Un pays à la forme reconnaissable entre toutes. Une péninsule étroite jetée sur la Méditerranée, une botte, rampe de lancement du plus grand empire qui ait jamais régné sur le monde occidental. C’est aussi une cicatrice, trace de la collision des plaques africaine et eurasienne qui provoquent secousses et séismes depuis plusieurs millions d’années. La botte, l’empire, la tectonique des plaques, et puis une certaine façon d’exister – la douce vie, éternité d’indolence ensoleillée qui attire les nostalgiques et les touristes. L’unité tardive de la nation ne parvient pas à masquer la pluralité de ses histoires. Au Nord, les crachats grisâtres des industries obscurcissent la plaine du Pô. Au Sud, le désert gagne du terrain sous l’influence conjuguée des vents sahariens et de l’abandon économique. Des graffitis recouvrent les ruines. Sur les plages viennent s’échouer des canaux pneumatiques.
Sur la terre ferme, logée dans une baie iconique, Naples, deuxième métropole du pays. Quatre millions de personnes et pas une qui puisse prétendre échapper au temps géologique. La chose est acquise, on vit avec depuis qu’on vit ici : Naples est bâtie au milieu d’une zone volcanique, odeurs de soufre et tremblements de terre, phénomènes de surélévation ou d’affaissement du sol – au fond de la baie reposent les vestiges d’une ville engloutie. Les volcans, ici, disposent du dessus et du dessous, recrachent les enfers à la face des humains ou engouffrent la surface du monde si ça leur chante. De temps à autre, un nouveau cratère soulève le manteau terrestre, calcinant et enfumant quelques portions de territoire durement acquises par les populations. La terre rappelle que le droit de continuer à exister ici dépend d’elle avant tout.
Il est exactement 7h du matin, ce 18 octobre, quand les premiers signes se manifestent. Entre les pavés de basalte de Spaccanapoli s’immiscent des fumerolles, des secousses mettent à l’épreuve la symétrie des colonnes de San Francesco di Paola, l’eau du lac d’Averne change subitement de composition. Au centre de Naples, le chaos quotidien du trafic et l’abondance des gaz d’échappements masquent un moment l’imminence de l’événement. Les Vespa brûlent l’asphalte dans l’aube éclatante, les touristes montent sur des bateaux en direction du Vésuve, les corps de plâtre de Pompéi, figés par la lave depuis deux mille ans, retiennent leur souffle. Dans le ventre de l’Italie, la pression se fait insupportable. C’est à quelques kilomètres de Naples, au cœur d’une zone antiquement baptisée Champs Phlégréens, qu’explose la première poche de magma. Un panache de roche en fusion crève l’écorce terrestre. Avec une violence aussi phénoménale qu’imprévisible, l’éruption commence.