Un musée de zoologie, un matin de septembre. Je suis là pour inventorier des animaux empaillés et je me prends d’affection pour le perroquet-hibou, étrange oiseau qui refuse de trancher, menacé d’extinction et classifié comme spécimen rare à sauver en cas d’incendie. Dans la même salle se trouvent des centaines de bêtes, dont un requin et un rhinocéros mais ceux-là, dit le taxidermiste du musée, sont trop lourds pour être transportés en urgence. Si la baraque brûle, ils brûlent avec. Et la tortue, je demande ?
Les dernières années de sa vie, elle était tellement immobile dans son enclos que le personnel du zoo n’a pas noté de changement le jour où elle a arrêté de respirer. Quand le taxidermiste l’a réceptionnée, sa mort remontait à une bonne semaine. Il explique qu’aujourd’hui, la profession s’est spécialisée, tu fais juste les rapaces ou les batraciens, mais à l’époque, on prenait ce qui arrivait. Lémurien, chat domestique, paon, on apprenait sur le tas.
Lui-même n’avait jamais fait de tortue. Le temps qu’il déniche un livre décrivant la procédure, la décomposition du cadavre se poursuivait, l’odeur dans l’atelier est devenue insoutenable. Le taxidermiste s’est installé dehors, sur la grande place devant le musée. Les gens qui flânaient approchaient de son établi. La difficulté était de découper la carapace sans l’abîmer. Scie, scie sauteuse, disque à métaux, il combinait les outils en cherchant un moyen de caler l’ouverture. Les gens reculaient, une main sur le visage.
La carcasse vidée et nettoyée, restait encore à la rembourrer. Le taxidermiste a pris ce qu’il avait sous la main, ce qui traînait dans ses poches et dans son atelier, ce qui jonchait le sol de la place. Laine de verre, sable, ficelle, papiers d’emballage, reçus de supermarché, billets de bus. Pas très orthodoxe, sourit-il. La tête du restaurateur qui ouvrira la bête dans quelques années.
Je regarde la tortue jusqu’à me convaincre que j’ai surpris un frémissement sous sa peau, un reflet dans son oeil. En cas d’incendie, je voudrais qu’on la sauve aussi. Il faudrait la soulever pour voir si c’est faisable.