Domaine allemand
Parution Mai 2024
ISBN 978-2-88907-383-2
176 pages
Format: 140x210 mm
Disponible

Traduit par Marion Graf
Préface de Peter Utz

Domaine allemand
Disponible

Traduit par Marion Graf

Robert Walser

La buveuse de larmes

Domaine allemand
Parution Mai 2024
ISBN 978-2-88907-383-2
176 pages
Format: 140x210 mm

Traduit par Marion Graf
Préface de Peter Utz

Résumé

Voici trente-deux proses brèves qui révèlent Robert Walser en homme-orchestre, capable d’illustrer le genre du feuilleton dans toute sa bigarrure et sa mobilité. Tour à tour chroniqueur, épistolier, penseur, paraphraseur, flâneur, conteur, il observe l’animation d’une gare, médite sur la montée des nationalismes, perce à jour la comédie humaine ou surprend une sulfureuse «buveuse de larmes». Léger, attentif, ce narrateur changeant n’est jamais où on l’attend. Sa fine ironie, sa lucidité ouvrent une brèche dans le quotidien. C’est là qu’il invite le lecteur à le rejoindre: «J’appartiens de toutes mes fibres au présent.»

 

Auteur

Robert Walser

Entre l’homme exemplaire qui a passé 23 ans interné à Herisau à ne s’occuper que de remplir strictement les tâches imposées, tel un moine, en ne se permettant que la promenade, les jours de congé, et le rebelle qui a dit «personne n’a le droit d’en savoir sur moi plus que moi-même», il y a la force d’un écrivain qui fait un avec son narrateur et son héros; qui se connaît lui-même mais ne s’adaptera jamais au monde social; qu’un rien surprend, quand il cherche un sujet partout dans une pièce, sous le lit et ailleurs, et qu’il s’exclame soudain devant le plus banal objet sous ses yeux, un parapluie défraîchi accroché à un vieux clou : voilà le sujet le plus admirable ! On ne peut que l’aimer à le suivre dans ses textes longs ou ses petites proses. On a envie de le voir joué au théâtre, d’en faire sa lecture quotidienne. Sa modernité tient certainement à la quantité de courts textes qui peuvent être lus rapidement, et à ses thèmes qui parlent à chacun.

Dans les médias

« Dans cet ouvrage, Robert Walser montre la variété de ses talents, allant de chroniqueur à conteur. Il parle volontiers de Jésus, s’interroge sur la beauté de la femme de Gessler, évoque Mór Jókai, l’écrivain le plus important de Hongrie, raconte l’ambiance d’une gare. C’est une carte de visite invitant à entrer dans son œuvre, un plateau de mignardises à picorer avec joie, une manière éveillée de voir le quotidien. » Tamara Bongard

« Il y a des livres d’une si délicate splendeur, d’une si éclatante évidence, qu’on aimerait simplement dire : lisez, et vous verrez ! Vous verrez scintiller cette couche fine comme de la soie qui fait à la fois le lien et la séparation entre le monde et nous, si fine que, souvent, on ne la voit pas. Vous verrez ce qui échappe aux mots et que pourtant les mots savent retenir quand ils sont bien ajointés. Vous verrez que n’importe quel sujet, une gare, une excursion dominicale, la neige « peut devenir bijou ». Et que ces petites proses sont « un accroissement du quotidien », comme le dit avec justesse Peter Utz dans sa préface à La Buveuse de larmes, de l’écrivain suisse Robert Walser (1878-1956). » Pierre Deshusses

« L’écriture de Walser a pour effet paradoxal de faire disparaître son objet – ville, livres, théâtre, films – dans le tourbillon d’une écriture restituant l’accélération, la fragmentation, la nervosité de la modernité naissante dont Berlin fut l’épicentre. »
«Feuilletons de la servitude volontaire» un article de Christophe Solioz à lire ici

« Il faut bien le dire: on ne se lasse pas de voir revenir de sa foulée alerte le fantôme bien vivant de Robert Walser (…) ce scrutateur à la fois débonnaire et pénétrant des moindres recoins du réel. (…)
Si la voix de Robert Walser réussit à nous toucher pareillement, c’est parce qu’en elle se mêlent l’air de rien la tendresse dilettante et le titillement de l’ironie, le don du cœur et la culbute de l’esprit. L’écrivain sait prendre son lecteur par la main, l’amadouer sans l’effaroucher tout en lui ménageant des surprises, qui tiennent à sa façon très personnelle de jouer de rapprochements contradictoires au sein de la phrase, ouvrant ainsi des brèches où se profile la figure du vertige. (…)
Cette complicité chaleureuse ressentie au contact de ces textes tient aussi à leur dimension autoréflexive. Souvent, le narrateur s’y met en scène, avec l’humilité de l’artisan, prenant plaisir à imager l’exercice en cours, se représentant tantôt sous les traits du bricoleur, du dessinateur, du menuisier, du forgeron. «Quand je suis bien disposé, c’est-à-dire de bonne humeur, je taille, je bricole, je forge, je rabote, je cogne […] On peut, si on en a envie, m’appeler un tourneur qui écrit. Quand j’écris, je tapisse.» » Maxime Maillard

« [Walser] capte le quotidien, évoque un livre, raconte un rêve, des silhouettes glissent. Beaucoup de ses textes restent inédits.
Dans La buveuse de larmes sont rassemblées trente-deux petites proses brèves que Walser n’avait pas envoyées, anecdotes, fragments de nouvelles, méditations sur son métier d’écrivain, souvenirs de jeunesse. Est-ce lui qui confesse sa foi dans le texte Quelques propos sur Jésus: «il a glissé une lumière dans les provinces de la vie, presque ou même tout à fait invisible»? » Francine de Martinoir

«La buveuse de larmes, c’est un roman de Pierre Decourcelle (…); Robert Walser lui fait un sort inattendu, en reprenant le titre pour l’une de ses petites proses les plus explosives, où en une seule phrase sur trois pages et demie toute la menaçante réalité du monde se concentre et finit par éclater — mais c’est une apocalypse de mélodrame, des larmes pour rire. Que si, selon la fameuse définition de Gide, un journal est ce qui a moins d’intérêt demain qu’aujourd’hui, les “proses brèves” que, sa vie durant, Robert Walser (1878-1956) a publiées dans les journaux sont l’honneur et le rachat du journalisme. (…) On comprend que la critique, par vocation “absolument moderne”, soit fascinée par un écrivain si invinciblement fragile ; on comprend aussi qu’il ait intéressé Kafka.

« Que le monde est beau et bon, quand on se promène! » Bien sûr, Walser est ironique, satirique autant qu’on voudra; mais il y a dans son ironie même une inquiétude qui serre le cœur. La réalité a-t-elle beaucoup plus de consistance que le rêve ? (…)
La vie extérieure, celle des autres, intéressait si peu Walser — elle qui l’empêchait d’écrire — qu’il entrera de lui-même chez les fous, parmi lesquels il mourra, d’une mort non moins fascinante que sa vie, et qui lui ressemble : il est parti se promener, seul, et on l’a retrouvé dans la neige, le jour de Noël. La promenade était finie.» Philippe Barthelet

 

« Robert Walser exégète de Robert Walser : c’est une façon de lire La buveuse de larmes. [Ces] textes ont été écrits entre 1925 et 1932 et correspondent à la veine de Walser, le goût pour la promenade, les charmes de la soumission, une légèreté, une image de simplicité, de proximité et de distance (mais il y a aussi des pages sur Jésus ou la littérature suisse). » Mathieu Lindon

« Sacré Robert, sacré Walser! De centaines de feuillets recouverts de pattes de mouche crayonnées (que les experts appellent micrographies), il extrait des scénettes criantes de vie et d’ironie, en les triturant, assemblant, réécrivant à la plume, comme les moines copistes du Moyen Age. Au départ, c’est une jungle sans titre ni date. A l’arrivée, ce sont des textes fluides et totalement publiables. Ils sont pleins d’apartés, de digressions, notamment quand leur auteur enrage de la pauvreté de son langage avec ses «peut-être», «semble-t-il» (Père et fille), ou qu’il donne foison d’explications pour s’assurer que les lecteurs suivent son raisonnement. D’ailleurs, il n’hésite pas à leur demander s’ils sont satisfaits de sa prose (Quelques bribes de mes années de jeunesse). » Marie-josé Brélaz

« Dans La buveuse de larmes, qui réunit des textes écrits en 1925 et 1932, on retrouve le talent de prosateur de l’écrivain sur format court et la profondeur de ses méditations, que ce soit sur des événements banals (une promenade, un baiser, un film) ou sur des figures d’exception (Guillaume Tell, Jésus). Chaque texte peut être lu indépendamment des autres et le lecteur y percevra comme une fenêtre sur le monde, comme un bref instant de vie où la finesse de la subjectivité de Robert Walser ébranle nos lieux communs. » Matthieu Giroux

« « Je suis une sorte de romancier artisan. Je taille, je brûle, je forge, je raboute, je cogne, je donne des coups de marteau et je cloue » : tel est l’art poétique de Walser. Pas de grandes idées, pas de grands sentiments. Un art modeste : un sujet lui vient à l’esprit, et il fabrique son objet. Ce dentellier est aussi un virtuose, et alors il devient moins un dentellier qu’une araignée qui tisse sa toile à partir d’un unique fil : c’est La buveuse de lames, qui donne son titre au volume, une seule phrase qui poursuit son sujet jusqu’à l’épuisement.
Robert Walser a écrit des romans miniatures, des essais miniatures, des descriptions miniatures, des drames miniatures : il est dans le minuscule, travaillé, raboté, et il sait qu’en agrandissant ce minuscule on verra renaître la vie. Le lire demande de la patience, une attention au moindre détail : Walser est un écrivain qui écrit à la loupe. » Christophe Mercier

« Retrouver Robert Walser, quel enchantement! (…)
Les textes de La buveuse de larmes étaient destinés à se nicher dans les journaux, en occupant cet espace de liberté littéraire qu’on appelle « feuilleton » dans les pays germanophones. Dans leur diversité de tons, de thèmes, de formes, ils montrent l’étendue du clavier sur lequel l’écrivain jouait. Qu’il fasse briller la poésie électrique de la ville, qu’il rêve de se mettre au service d’une servante ou qu’il envisage l’hypothèse selon laquelle Guillaume Tell et le bailli Gessler pourraient être « une seule personnalité contradictoire », c’est toujours la même ivresse du langage. Lire Robert Walser, c’est se laisser entraîner sur un ruban de Möbius où tout se révèle toujours réversible: le dehors et le dedans, la liberté et la servitude, la légèreté et la gravité, la joie et l’angoisse, les rires et les larmes qu’il nous fait boire. » Michel Audétat

« Au fil de ma lecture j’ai pensé aux auteurs-artistes suivants : Magritte, Ensor, Desproges, Vialatte, Chaissac, Kafka (dans cet ordre). Et deux citations, si je puis me permettre : « Je dévalise quand je dévisage » et « Hier, j’ai mangé du lard et des haricots tout en songeant à l’avenir des nations, songerie qui n’a pas tardé à me déplaire parce qu’elle nuisait à mon appétit. ». Noé Gaillard

« Un art du voir s’articulant autour d’une fausse naïveté de l’œil, une oreille ouverte aux discours du « temps-présent », une ironie subtile désamorçant et renversant tout jugement de valeur, une écriture qui semble d’une infinie simplicité mais qui est inimitable, et puis un invincible désir d’être insignifiant et de le rester : tout Robert Walser (1878-1956) est là. Tout son être aura été noué aux mots, faisant de lui l’un des derniers héros de l’écriture avec Kafka (qui l’admirait), Borges, Artaud ou Thomas Bernhard. (…)

De brèves proses donc, dans lesquelles Walser se fait tour à tour chroniqueur, conteur ou « artiste en chef dirigeant sa plume ». Que le texte prenne la forme d’une rédaction, d’une causerie ou d’une lettre importe peu. Walser écrit comme il pense, s’adresse au lecteur, se parle à lui-même. Et c’est toute son époque qui défile : les trains, les chapeaux à plumes, la grande ville, le cinéma, le théâtre, les expositions, l’excursion dominicale, les vulgarités de la réussite. C’est qu’il s’inspire de son réel quotidien, du monde qui l’entoure, de ce qu’il voit lors de ses promenades car la marche lui est un mode d’être autant qu’une source de motifs d’écriture. « II ne faut pas aller bien loin pour pouvoir dire qu’on vit quelque chose. » » Richard Blin

« Toute nouvelle parution de Robert Walser est un événement : La Buveuse de larmes, recueil de proses inédites, n’échappe pas à cette règle. (…)
Comme chez tout écrivain important, tout est passionnant chez Walser. « Le matériau trivial » dont Walser fait des bijoux s’appelle la vie, tout simplement. Le bavardage oral a chez lui la profondeur de l’écrit, et l’écrit a la légèreté de l’oral. (…)
Walser est l’écrivain de toutes les libertés, de toutes les audaces. Il s’observe lui-même en train d’écrire tout en prenant des nouvelles de son lecteur, oubliant de se prendre au sérieux. En sa compagnie, on partage un long bavardage enchanteur. Quelque sujet qu’il aborde – un séjour à la campagne, le compte rendu d’un livre, une fête en forêt, une promenade… – sa voix de conteur égrène, chemin faisant, de douces vérités. » Samuel Brussell

Coups de cœur

« Voici, selon l'auteur lui-même,  »une espèce de récit« ,  »un livre du moi découpé ou divisé« ; une suite de court textes où étincelle le génie narratif de Robert Walser et l'acuité de son regard sur le monde. Chroniques, pensées, flâneries, ce recueil inédit prouve – s'il en était besoin – que Walser est un des prosateurs les plus fins et les plus éblouissants du siècle dernier. »

« Avec ce recueil de petites proses inédites, Robert Walser, écrivain du mouvement et de la dérive, porte son regard en de multiples fragments sur la singularité du monde, sur ses enchantements et ses déséquilibres. Tout simplement subime!! »

« Disparu le jour de Noël en 1956, Robert Walser reste par ses livres un compagnon pour toute la vie. Délectez-vous de ses petites proses qui célèbrent la beauté et les aléas du quotidien, le goût des choses simples et des plaisirs (jamais coupables). »

« La buveuse de larmes est un recueil de textes inédits écrits dans les années 20 où l'écriture singulière de Walser croise sa fine observation de l'existence. À découvrir aux éditions Zoé! »

Extrait

Le Minotaure

Lorsque que l’écrivain s’éveille en moi, je passe avec indifférence à côté de la vie, je dors en tant qu’être humain et néglige peut-être en moi le citoyen qui, si je lui donnais forme, m’empêcherait aussi bien de fumer un cigare que d’écrire. Hier, j’ai mangé du lard et des haricots tout en songeant à l’avenir des nations, songerie qui n’a pas tardé à me déplaire parce qu’elle nuisait à mon appétit. Que ceci, ici, ne devienne pas une rédaction bas de soie, voilà qui me fait plaisir et sera peut-être à titre exceptionnel, c’est ce que j’imagine, du goût d’une partie de mes bienveillants lecteurs, du moment que cette façon continuelle de tenir compte des filles, cette façon incessante de ne jamais laisser les femmes de côté, peut ressembler à un assoupissement, ce que pourra confirmer toute personne à la pensée un peu vive. Une autre question m’occupe désormais, à savoir si les Lombards etc. possédaient oui ou non quelque chose comme une culture, et là, j’avance sur des chemins que tout un chacun ne discerne pas d’emblée, car il n’y a guère de phase de l’histoire humaine qui apparaisse aussi déconcertante que l’époque des grandes migrations, ce qui m’amène à la Chanson des Nibelungen, accessible aujourd’hui grâce à l’art de la traduction. Se balader en remuant dans sa tête le problème des nations, cela ne veut-il pas dire qu’on est en proie à de la démesure ? Prendre en compte de la sorte, sans en avoir l’air, des millions d’êtres humains, cela doit incommoder le cerveau ! Pendant que je suis assis ici, envisageant toutes ces personnes vivantes sous forme de nombres, pour ainsi dire par compagnies entières, il se trouve peut-être au sein de ce qu’on appelle la masse un être qui dort intellectuellement, dans la mesure où il a vécu sa vie sans se tracasser. Il est possible, peut-être, que des gens éveillés soient considérés par des dormeurs comme à moitié endormis.

Dans le dédale que forment les phrases ci-dessus, je crois entendre de loin le Minotaure qui me semble ne rien représenter d’autre que la difficulté velue de tirer au clair le problème des nations, que je laisse tomber au profit de la Chanson des Nibelungen, me débarrassant ainsi, pour ainsi dire, de quelque chose de fâcheux. De même, je songe à ficher la paix à tous les Lombards, je veux dire, à les laisser dormir, car je suis parfaitement conscient qu’une certaine sorte de sommeil est utile, ne serait-ce que parce qu’il mène une vie spécifique. C’est de ce petit brin de bonheur qu’il s’agit, me semble-t-il, avec la distance par rapport au bas de soie, que j’aimerais comparer à la distance par rapport à la nation, laquelle pour sa part ressemble peut-être à une espèce de Minotaure que pour ainsi dire, j’évite. La conviction s’est faite en moi que la nation, qui m’apparaît comme une créature qui a l’air d’exiger de moi toutes sortes de choses, me comprend, ou plutôt m’approuve le mieux quand je fais mine de l’ignorer. Dois-je témoigner au Minotaure de la sympathie ? Est-ce que je ne sais pas que cela le rend furibond ? Il croit que je ne peux pas exister sans lui ; le problème, c’est qu’il ne supporte pas le dévouement, de même que par exemple, il tend à se méprendre sur l’affection. Je pourrais aussi considérer la nation comme un mystérieux Lombard qui, en raison de sa condition, comment dire, de peuple encore non étudié, me fait sans aucun doute pas mal d’impression, ce qui à mon avis devrait pleinement suffire.

Toutes ces nations d’une façon ou d’une autre arrachées au sommeil se trouvent probablement placées devant tels et tels devoirs, ingrats ou gratifiants, ce qui pour elles est extraordinairement bon. Je veux dire qu’il vaut peut-être mieux ne pas trop abonder dans ce qu’on est, ne pas trop déborder d’aptitudes. Le problème du propre à rien allongé sur la molle rondeur d’une colline mérite peut-être un peu d’attention. Des guerriers surgissent de la respiration régulière du contenu de la Chanson des Nibelungen, et je ne peux pas refuser mon respect à ce poème dont la genèse est singulière.

Si je puis considérer comme un labyrinthe ce qui m’est venu ici, né de savoir et d’inconscience, alors le lecteur en ressortira maintenant un peu comme un Thésée.

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