Poche
Parution Juin 2018
ISBN 978-2-88927-538-0
176 pages
Format: 105x165 mm
Disponible

Introduction de Daniel Maggetti

C. F. Ramuz

Aline

Petite bibliothèque ramuzienne
Parution Juin 2018
ISBN 978-2-88927-538-0
176 pages
Format: 105x165 mm

Introduction de Daniel Maggetti

Résumé

« Elle était maigre et un peu pâle, étant à l’âge de dix-sept ans, où les belles couleurs passent, et elle avait des taches de rousseur sur le nez » : voici Aline, l’héroïne éponyme du premier roman de Ramuz. Tombée amoureuse de Julien Damon, fils de paysans riches, elle vit une véritable idylle, tandis que lui ne cherche qu’à apaiser sa faim. L’histoire débouche sur une fin tragique lorsqu’Aline, enceinte, apprend les fiançailles de Julien.
Tournant le dos aussi bien au récit psychologique qu’aux modèles naturalistes, Ramuz décrit avec subtilité la passion et le revirement des cœurs. En écrivain débutant, il pose dans cette épure célèbre les jalons d’une forme de roman poétique, à laquelle il aspirera tout au long de sa carrière.

 

Auteur

C. F. Ramuz

C. F. Ramuz est né en 1878 à Lausanne, où il a fait des études de Lettres avant de s’installer à Paris pour douze ans (1902-1914). Introduit dans le milieu littéraire par Édouard Rod, il y fait la connaissance du peintre René Auberjonois. Il rassemble les poèmes de son premier livre, Le Petit Village (1903), puis rédige notamment Aline (1905), Les Circonstances de la vie (1907) et Vie de Samuel Belet (1913). En 1914, Ramuz rentre en Suisse romande et fait paraître le manifeste Raison d’être, qui inaugure les Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, publie aussi bien des créateurs romands majeurs que Romain Rolland ou Paul Claudel. L’œuvre de Ramuz, pétrie de pessimisme et de fatalisme, est une longue série de variations sur l’amour et la mort, seuls sujets vraiment dignes d’être traités, de son propre aveu. Ses audaces stylistiques lui valent le reproche de mal écrire « exprès ». Mais il n’est de loin pas partagé par tous: dès 1924, Bernard Grasset édite les romans de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public français. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, résidant désormais à Pully, il publie des essais politiques et des textes autobiographiques, avant de s’éteindre à Lausanne en 1947. Ses Œuvres complètes (29 vol.) les plus récentes ont été publiées aux Éditions Slatkine et ses Romans (2 vol.) ont aussi paru dans la «Bibliothèque de la Pléiade».

Dans les médias

« La couleur de ce livre devrait vous tirer l’œil, la couverture est subtile et discrète. Il s’agit de la réédition du premier roman publié de C.F. Ramuz. Et je vous conseille vivement de commencer par l’introduction de Daniel Maggetti. Elle a le mérite de donner envie de lire ce qui la suit dans la mesure où elle situe l’œuvre par rapport à l’auteur, à l’époque et au genre. (…)

Cela se lit avec une très grande facilité et un plaisir, à mes yeux, évident. Celui qu’offrent les œuvres dont on sent que l’auteur les aime et les déteste en même temps… Ces œuvres que l’écrivain peut trouver ingrates et qui pourtant au fil du temps acquièrent toute leur dimension. »

Lire l’article de Noé Gaillard en entier ici

« La beauté épurée de ce roman atteint au plus profond de l’âme. (…) Imaginez un Giono sans la Provence, enraciné dans le Canton de Vaud. Un petit village sans nom, de rares habitants qui vivotent au quotidien et – c’est le sujet de ce roman – un drame d’amour. »

Une chronique de Léon-Marc Lévy à lire en entier ici

Coups de cœur

« Une fois refermé  »Aline« , vous aurez vraiment envie de crier ! Oui, je sais, l'allusion est facile, et pas à la hauteur du livre de Ramuz! Mais oui, vous aurez vraiment envie de crier!
Crier à l'injustice sociale d'une jeune fille humble séduite puis abandonnée par un un jeune homme de  » bonne famille« ;
Crier à la société patriarcale de ce village de Suisse vaudoise du début du XXe siècle qui pourrait être celle de n'importe quel autre village;
Crier au génie de Ramuz qui construit son récit comme une tragédie et pour qui » Il n'y a dans la vie que deux choses qui méritent qu'on en parle : l'amour et la mort.« ;
Crier pour tenter de sauver Aline, qui  »avait les yeux indécis comme l'aube« , et toutes les autres Aline! »

Extrait

I

 

Julien Damon rentrait de faucher. Il faisait une grande chaleur. Le ciel était comme de la tôle peinte, l’air ne bougeait pas. On voyait, l’un à côté de l’autre, les carrés blanchissants de l’avoine et les carrés blonds du froment; plus loin, les vergers entouraient le village avec ses toits rouges et ses toits bruns ; et puis des bourdons passaient.

Il était midi. C’est l’heure où les petites grenouilles souffrent au creux des mottes à cause du soleil qui a bu la rosée, et leur gorge lisse saute vite. Il y a sur les talus une odeur de corne brûlée.

Lorsque Julien passait près des buissons, les moineaux s’envolaient de dedans tous ensemble, comme une pierre qui éclate. Il allait tranquillement, ayant chaud, et aussi parce que son humeur était de ne pas se presser. Il fumait un bout de cigare et laissait sa tête pendre entre ses épaules carrées. Parfois, il s’arrêtait sous un arbre ; alors l’ombre entrait par sa chemise ouverte ; puis, relevant son chapeau, il s’essuyait le front avec son bras ; et, quand il ressortait au soleil, sa faux brillait tout à coup comme une flamme. Il reprenait son pas égal. Il ne regardait pas autour de lui, connaissant toute chose et jusqu’aux pierres du chemin dans cette campagne où rien ne change, sinon les saisons qui s’y marquent par les foins qui mûrissent ou les feuilles qui tombent. Et il songeait seulement que le dîner2[1] devait être prêt et qu’il avait faim.

Mais, comme il arrivait à la route, il s’arrêta tout à coup, mettant la main sur ses yeux. C’était une femme qui venait. Elle semblait avoir une robe en poussière rose. Il se dit : « Est-ce que ça serait Aline ?… » Et, lors- qu’elle fut plus près, il vit que c’était bien elle. Alors il sentit un petit coup au cœur. Elle marchait vite, ils se furent bientôt rejoints.

Elle était maigre et un peu pâle, étant à l’âge de dix-sept ans, où les belles couleurs passent, et elle avait des taches de rousseur sur le nez. Pourtant, elle était jolie. Elle avait les yeux indécis comme l’aube. Son grand chapeau faisait de l’ombre sur sa figure, jusqu’à sa bouche qu’elle tenait fermée. Ses cheveux blonds, bien lissés devant, étaient noués derrière en lourdes tresses. Elle portait un panier au bras, et ses gros souliers dépassaient sa jupe courte.

Julien dit :

– Bonjour.

Elle répondit :

– Bonjour.

C’est de cette façon qu’ils commencèrent. Et puis il dit de nouveau :

– D’où est-ce que tu viens ?

– De chez ma tante.

– Il fait bien chaud.

– Oh! oui.

– Et puis c’est bien loin.

– Trois quarts d’heure.

– C’est, dit-il, que c’est pénible avec ce soleil et cette poussière.

– Voilà, je suis habituée.

Ils se tenaient comme des connaissances qui se font une politesse de causer un peu, s’étant rencontrées. Julien avait une main dans sa poche, l’autre sur le manche de sa faux, et il tournait la tête en parlant. Mais les oreilles d’Aline étaient devenues rouges. Et lui aussi, malgré son air, il avait quelque chose à dire, qui n’était pas facile à dire. Il reprit :

– Où est-ce que tu vas ?

Elle dit :

– Moi, je rentre.

– Moi aussi.

Pendant qu’ils marchaient tous les deux l’un près de l’autre, Julien cherchait dans sa tête. Il y a des fois où on a les tuyaux de la tête bouchés. Alors, il regarda en l’air. On apercevait dans les branches les cerises blanches du côté de l’ombre et rouges du côté du soleil. Les abeilles buvaient aux fleurs toutes ensemble, avec un bruit de cloches.

Bientôt le village parut. Et Julien, parce que le temps pressait, alla plus profond dans sa tête, là où les idées se cachent, et dit :

– J’ai fauché toute la matinée, c’est pas commode par ce sec. C’est des jours de la vie où on n’a pas courage à vivre.

– C’est vrai, répondit Aline, on n’a de plaisir à rien.

– Et puis, dit-il, ayant trouvé son idée, il y a longtemps qu’on ne s’est pas revus.

Aline baissa la tête. Elle dit :

– C’est que c’est le moment où le jardin demande. Et puis, maman qui est toute seule.

Mais, comme il était têtu, il secoua le front.

– Ecoute, qu’il reprit[2], si tu étais bien gentille, eh bien ! on se reverrait.

Alors Aline pâlit.

– Hein ? dit-il.

– Je ne sais pas si je pourrai.

– Du diable pourtant ! on a des choses à se dire.
 Ce fut le moment où elle hésita et son cœur se balançait comme une pomme au bout d’une branche, et puis l’envie fut la plus forte.

– Si je me dépêche bien, dit-elle, peut-être une fois.

– Alors quand ?

– Quand tu voudras.

– Ça va-t-il ce soir, vers les Ouges[3] ?

– Oh ! oui, peut-être.
 Ils arrivaient au village; les maisons se tenaient au bord de la route avec leurs jardins, leurs fontaines et leurs fumiers. Julien dit encore :

– A ce soir, pour sûr.

Et elle répondit :

– Je tâcherai bien. Pour sûr.

 


[1] En Suisse romande, particulièrement à la campagne, le dîner désigne le repas de midi (DSR).

[2] L’incise « qu’il reprit » (et non pas « reprit-il ») induit un ancrage du narrateur dans le monde de ses personnages. Le narrateur et les héros de cette «histoire» semblent proches par la langue et la culture populaires. Cette proximité assure le ton du roman et son unité. Pour une étude des faits de langue propres à l’écriture romanesque de Ramuz le lecteur se reportera à l’article de Rudolf Mahrer : « Un français de plein air : la langue romanesque de C. F. Ramuz », Le Français moderne, n° 2, Paris, 2006, pp. 219-235.

[3] Toponyme attesté en Suisse romande. Dans Aline les repères géographiques précis sont rares.

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