Poche
Parution Juin 2024
ISBN 978-2-88907-368-9
480 pages
Format: 105x165 mm
Disponible

Introduction de Philippe Forest

C. F. Ramuz

Vie de Samuel Belet

Petite bibliothèque ramuzienne
Parution Juin 2024
ISBN 978-2-88907-368-9
480 pages
Format: 105x165 mm

Introduction de Philippe Forest

Résumé

Vie de Samuel Belet s’inscrit dans la pure tradition des romans d’apprentissage. Un paysan cherche les mots pour restituer son existence: la mort de sa mère, son premier chagrin d’amour, le départ pour Paris, l’effervescence des luttes ouvrières, le retour au pays natal, la perte de ses proches.
Déployée dans la langue de Ramuz, l’expérience singulière d’un individu devient un miroir qui nous invite à mieux voir, mieux sentir, mieux accepter.

Auteur

C. F. Ramuz

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n’est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Dans les médias

« Vie de Samuel Belet est un roman d’apprentissage mémorable de Ramuz. Un paysan ne sait comment parler de lui, de la perte de l’amour, de la mort de sa mère, de Paris, du retour en Suisse, de la terre, de la lutte. Langue remarquable, écriture sensorielle, mutique, échos d’une écoute. » Thibaut Kaeser

« Je pense que Ramuz est de ces écrivains dont il faut accepter qu’ils nous bousculent. De ceux qui vous emportent dans leurs histoires sans trop vous laisser de répits. Là j’ai souvent eu l’impression que l’auteur me parlait son histoire tout en la vivant. Qu’il me faisait oublier qu’il racontait sur l’instant le passé de Samuel. Que Samuel se racontait. Et pourtant il glissait de temps en temps l’information nécessaire. »
Un article de Noé Gaillard à lire ici

« Un destin qui lui fut comme un tourbillon lent, marqué par les travaux des champs, les fêtes et les promesses, les premiers baisers, les deuils et la maladie, les espoirs, les désillusions d’amour, et un veuvage. Ramuz le Vaudois nous dit tout cela avec tendresse et délicatesse, soulignant les détails bour mieux planter son décor: «Le grand espace vide du ciel», l’odeur d’un feu de fagots, les froissements d’une robe, une muflée dans une auberge, le clapotis d’une barque sur le lac, le temps des cerises. Et comme Samuel le confesse: «Moi, je n’ai pas su où j’allais. Les choses venaient comme elles voulaient, non pas comme j’aurais voulu qu’elles viennent (…). Le temps s’en va heure après heure, jour après jour, semaine après semaine: on va toujours, on ne sait pas.» Et ainsi s’en va la vie. » Thierry Clermont

« Classique parmi les classiques, ce roman publié il y a un peu plus de 110 ans et réédité dans la collection de poche des Éditions Zoé n'a rien perdu de sa force dramatique. On y lit, on y vit même, puisque la plume de Ramuz la trace à la première personne du singulier, l'existence de Samuel Belet au fil d'un modèle de ce genre littéraire qu'est le roman d'apprentissage. Et quel apprentissage que celui de la vie rurale du siècle dernier, quelle rudesse, quelle injustice, quel malheur parfois. C'est comme un manège au ralenti, d'où l’on descend avec la tête qui tourne un peu tout de même. » Clément Grandjean

Extrait

Je m’appelle Jean-Louis-Samuel Belet, né à Praz-Dessus, le 24 juillet 1840, d’Urbain Belet, agriculteur, et de Jenny Gottret, sa femme, comme on peut voir sur mes papiers.
Je n’avais que dix ans quand mon père mourut. Cinq ans après ce fut ma mère.
J’allais entrer dans ma quinzième année. Un matin que j’étais à l’école, on heurte. Le régent va ouvrir; il me dit:
– Samuel, il te faut rentrer chez toi.
Il avait un air tout drôle. Je lui dis:
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je ne sais pas. C’est Mme Blanc qui vient te chercher.
Mme Blanc était une de nos voisines. Elle m’attendait dans le corridor. Et, elle aussi, je la regarde, et à elle aussi je lui trouve un air tout drôle ; je me mets à avoir peur ; je demande de nouveau :
– Madame Blanc, qu’est-ce qu’il y a ?
Mais elle avait déjà pris les devants, et marchait à grands pas sans se retourner. N’est-ce pas? je n’étais déjà plus un tout petit garçon, et puis la peine que nous avions à vivre, ma mère et moi, m’avait rendu raisonnable avant l’âge: je me mets à courir, je la rattrape, je lui dis: «Je suis sûr que c’est un malheur.» Et comme elle continuait à ne pas répondre, tout à coup je comprends, je pense: «C’est maman!» Et sans plus m’inquiéter d’elle, je prends mes jambes à mon cou.
Notre maison était à l’autre bout du village. La première chose que je vois devant la maison, c’est la voiture du médecin. Une petite voiture à deux roues, peinte en jaune; et le maréchal, avec son tablier de cuir et ses manches de chemise retroussées jusqu’à l’épaule, tenait le cheval par la bride, parce que le cheval était un peu nerveux. En m’apercevant il baissa la tête; il y avait bien là cinq ou six personnes, outre lui: tout le monde se tait brusquement. Et ceux qui se tenaient devant la porte s’écartent. Moi, je courais toujours. Personne n’a l’idée de m’arrêter au passage. J’entre comme un fou: je trouve maman couchée sur son lit.
Elle n’était pas déshabillée: mais son corsage était tout dégrafé. À côté d’elle se tenaient le médecin et deux femmes qui, tous trois, se penchaient sur elle, et le médecin avait à la main une serviette mouillée avec laquelle il lui frottait les tempes, puis il se mit à lui frapper la figure avec le coin de la serviette: maman alors ouvrit les yeux et poussa un grand soupir, sur quoi de nouveau elle se raidit. Elle avait le bout du nez tout blanc et les lèvres bleues; je me souviens aussi de ses cheveux, parce qu’ils étaient bien lissés d’ordinaire, et à présent ils traînaient en désordre sur le traversin. Elle avait donc ouvert les yeux, mais déjà elle les avait refermés; elle n’avait pas même eu l’air de me reconnaître; et moi je restais là, debout au pied du lit.
Et moi non plus je n’avais rien dit; il m’avait fallu un moment pour mettre en ordre mes idées. Mais voilà tout à coup que maman se renverse en arrière, saisit des deux mains le coin du coussin, s’y cramponne; en même temps son corps se soulève sous le drap; en même temps il se fait un bruit dans sa gorge comme quand un bassin de fontaine se vide, alors je me mets à pleurer.
Le médecin se retourne et dit: «Qu’est-ce qu’il fait là, ce gamin?» Il m’empoigne par un bras, une des femmes par l’autre; ils m’ont fait sortir, je n’ai plus rien su.
Sauf que dans l’après-midi maman était morte et deux jours après on l’enterrait.

 

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