatre coups légers qui annoncent l’heure, – un seul coup qu’on entend encore et puis on ne l’entendra plus jamais. « Alors tu fais tout doucement, se dit-il ; tu ne dérangeras personne, on ne s’apercevra de rien, il n’y aura rien de changé dans le train de la maison, ni dans l’apparence des lieux » ; ayant pratiqué un nœud coulant à l’une des extrémités de la corde, et puis il monte sur l’escabeau.

L’autre bout de la corde, il l’a noué à un des barreaux.

Comme le sol est inégal, l’escabeau balance un peu sous son poids, mais il s’est appuyé de l’épaule contre la porte et alors tire sur la corde, de façon qu’elle soit bien tendue entre son point d’attache à elle, et entre la partie de son corps par où passe le souffle, par où se fait la communication entre soi-même et le dehors, et ce dehors ; et il n’y aura plus communication, il n’y aura plus de dehors, ni de soi-même.

Tellement tranquille, tellement précautionneux, s’étant assuré encore que la corde était solidement assujettie ; puis il n’y aura plus qu’à repousser l’escabeau du pied.

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