Lydie était arrivée, ce dimanche-là, vers les trois heures, avec la valise.
– C’est encore moi. Vous comprenez, ça la gênait à cause des gens. Alors je lui ai dit : « Laissez-moi faire. »
– Ah ! a-t-il dit, je comprends.
– Où est-ce que je la pose ?
– Posez-la…
Il hésite, puis il lui a montré le banc qui est à côté de la porte.
– Dehors ?
– Je la rentrerai.
– Eh bien, à bientôt, a-t-elle dit…
Pourquoi est-ce qu’elle disait : « À bientôt ? »
Il faisait assez froid. Après ces longues pluies, la bise avait pris le dessus. Elle sifflait sous la porte, elle chantait dans le grenier. Mais, aux places abritées, il faisait doux encore, à cause du soleil. C’est la bise, et elle a un fouet, et elle fait claquer son fouet. Alors on avait vu les nuages s’enfuir tous ensemble du côté du sud et ils s’étaient entassés là, devant la crête de la montagne, comme les moutons d’un troupeau devant la barrière du parc.
Il a été se coucher à une de ces places au soleil, sous un arbre. Dieu prit une des côtes d’Adam…
Il l’avait vue venir de loin, c’est pourquoi il était venu lui aussi, puis s’était étendu tout de son long dans l’herbe, comme une fois déjà : Et il forma une femme de la côte qu’il avait prise à Adam et la fit venir vers Adam.
Il n’avait eu qu’à dire :
– C’est toi ?
Il parle avec douceur, avec tranquillité, avec satisfaction, avec contentement :
– C’est toi ?
Elle ne dit rien, et il a dit :
– Je savais bien que tu reviendrais, Adrienne.
Alors il s’est soulevé lentement ; il se met assis. Il la regarde ; et, à mesure que ses yeux montent le long d’elle, c’est comme s’il la refaisait.
Et elle est là, elle ne bouge pas, comme si elle devait encore attendre qu’il eût fini, et il a fini ; alors il se met debout tout à fait.
Et, étant venu à elle, il l’a prise par la main.
Ils se sont avancés ensemble. Leurs ombres étaient derrière eux et elles se confondaient. Ils n’ont plus eu, à eux deux, qu’une seule ombre. Ils marchaient l’un à côté de l’autre ; il la tenait par la main.
Et la porte du jardin était fermée, il l’a ouverte, il lui a dit : « Entre », elle est entrée ; lui, entre derrière elle, il ferme la porte du jardin.
Alors, il s’est arrêté, elle s’arrête ; et, faisant de la main un geste, il a dit : « Regarde ». Et, dans son orgueil d’homme : « Est-ce que tu le reconnais ? »
– Et la maison, disait-il, est-ce que tu la reconnais ? C’est tout neuf. Et c’est tout refait. Et c’est pour toi que j’ai tout refait.
Elle n’avait rien dit encore, alors elle a dit quelque chose. Elle a dit :
– Oh ! est-ce vrai ?
Il disait :
– C’est vrai, tu n’as qu’à venir voir. On va faire le tour du jardin, si tu veux… Tu veux ?
Elle a dit :
– Oh ! oui.
Il voit qu’il a eu raison : c’est à nous-mêmes à nous faire notre vie.
Il disait :
– Quel âge as-tu ?
Elle disait :
– Mais tu sais bien.
– Dis quand même.
– Eh bien, j’ai eu vingt ans il y a deux mois.
– Ah ! tu es majeure, dit-il, tu es libre ! Eh bien dis : « Je suis libre » ; dis : « Et je me sers de ma liberté en choisissant d’être avec toi… »
Ça va bien, car à présent on est ensemble. Et à présent, dit-il, Adrienne, est-ce que tu es contente ?
Elle avait dit de nouveau :
– Oh ! oui, je suis contente.
Il avait dit :
– En es-tu bien sûre, parce qu’à présent tu es à moi ?… Adrienne, est-ce que tu sais lire ?
Parce qu’il l’avait amenée pour finir devant le rucher, et ils se tenaient l’un à côté de l’autre devant les trois rangées de ruches, fraîchement repeintes :
– J’ai pensé que tu saurais lire de loin et qu’ainsi je me ferais entendre et que de loin tu m’entendrais. Tu vois : rouge, tu sais le nom ? Et vert, tu sais le nom ? Et blanc, c’est toi, c’est moi aussi, c’est tous les deux… Est-ce vrai ?
Elle a dit tout bas :
– Oui.
– Mais réfléchis bien encore, parce que c’est à toi de décider.
Ils étaient arrivés devant le banc sur lequel la valise était toujours posée :
– Et, tu vois, je l’ai laissée là. Et c’est à toi de décider. Réfléchis bien, petite, réfléchis bien encore une fois. Et si tu veux entrer, prends-la, et va devant, parce que tu es chez toi.
Elle a pris la valise ; elle est entrée la première.
Elle voit que les murs de la cuisine et les murs du corridor avaient été repeints par lui. Elle voit que la table est mise, avec du beurre, du fromage, de la confiture, un gros pain tout frais, deux tasses et deux soucoupes se faisant vis-à-vis.
Elle s’est assise ; il s’est assis en face d’elle.
Et c’est alors que, tout à coup, comme il avait été prendre la cafetière et ainsi lui tournait le dos, sa voix à elle était encore venue : car elle avait encore une chose à dire ; mais une voix toute changée, comme quand une petite fille récite sa leçon :
– Louis, écoute, je voulais… Oui, je voulais te demander pardon…