Poche
Parution Juin 2021
ISBN 978-2-88927-900-5
192 pages
Format: 105x165 mm
Disponible

Introduction de Daniel Maggetti & Stéphane Pétermann

C. F. Ramuz

Les femmes dans les vignes et autres nouvelles

C. F. Ramuz

Les femmes dans les vignes et autres nouvelles

Petite bibliothèque ramuzienne
Parution Juin 2021
ISBN 978-2-88927-900-5
192 pages
Format: 105x165 mm

Introduction de Daniel Maggetti & Stéphane Pétermann

Résumé

« Le petit enfant, assis sur un carré de toile à matelas dans le pré, tend la main vers un cerisier qui est bien à quarante pas de lui. Ayant refermé sa main, il s’étonne qu’elle soit vide. Il nous faut apprendre le monde depuis son commencement. »

En 1914, marié et devenu père de famille, Ramuz quitte définitivement Paris. Sa nouvelle situation le pousse à interroger les fondements mêmes de son choix de l’écriture. Le récit court lui offre un terrain de réflexion privilégié, entre fiction et introspection. Quelques années plus tard, au sortir de la Grande Guerre, c’est toute son esthétique qu’il entend réinventer, à la mesure des bouleversements suscités par les événements mondiaux. Une fois de plus, il recourt à la nouvelle pour mettre en œuvre sa vision des hommes « posés les uns à côté des autres ». Au fil de ses méditations, c’est toujours la même aspiration formelle qui l’anime : la quête d’une langue, d’une narration, d’un style à lui.

Les femmes dans les vignes et autres nouvelles réunit des textes écrits entre 1914 et 1921.

Auteur

C. F. Ramuz

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n’est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Dans les médias

« Ramuz est obsédé par la question de la permanence et de la durée. Il souffre d'être confronté au constat de l'éphémère et du passager, d'autant plus que, tout en connaissant l'aspiration à l'éternité, il n'adhère pas à une croyance religieuse ou philosophique. La voie de la transcendance est pour lui celle de l'art, du moins pendant une grande partie de sa trajectoire. À la fin de sa vie, il est rattrapé par son pessimisme, qui confine au désespoir, quand il se penche sur la condition humaine. »

Une interview de Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann par Matthieu Giroux à lire en entier ici

« Charles-Ferdinand Ramuz est bien sûr le romancier que l’on sait, mais aussi un très grand nouvelliste, auteur d’un nombre important de récits brefs, que rééditent dans leur collection de poche les éditions Zoé. Le recueil Les femmes dans les vignes correspond aux années 1914-1921, celles du retour en Suisse après quinze ans passés à Paris. Le fracas de la guerre, même s'il épargne le canton de Vaud, bouleverse l'oeuvre de Ramuz; celle-ci tend vers plus de noirceur, plus de spiritualité aussi. » Mathias Énard

« Ramuz excelle dans la description de paysages, dans l’élan poétique né du décor, alors qu’il observe les faits et gestes des « gens de peu » : vignerons, cheminots, concierges, écoliers, horlogers ou autres personnages tourmentés par les « complications du coeur » ou qui « tournent en rond parmi leurs phrases ». Ailleurs, le narrateur s’exclame : « Il fait gai au ciel et clair en moi. »

On passe d'un jardin à un rucher, des cimes montagneuses à une barque, d'un étang bordé de roseaux à une écluse ou à un bois pentu. Il y a là une fraîcheur, une simplicité, une jubilation discrète dans l’écriture, que les lecteurs de Derborence retrouveront avec bonheur. » Thierry Clermont

« Ramuz sans lac et sans vignes : c’est ainsi que Charles-Albert Cingria célébrait « l’ami de cette ahurissante envergure », dont quelques- uns ont voulu faire un écrivain régionaliste et paysan — à ce compte, Virgile en est un autre —, ce Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) qui est, avec Cingria lui-même, l’un des plus grands écrivains de son siècle, et que la Suisse a offert aux lettres françaises. » Philippe Barthelet

« Ramuz ose des libertés d’auteur, une inventivité qui apporte aux textes une dimension supplémentaire. »

Une chronique de Noé Gaillard à lire en entier ici

« Les Femmes dans les vignes, L’Homme perdu dans le brouillard, Le Lac aux demoiselles… Rien que les titres suffisent à notre bonheur. Romancier et poète suisse, Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947) est un immense auteur : preuve en est avec cette délicieuse série de petits volumes aux couvertures acidulées. »

Extrait

Retour aux lieux aimés

 

Il est loin d’être arrivé qu’il voudrait déjà arrêter le train. Mais c’est une force aveugle qui agit là-bas, sourdement, dans le foyer de la locomotive ; malgré lui, il est emporté. Là le chauffeur à veste bleue se penche devant l’ouverture ronde où il enfonce sa pelle à charbon ; il a le visage tout rouge du reflet de la flamme, et quelque chose gronde et tressaille dans le ventre de la machine, pendant qu’il se redresse et s’essuie le front avec son mouchoir.

On sent bien qu’il n’y a rien à faire. Et glisse ainsi la riche plaine[1] où les gens sont en train de labourer ; passent des villes, des villages ; le large fleuve vient, comme un fleuve de lait entre ses bancs de sable fin (du moins il était comme du lait au moment de la fonte des neiges, mais depuis il a déposé) ; viennent à droite des carrières dans lesquelles sont percés des trous, et, de temps en temps, un homme sort, poussant devant lui sa brouette qu’il vide d’un geste du bras droit.

Un nom est crié ; il faut descendre. C’est une toute petite station, avec rien que la maison du chef de gare, et, séparée d’elle par la route, une auberge adossée à l’escarpement de la pente.

On ne prend pas par la route qui fait trop de lacets. Il y a un petit sentier connu des seuls habitués qui se faufile entre les murs de vigne ; tout de suite, on est engagé en pleine falaise rocheuse. On grimpe droit devant soi. Par moments, le sentier se perd entre les ceps ; à certains endroits, il est tout à fait coupé par ces profonds fossés qu’on creuse pour les provignages ; il faut un moment pour le retrouver. Mais on voit aussitôt la différence de pays et combien c’est ici plus pierreux, plus aggloméré, plus massif. Et les rudes soleils d’ici ! C’est quand chantent les sauterelles, qui, avec leurs pattes qu’elles se frottent sur le dos, font un bruit comme celui d’une lame qui vibre ; et il vous vient un coup de poing de chaleur en plein visage, à chaque tournant de mur. Mais déjà l’automne est tombé avec des rousseurs de plus en plus sombres ; l’astre se diminue là-haut ; silence des grillons maintenant, plus que des mouches.

On se retourne, on voit qu’on s’est élevé. Et tout à coup on se trouve perché sur une espèce d’avancement en éperon d’où on domine tout l’arrangement désordonné des casiers de vigne sous soi ; le toit de la gare semble posé à plat sur le sol au bord de la voie ; encore un pas ou deux, et la pente faiblit et on est parmi les vergers.

Il y a là deux ou trois hameaux où les gens du village d’en haut viennent passer l’hiver ; Julien pense : « Je vais arriver devant la maison peinte » ; il arrive devant la maison peinte[2]. Un vieillard y est logé qui ressemble à un bonhomme de baromètre, c’est-à-dire qu’il sort et rentre mécaniquement et toujours par la même porte.

Il guette les gens sur la route pour leur montrer les peintures de sa maison dont il est fier, et il raconte à leur sujet des histoires pleines de mensonges, mais de mensonges auxquels il croit, tout en vous tendant un verre d’amigne[3], parce qu’il est généreux aussi et toujours il vous offre à boire.

Aujourd’hui pourtant il n’est point sorti ; Julien d’ailleurs a pressé le pas ; il serait incapable d’entretenir la conversation. Il y a dans sa tête un tel embrouillement d’idées que s’il tirait dessus ce serait comme pour les pelotons noués : elles se noueraient toujours plus. Et il ne veut même pas voir les femmes, qui entourent la fontaine, avec des seilles et des enfants, lesquelles se tournent vers lui, et, quand il passe et dit bonjour, elles disent aussi bonjour et longtemps le suivent des yeux.

 


[1] Ce morceau relate la montée à Lens de Julien, qui traverse la plaine du Rhône et s’arrête à la petite halte ferroviaire de Granges. Il emprunte ensuite un sentier pédestre qui relie les deux villages en passant par Flanthey (Vaas puis Chelin) et le long duquel se trouve la Pierre des Morts dont Ramuz a déjà donné une description dans Jean-Luc persécuté (Œuvres complètes, XIX, Genève, Slatkine, 2011, p. 460). À l’arrivée du chemin sur le plateau de Lens se dresse une croix avec un christ doré. Lorsqu’il quitte le village, Julien s’arrête à Sion, chef-lieu du canton du Valais.

[2] Vraisemblablement le château de Vaas, dont les façades sont décorées de fresques datant de 1576.

[3] L’amigne est un cépage souvent dit valaisan, mais dont l’origine n’est pas établie avec certitude ; il a notamment des affinités génétiques avec des cépages valdôtains. Uniquement cultivé dans le Valais central – essentiellement sur le coteau de Vétroz –, il constitue le premier indice de la région où se trouve Julien.

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