Et puis il y a le téléphone. Le paysan de Peney-le-Jorat qui a besoin d’une chambre à coucher peut en disposer déjà de bonne heure dans l’après-midi, ayant fait sa commande dans la matinée. Le temps n’est pourtant pas si vieux où les parents de la fiancée, ayant descendu des pommes de terre, remontaient vers le soir au petit trot de la jument, avec un premier « voyage » qui se composait de six chaises, le mois suivant avec un bois de lit et son sommier; et il fallait attendre encore le mois d’ensuite pour voir arriver la literie, ou la glace, le tout bien encordé sur le derrière du char et soigneusement bâché. Nos désirs sont désormais trop vite satisfaits, alors ils se multiplient. Et ils ont beau se multiplier: leur multiplication même fait que leur satisfaction compte moins. Ils n’arrivent plus à combler le vide où nous sommes, étant exaucés d’eux-mêmes, n’ayant pas été affanés, comme nous disons. Il n’y a pas compensation là où il n’y a pas eu dépense. On est comblé sans l’être: comblé du dehors et non au-dedans. Aujourd’hui, non seulement tous vos désirs sont prévenus, mais encore vous êtes assaillis par les tentations; elles viennent heurter à votre porte. Ne viendraient-elles pas qu’il vous serait difficile quand même d’y échapper, car il n’est guère de village où on ne trouve pas d’auto, il n’en est guère où chaque jour ne se présentent pas deux ou trois occasions de faire à bon compte le voyage de la capitale: on se procure à toute heure tout ce qu’on veut, n’importe où; et voilà déjà que les petites villes du canton, qui étaient autrefois chacune un centre pour le territoire environnant, périclitent.