Poche
Parution Nov 2019
ISBN 978-2-88927-682-0
176 pages
Format: 105 x 165 mm
Disponible

Préface de Gilles Philippe

C. F. Ramuz

Les Signes parmi nous

Petite bibliothèque ramuzienne
Parution Nov 2019
ISBN 978-2-88927-682-0
176 pages
Format: 105 x 165 mm

Préface de Gilles Philippe

Résumé

Dans ce « tableau » de 1919 que sont Les Signes parmi nous, Ramuz peint un orage d’été qui fait croire à la fin du monde. En prévision de cette apocalypse lémanique, Caille, le colporteur biblique, répand une parole défaitiste. Mais le dernier mot appartient au couple de jeunes amoureux qu’anime une confiance toute humaine. Écrit à la fin de la Première Guerre mondiale, tandis que la grippe espagnole ajoute ses calamités aux malheurs du conflit, ce roman virtuose célèbre l’éternel recommencement de la vie.

 

Auteur

C. F. Ramuz

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n’est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Dans les médias

« C’est un livre moderne – au sens de nouveau et d’actuel – écrit au sortir de la première guerre mondiale (…). C’est écrit comme pour rendre compte de la confusion du monde issu de cette guerre. (…) A lire lentement pour savourer les coups d’épaules donnés par un pré ou les ellipses à l’intérieur des phrases, les herbes qui parlent.  »

Une chronique de Noé Gaillard à lire en entier ici

« Les Signes parmi nous est un roman apocalyptique. Il se déroule dans un village suisse au bord du lac Léman, où on ne voit que tranquillité, régularité, pendant la Grande Guerre. »

Un article de Francis Richard à lire en entier ici 

« Fausses nouvelles et théories du complot, hommes foudroyés, angoisse galopante… Le roman Les Signes parmi nous, que Charles Ferdinand Ramuz publie en 1919, raconte déjà une épidémie et ses conséquences en Suisse romande. Le colporteur Caille parcourt les villages pour annoncer la fin du monde et certains croient au début de l’apocalypse. Daniel Maggetti, professeur à l’Université de Lausanne et directeur du Centre des littératures en Suisse romande, revient sur ce chef-d’œuvre visionnaire, écrit alors que sévissait la grippe espagnole et que venait de prendre fin la Première Guerre mondiale. »

Un entretien de Daniel Maggetti par Julien Burri à lire en entier ici

« En prise avec l’actualité, Les Signes parmi nous de l’auteur suisse Charles-Ferdinand Ramuz, évoque les émotions suscitées par la grippe espagnole, en 1919, chez les habitants d’un village lémanique. « L’humanité est toujours rattrapée par les mêmes inquiétudes, explique Stéphane Pétermann, chercheur à l’Université de Lausanne. (…) [Ramuz] fait partie de ces brillants écrivains qui arrivent à capter les grandes tendances de leur temps, tout en développant un propos qui transcende leur époque. » »

Un entretien signé Ghania Adamo à lire en entier ici

« Une épidémie n’est pas un châtiment conçu par une puissance divine. L’être humain crée ses propres pièges, mortels, dans lesquels il tombe comme un imbécile. Charles-Ferdinand Ramuz le dit dans Les signes parmi nous (…).  
Un roman prophétique, oui, mais pas seulement car il rappelle l’éternel retour des tragédies et des erreurs de l’homme qui ne parvient pas à tirer les leçons du passé. (…)
La solution reste humaine si l’on sait écouter la vie, comme ce couple de jeunes amoureux sur lequel se referme le roman. C’est dire que les signes ramuziens sont aussi ceux de l’espoir. » Ghania Adamo

« L’œuvre de Ramuz est assez vaste pour qu’on ne finisse jamais d’en découvrir des pans entiers qui nous avaient échappé. (…)
Il y eut quelque chose de prémonitoire à rééditer Les signes parmi nous (cent ans après sa première édition) peu avant la pandémie de coronavirus qui, aux dires de certains prophètes en collapsologie, a des relents d’apocalypse. » Guillaume Lebaudy

« Les signes parmi nous n’est pas un récit continu. Il est découpé en 35 sections, 35 instantanés de la vie d’un village sur fond de guerre apocalyptique, 35 tableaux qui annoncent le début de la fin d’un monde. D’un côté, la permanence. De l’autre, l’impermanence et la destruction, la guerre. Les deux dimensions sont présentes dans le style de Ramuz : son écriture est profondément imprégnée d’antiques images bibliques et elle a le dépouillement des Écritures, en même temps qu’elle pulvérise le phrasé ample de la langue française et possède une empreinte moderniste qui ne cesse d’étonner.
Elle est discontinue, ponctuée d’annotations brèves, d’éléments vus et aperçus (ciel, soleil, nuages, couleurs), d’impressions fugaces, ici répétées, là inédites. Il est presque impossible de parler de prose. Le rythme, les cassures, les retournements, les répétitions, les inversions, les images la font glisser vers la poésie. Mais comment définir celle-ci ? Il le faudrait, car c’est bien ce qui unit tous les ouvrages de Ramuz ici chroniqués, dont Aline (1905), un roman d’amour, sans doute son œuvre la plus connue. »

Un article de Cécile Dutheil de la Rochère à lire en entier ici

Extrait

1

Caille, le colporteur biblique, suit encore un bout de temps la route, puis il s’engage dans un chemin de traverse qui mène à une maison.

C’est une grande maison fraîchement repeinte en blanc, avec des contrevents verts ; il y avait un banc devant la maison ; une femme, déjà assez vieille, est assise sur ce banc.

On devinait le lac, plus qu’on ne le voyait, à une espèce de luisant qu’avait l’air et comme du papier d’argent est collé sur les objets du côté de la lumière.

Étroite bande de pays, prise entre la route et le lac ; c’est plat, c’est assez maigre et pauvre ; quelques vergers, des prés, guère de champs : partout déjà le sable affleure ; ici, sous le ciel bas, retentit l’hiver la mouette, comme quand on a oublié de graisser l’essieu, et le corbeau n’est pas seul à crier.

La femme qui était sur le banc écossait des pois ; elle leva la tête.

Il y avait deux grands platanes non ébranchés à l’entrée de la cour ; on passait devant l’écurie, on passait ensuite devant la porte cintrée de la grange ; Caille traversa encore cet espace où un petit pavé pointu fait qu’on se tord les pieds quand on n’a pas l’habitude ; il souleva son chapeau.

Après quoi la Parole fut tirée de la sacoche, et elle avait l’aspect d’une brochure à couverture bleue, laquelle fut tendue, et des mots venaient.

On entendit encore le petit bruit de cloches que les pois faisaient en heurtant le fond du baquet de terre cuite ; le bruit ne fut plus entendu.

Il y en a qui sont portés par l’Esprit à la compréhension des Prophéties, d’autres moins, d’autres nullement[1] ; notre métier est d’aller et de frapper à toutes les portes.

Même à celles qui ne s’ouvrent pas, surtout à celles-ci, et insister devant celles dont on sait d’avance qu’elles ne s’ouvriront pas, jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent ; et n’avoir pas peur du scandale, à cause qu’il est écrit qu’il sera occasion de scandale dans le monde[2].

Fidèle serviteur du Maître en tout, malgré les hommes. Ils ne savent plus, ou ne savent pas, ou ne savent pas encore, quand même les Signes sont venus, et s’annoncent de toute part, mais moi je ferai éclater les Signes à leurs yeux, par le moyen des Écritures, et de l’explication que d’autres serviteurs du Maître nous en ont donnée[3], n’étant rien moi-même, n’étant que l’outil, le pauvre instrument qu’on voit aux mains de l’ouvrier, la truelle du maçon, la hache du charpentier, la clef du serrurier. Et donc il avait tiré la Parole, il présentait la Parole ; la lumière vint sur elle, parce que c’était un beau jour d’été.

Tout de suite il vit qu’elle savait de quoi il s’agissait.

Et il y en a qui se fâchent, d’autres boudent, d’autres n’ont pas l’air de vous voir : elle, elle le regarda ; puis ses mains vinrent rejoindre les bords du baquet, s’y fixèrent.

C’est l’explication des événements actuels à la lumière des Écritures ; déjà brille le Trône, au milieu des vingt-quatre Vieillards et le cantique en l’honneur de l’Agneau, seul digne de lire dans le Livre, est chanté[4] ; hâtez-vous d’ouvrir les yeux si vos yeux peuvent voir encore et que vos oreilles écoutent, si vos oreilles en sont capables[5].

Il ne dit pas tout cela, c’est la brochure qui le disait ; il se contenta de la tendre, avec des mots beaucoup moins compliqués ; il était seulement le marchand de la chose, faisant commerce de la chose, par dédicace de sa personne à Celui qui est, qui était, qui sera (comme il est écrit aussi[6]), mais il y en a qui sont préparés ; et elle sûrement qu’elle était préparée, qui lui demanda s’il venait de loin.

Il secoua la tête.

Elle lui demanda alors quand ce serait, il dit qu’on ne savait pas. Peut-être aujourd’hui, peut-être demain ; personne ne sait le jour, ni l’heure[7] ; mais tenons-nous prêts, car les temps sont proches.

Elle prit son porte-monnaie ; elle lui demanda combien c’était ; il répondit : « Un franc vingt-cinq » ; elle lui donna deux francs ; il tira à son tour son porte-monnaie de sa poche ; c’était plutôt une espèce de bourse, de fortes dimensions, en cuir noir, avec un coulant.

Il rendit à la femme septante-cinq centimes, ainsi l’opération fut faite, la Parole fut transmise.

Cependant les choses disent aussi une Parole et un message par elles aussi est transmis. Sous le ciel pas encore blanc, comme on sent qu’il ne tardera pas à devenir, elles sont une réunion qui dit : « On est là. » Les platanes parlent, disant : « On est là. » Cette peau blanche qu’ils ont, comme quand une femme ôte sa robe et on se détourne de sa blancheur. La fontaine dit : « On est, on coule, je fais beau où je coule, on est, on dit quelque chose parce qu’on est ; on dit qu’on coule, on fait son métier, on dit le métier qu’on fait ; on coule, je suis fraîche à boire, je fais frais où je coule, je fais belle herbe partout où je coule, l’herbe m’aime, l’herbe a besoin de moi. » Et l’herbe : « C’est vrai. » Le toit est en inclinaison dessus le mur qui est d’équerre ; le toit dit : « Il est bon que je sois en inclinaison. »

On entendait de nouveau le bruit des pois roulant contre la terre vernissée du baquet ; des baquets assez grands, vernis en rouge-brun, avec des palmettes vertes pour faire beau ; puis plus de bruit du tout parce que le baquet allait se remplissant ; « et moi, est-ce qu’on fait attention à moi ? » dit la passerose.

Alors elle se fait plus grande encore et mince qu’elle n’est, qui l’est pourtant déjà assez, dans sa robe en étamine vert clair, toute garnie de pompons roses.

Elle aurait voulu qu’il prît quelque chose, avant de repartir, mais il n’accepta qu’un verre d’eau, comme dans les premiers Temps[8]. Car les Temps d’à présent ressemblent à ces premiers Temps.

De nouveau la Parole est confiée aux serviteurs du Maître : « Ne t’attarde pas, est-il dit, ne t’attache pas au vin ; détourne-toi des nourritures. »

Il repassa sous les platanes ; les platanes disaient : « Regardez-nous, on est beau. » Il ne les regarda pas.


[1] Cette idée d’une répartition des charismes se souvient de I Corinthiens xii, 6-8.

[2] I Corinthiens i, 23.

[3] Voir Apocalypse i, 1-2.

[4] Apocalypse iv, 2-10.

[5] Voir Mathieu xiii, 14.

[6] Apocalypse i, 8.

[7] Mathieu xxiv, 36.

[8] Ces premiers Temps sont ceux d’avant le Déluge : selon la tradition biblique, Noé qui en réchappe seul (avec sa famille) est le premier homme à planter de la vigne et à en tirer du vin, dont il s’enivre (Genèse ix, 20-21) On voit mal à quel passage de la Bible pense ici Ramuz ou son personnage (est-ce lointainement à Mathieu x, 42 ?) ; la citation du paragraphe suivant n’a pas de source biblique.

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