Domaine allemand
Parution Déc 2009
ISBN 978-2-88182-661-0
128 pages
Format: 140 x 210 mm
Disponible

Traduit de l'allemand par Marion Graf

Robert Walser

Au Bureau. Poèmes de 1909

Domaine allemand
Parution Déc 2009
ISBN 978-2-88182-661-0
128 pages
Format: 140 x 210 mm

Traduit de l'allemand par Marion Graf

Résumé

En 1909, à Berlin, alors que ses romans valent à Robert Walser un début de gloire, son éditeur Bruno Cassirer fait paraître un recueil de ses poèmes, quarante en tout, illustrés d’eaux-fortes du peintre Karl Walser, frère de l’auteur. Ces poèmes, écrits dix ans auparavant, sont pour certains les premiers textes de Walser à avoir été publiés, en 1898, dans les pages du quotidien bernois Der Bund. Première dans l’œuvre, cette poésie d’un jeune homme de vingt ans a déjà l’intensité musicale, la tonalité de ferveur douloureuse et espiègle inimitable qui caractérise Walser. Cent ans après leur publication, il était temps de les donner à lire ces poèmes au lecteur français, dans une édition bilingue.

Auteur

Robert Walser

Entre l’homme exemplaire qui a passé 23 ans interné à Herisau à ne s’occuper que de remplir strictement les tâches imposées, tel un moine, en ne se permettant que la promenade, les jours de congé, et le rebelle qui a dit «personne n’a le droit d’en savoir sur moi plus que moi-même», il y a la force d’un écrivain qui fait un avec son narrateur et son héros; qui se connaît lui-même mais ne s’adaptera jamais au monde social; qu’un rien surprend, quand il cherche un sujet partout dans une pièce, sous le lit et ailleurs, et qu’il s’exclame soudain devant le plus banal objet sous ses yeux, un parapluie défraîchi accroché à un vieux clou : voilà le sujet le plus admirable ! On ne peut que l’aimer à le suivre dans ses textes longs ou ses petites proses. On a envie de le voir joué au théâtre, d’en faire sa lecture quotidienne. Sa modernité tient certainement à la quantité de courts textes qui peuvent être lus rapidement, et à ses thèmes qui parlent à chacun.

Extrait

Im Bureau

Der Mond blickt zu uns hinein,

er sieht mich als armen Kommis

schmachten unter dem strengen Blick

meines Prinzipals.

Ich kratze verlegen am Hals.

Dauernden Lebenssonnenschein

kannte ich noch nie.

Mangel ist mein Geschick ;

kratzen zu müssen am Hals

unter dem Blick des Prinzipals.

Der Mond ist die Wunde der Nacht,

Blutstropfen sind alle Sterne.

Ob ich dem blühenden Glück auch ferne,

ich bin dafür bescheiden gemacht.

Der Mond ist die Wunde der Nacht.

 

Au bureau

La lune jette sur nous un regard,

elle me voit, pauvre commis,

dépérir sous l’oeil sévère

de mon patron.

Je me gratte le cou, confus.

Jamais je n’ai connu dans la vie

de soleil durable.

Le manque est mon destin ;

ainsi que devoir me gratter le cou

sous l’oeil du patron.

La lune est la blessure de la nuit,

les étoiles sont des gouttes de sang.

Même éloigné du bonheur florissant,

à modestie, du moins, suis réduit.

La lune est la blessure de la nuit.

 

 

Langezeit

Ich tu mir Zwang,

zu scherzen und lachen.

Was soll ich machen,

die Zeit ist lang.

Gewohnten Gang,

im müden Herzen,

gehn alte Schmerzen,

die Zeit ist lang.

Ich muss den Hang,

zu weinen, bezwingen,

nebst andern Dingen,

die Zeit ist lang.

 

Langueur

Je me contrains

à rire et à plaisanter.

Que dois-je faire,

le temps est long.

Suivent leur cours

de vieilles peines

dans mon coeur las,

le temps est long.

Ce goût des pleurs,

je dois le vaincre

entre autres choses,

le temps est long.

 

 

Morgenstern

Ich mache das Fenster auf,

es ist dunkle Morgenhelle.

Das Schneien hörte schon auf,

ein grosser Stern ist an seiner Stelle.

Der Stern, der Stern

ist wunderbar schön.

Weiss von Schnee ist die Fern’,

weiss von Schnee alle Höhn.

Heilige, frische

Morgenruh in der Welt.

Jeder Laut deutlich fällt ;

Die Dächer glänzen wie Kindertische.

So still und weiss :

Eine grosse schöne Einöde,

deren kalte Stille jede

Äusserung stört ; in mir brennt’s heiss.

 

Étoile du matin

J’ouvre la fenêtre

sur la sombre clarté du matin.

La neige a cessé de tomber,

une grande étoile est à sa place.

L’étoile, l’étoile

est merveilleusement belle.

Blanc de neige, le lointain,

blancs de neige, les sommets.

Sainte, fraîche

paix du matin dans le monde,

chaque bruit tombe, distinct ;

les toits brillent comme des tables d’enfants.

Tant de silence et de blanc :

vastes et belles solitudes

où chaque parole trouble

le froid silence ; en moi, quel feu !

 

 

Helle

Graue Tage, wo die Sonne

sich wie eine blasse Nonne

hat gebärdet, sind nun hin.

Blauer Tag steht blau da oben,

eine Welt ist frei erhoben,

Sonn’ und Sterne blitzen drin.

Alles das vollzog sich stille,

ohne Lärm, als grosser Wille,

der nicht Federlesens macht.

Lächelnd öffnet sich das Wunder,

nicht Raketen und nicht Zunder

Braucht’s dazu, nur klare Nacht.

 

Clarté

Les jours gris où le soleil

prenait des airs

de nonne pâle sont passés.

Jour bleu, tout bleu là-haut,

un monde flotte librement,

soleil, étoiles y étincellent.

Tout s’est accompli en douceur,

en silence, en un vouloir immense

qui ne fait pas d’histoires.

Miracle éclos dans un sourire,

ni fusées, ni amadou,

il a suffi d’une nuit claire.

 

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