Poche
Parution Jan 2020
ISBN 978-2-88927-737-7
224 pages
Format: 105 x 165 mm
Disponible

Préface de Pierre Assouline

C. F. Ramuz

Paris (notes d’un Vaudois)

Petite bibliothèque ramuzienne
Parution Jan 2020
ISBN 978-2-88927-737-7
224 pages
Format: 105 x 165 mm

Préface de Pierre Assouline

Résumé

En automne 1900, Ramuz s’installe à Paris. Il a 22 ans. Il en aura 59 lorsqu’il fera paraître ce livre fondamental dans son parcours d’écriture et de vie. Les années n’ont atténué ni la fraîcheur ni la précision des première impressions. Le tableau du Montparnasse au début du siècle est riche de couleurs et de personnages. Mais ce qui importe davantage, c’est la réflexion conduite par Ramuz sur la nature de la grande ville, son rôle de capitale historique et culturelle.
Paris l’amène à traiter des sujets les plus divers : les arts, les modes et le snobisme, la langue, bien sûr, et l’écriture, mais aussi le monde du travail, la société, l’identité des provinces. Par-delà le souvenir se reflète ici l’image de tous ceux qui sont un jour montés à Paris. Pour le « petit Vaudois » qu’est Ramuz, la Suisse romande est une « province qui n’en est pas une », française par la culture, suisse par la politique. À la frontière entre essai et autobiographie, Ramuz réfléchit avec brio aux relations entre centre et périphérie.

Auteur

C. F. Ramuz

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n’est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Dans les médias

« Dans ses souvenirs de la capitale, l’écrivain, consacré tant en Suisse romande qu’en France, revenait sur ces années parisiennes qui furent marquantes, mieux, qui lui permirent de devenir  »un Vaudois«  et découvrir sa langue, par la langue, et contre la langue du français normé dès le Grand Siècle par l’Académie française.

Récit croustillant, rempli de réflexions sur l’opposition entre un grand centre urbain et la nature qui l'environnait dans son enfance, le lac, les montagnes, les vignobles. Tension lisible dans son chantier poétique et romanesque que Paris lui a offert en contre-plan. (…)  Par un travail acharné, il a exprimé une langue-geste, non descriptive, allitérative, une langue en spirale qui, en une syntaxe particulière, a considérablement enrichi la littérature francophone. »

Un sujet de Christian Ciocca à lire/écouter en entier ici

« Vingt ans avant qu’Hemingway ne s’installe à Paris et bien avant qu’il songe à écrire Paris est une fête, Ramuz débarque à Montparnasse dès l’automne 1900 et découvre le ruisseau, les rues sales, les combles froids et la nécessité de se chauffer « avec un seau de flambant et un margotin ». Le « provincial » va y rester douze ans et élabore notamment une réflexion sur les différences de langage entre le centre (Paris) et la périphérie (la province française mais aussi son canton de Vaud ou la Wallonie) : «Si nous sommes plein d‘archaïsmes, ce qui n’est pas un mal en soi, nous souffrons d’autre part d‘une grande impropriété dans les termes, surtout les termes techniques qui sont à Paris d’une grande précision.» La province hors France serait ainsi un monde « qui suggère tout et ne nomme rien ». Ce livre a un indéniable écho belge. » Alain Lallemand

« Prises en 1900, [ces notes] décryptes, à travers l’œil d’un auteur « dépatrié mais tout le temps repaysé », les relations entre centre et périphérie. » C.R. 

« Ses notes tracent un portrait pas toujours tendre de Paris à l’aube du XXe siècle et permettent de réfléchir à des aspects tout à fait actuels de nos relations avec la ville : le travail, la politique, la nature, la langue… « Qu’est-ce que c’est que la littérature ? Qu’est-ce que c’est que la langue ? (…) Voilà les questions que se posait le petit Vaudois dans sa mansarde, mais s’il se les posait, c'est à l’occasion de Paris, parce qu’il était à Paris, et que lui-même n’en était pas. » Glisser sur le gris pavé gras, c'est déjà l'aventure. » Mathias Enard

Stéphane Pétermann, spécialiste de C. F. Ramuz, invité de Christian Ciocca dans l’émission « Caractères », à réécouter ici

« Contrairement aux personnes qui dénigrent, Ramuz comprend la grandeur, l’assurance, voire l’insolence de Paris, le passé accumulé, l’attirance pour ce pôle universel, qui se désintéresse un peu trop du national et de « la » province, de nos jours on dirait la France périphérique ; on le suit quand il parle de l’homme privé de soleil en ville, ou de la mainmise sur la planète, lui dit « l’univers », on glisse de hier à aujourd’hui. Une jolie réédition sous la direction de Daniel Maggetti et Stéphane Péterman. »

« En 1939, l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz publie un magnifique récit parisien, revenant sur ses années passées dans la capitale, entre 1900 et 1914. Un livre vagabond,   impertinent, curieux, où il porte son regard neuf et d’une tendre naïveté de citoyen vaudois sur un Paris en pleine effervescence, le Paris du temps des « tramways à deux étages, peints en noir».  Et ce, avant Fargue et Calet, Mac Orlan et Carco, dont il a le flair et l’œil, avec une sensibilité décalée. (…)

Ce petit livre qui a tous les charmes, s’achève sur ces mots : « Les provinces décident du présent ; Paris invente l’avenir. » Près d’un siècle plus tard, cela résonne étrangement à nos oreilles. Plus qu’une prophétie : une leçon. » Thierry Clermont

« Il y a « un ton » Ramuz, une musique d’auteur où, pour ma part, je ressens l’inquiétude humaine adoucie par l’écriture. »

Un article de Noé Gaillard à lire en entier ici

« Un ouvrage précieux qui oscille en permanence entre le libre essai et l’autobiographie dénuée d’afféterie. Il est ici présenté dans une édition de poche avec une introduction de Pierre Assouline. Le recul du temps a permis à Ramuz d’être non seulement pertinent – son tableau de Montmartre est un exemple du genre –, mais aussi de partager des réflexions sagaces pour tous les francophones, helvètes ou non, évoluant dans l’orbite de Paris. La Suisse romande, cette « province qui n’en est pas une », a trouvé dans ce texte un de ses fondements, une forme d’identité en miroir. Quant à Ramuz, grâce à son expérience française, il a pu forger son style si particulier : « C’est Paris lui-même qui m’a libéré de Paris. Il m’a appris dans ma propre langue à me servir (à essayer du moins de me servir) de ma propre langue ». » Thibaut Kaeser

« [Un] délicieux petit livre. Nombreuses considérations intemporelles à l'appui, l'auteur nous en apprend des tonnes sur une capitale où il résida jusqu'en 1938. Il faut absolument redécouvrir la prose simple et naturelle de Charles Ferdinand Ramuz. Amis lecteurs et lectrices, emparez-vous de ces notes : vous ne le regretterez pas. »
Une chronique à lire en entier ici

« Pour un œil français, a fortiori parisien, ces pages ont une saveur particulière. Se voir reflété sous la plume d’un étranger est salutaire quand on se sait imparfait, perturbant quand on est fat. « Le mot bourgeois a d’ailleurs ici un sens assez particulier : il faut entendre un homme qui défend coûte que coûte ses droits, même ceux qu’il a usurpés. » Divine définition qui s’applique encore et à tant d’égards.

Vaudois débarquant dans un Paris hivernal et brutal, Ramuz a le regard de l’ingénu « plein d’inexpérience » qui perce le vernis des usages et de l’urbanité. Il y est venu parce que Paris est la capitale intellectuelle de la langue française, mais celle-ci, la langue, est rude et peu accueillante. Paris parle vite, Paris cru, ou mondain, ou politique, ou factice : « Paris a été montée sur tréteaux », écrit-il. Ramuz, lui, parle un autre français, plus lent en apparence, si riche en vérité quand on le lit. Sa langue est pleine de mots inédits, dialectaux, incongrus, jamais ouïs. Chez lui, Aline est « matineuse », la cloche a un « bombement », les voitures sont assourdies par le « détrempement » du pavé, une longue route « s’appointit »… Peu importe, ont répondu les Parisiens de son époque : si vous n’en êtes pas, « l’aventure ne se terminera pour vous que par votre expulsion plus ou moins sournoise, mais définitive ». C’est ce qui est arrivé à Charles Ferdinand Ramuz.

Cent ans plus tard, nous autres, Parisiens et/ou Français, n’avons pas changé. En effet : comment se fait-il que ce grand écrivain suisse soit si méconnu dans notre orgueilleux Hexagone ? Comment se fait-il qu’il soit ignoré par l’Université, oublié par les académies, si rarement cité par les écrivains qui ont écrit après lui ? Son absence du canon littéraire enseigné chez nous est lamentable.

Ah, les Français ! dira-t-on. Si centralisés, si centralisateurs, si exceptionnalistes ! Il est temps qu’ils aillent se ramuzer comme ils vont se créoliser. Ils n’ont même pas d’océan à franchir pour le faire : il suffit de passer quelques cols de montagne. »

Un article de Cécile Dutheil de la Rochère à lire en entier ici

« (…) II relatera ses années de « dépatriation » en 1938 dans ce livre, essai et autobiographie à la fois, où les souvenirs nourrissent un discours sur le Paris de la Belle Époque et une réflexion (toujours d'actualité) sur l'homme, où l'intime rejoint l'universel. La Ville lumière fascine le petit Vaudois emporté par la foule. Son ascension de la tour Eiffel reste un sommet. La transhumance de Ramuz vers cette capitale littéraire forme le creuset d'une œuvre singulière et riche, celle d'un « contemporain capital ». » P.P.

Extrait

C’est ainsi qu’un petit Vaudois (et on met « petit » bien qu’il eût plus de vingt ans, mais c’est que l’âge n’est pas seulement affaire de calendrier) s’était trouvé jeté, bien avant la guerre, un matin d’octobre, sur le quai de la gare de Lyon, sa valise à la main.

Il venait pour la première fois de franchir la frontière. Le voyage qu’il venait de faire n’est pas d’ailleurs un très long voyage ; c’est même un voyage beaucoup plus court que celui de Brest ou de Bayonne ou de Marseille, à ce même Paris ; mais, lui, il avait eu à passer par-dessous une montagne, il avait eu à passer aussi au travers d’un « cordon douanier ». Il n’avait, bien entendu, pas dormi de la nuit, tenu éveillé qu’il était par la nouveauté de l’événement, et aussi par l’inconfort de ce coupé capitonné de vieux drap bleu, qui comportait huit places, et où il occupait la huitième.

C’était le commencement d’octobre. Le beau temps qu’il faisait à son départ de Lausanne avait cédé la place, sitôt le Jura franchi, à une petite pluie persistante qui avait duré toute la nuit et qu’on avait vue dégouliner aux vitres de la portière, sitôt que le jour s’était levé. Quelqu’un avait tiré de côté les rideaux de drap bleu en même temps qu’on relevait l’écran de même étoffe qu’on avait rabattu sur la lampe au plafond (c’était encore une lampe à gaz) : et il pleuvait mélancoliquement, tandis qu’avait commencé à défiler derrière les glaces embuées une triste banlieue, en travers de laquelle la locomotive se jetait à toute vapeur, avec de hardis virages qui faisaient basculer le paysage à demi noyé dans le brouillard.

La locomotive n’avait pas tardé à s’engager dans un système enchevêtré de rails dont on apercevait les écheveaux se nouer et se dénouer à perte de vue, de chaque côté de la ligne ; et, dérivée d’un rail à l’autre, pendant qu’elle poussait un sifflement aigu, elle imprimait au wagon un soudain penchement, suivi d’un lent redressement, comme sur le pont d’un navire.

Une grande gare de brique était distinguée à peine, qu’elle soulevait au passage, puis laissait retomber, sans rien abdiquer de sa vitesse. On avait aperçu à main gauche une espèce de vignoble, c’est-à-dire beaucoup de murs blancs divisés en casiers et posés les uns sur les autres ; des cheminées fumaient à main droite ; un canal sans aucun courant était alors apparu ; et, moi, je m’étonnais de cette eau immobile, car je venais de la montagne où les cours d’eau sont des torrents, dont il n’y en a aucun qui ne se précipite ou ne tombe de roche en roche, faisant penser au dégringolement d’un interminable troupeau de moutons.

Ici, c’est une eau immobile et verte et deux ou trois bateaux dessus, sans mâts ni cheminées ; et c’était tout à coup la plaine, bien singulièrement présentée à un petit garçon qui ne la connaissait pas, toute charbonneuse et pelée, où l’œil qui fuyait à plat dans la bruine ne rencontrait d’autres verticales que celles des bâtisses basses d’ailleurs aussitôt dépassées ; suivies de terrains vagues occupés par des espèces de jardins clôturés où se dressaient des baraques faites de matériaux disparates provenant de démolition et utilisés pêle-mêle : moellons de mâchefer, tôle ondulée, planches et papier bitumé, portes et fenêtres rapportées ; – quelquefois un vieux wagon monté sur un socle en ciment.

Mais mes compagnons de voyage s’étaient mis debout tous ensemble ; et, un instant après, je m’étais trouvé sur le trottoir qui est devant la gare de Lyon, sous la grande horloge. L’affaire était à présent d’essayer d’attraper un fiacre. J’étais plein d’inexpérience, je ne connaissais pas les trucs. Il en survenait constamment, de ces fiacres, mais ils étaient tous assaillis et occupés bien avant d’être arrivés à ma hauteur. C’était encore le temps des fiacres. L’objet a disparu de la circulation, et le mot lui-même du vocabulaire : sans doute que bientôt on n’en comprendra plus le sens. Mais, en ce temps-là, les fiacres existaient, ils étaient même à peu près seuls à être en service, car il n’y avait encore que de rares automobiles ; seulement ils obéissaient à un mystérieux système de télégraphie à distance, dont le code m’était inconnu, qui faisait qu’ils étaient retenus longtemps avant d’avoir stoppé ; ou bien j’avais affaire à un grand cocher dédaigneux, dont les exigences avaient découragé la clientèle, qui me jetait un chiffre en passant du haut de son siège, et la somme m’épouvantait. Le temps s’écoulait cependant ; d’autres trains étaient sans doute entrés en gare, le nombre des voyageurs non seulement n’avait pas diminué autour de moi, mais tendait bien plutôt à augmenter encore ; je commençais à perdre courage.

Un petit garçon bien maladroit aux choses courantes de la vie, et qui l’est resté, car, le petit garçon qu’on a été, on le reste toute sa vie. C’est alors qu’il avait été abordé par une espèce de voyou à casquette, un reste de cigarette éteinte lui pendant au coin de la lèvre, qui depuis un moment tournait autour de lui, les mains dans les poches, humant l’air ; et tout à coup, par-dessus l’épaule, lui avait dit : « C’est du tabac belge ? » car j’avais, moi aussi, une cigarette à la bouche.

On m’avait enseigné depuis ma tendre enfance que je ne devais pas répondre aux gens que je ne connaissais pas, s’il leur arrivait de m’adresser sans raison la parole ; mais j’avais crâné, je lui avais répondu : « Non, du tabac suisse. »

Il s’était arrêté tout à fait, il avait repris : « Ça sent bon ! »

– Vous en voulez une ?


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