Le monde est une place de jeux.
On sort de chez soi, on a du temps libre, on est plus ouvert, plus poreux, on sourit aux inconnus, on cherche le contact, on demande où ils habitent, d’où ils viennent, ce qu’ils ont vu, s’ils ont aimé, combien ça a coûté, quel âge a le petit, ah, il est grand pour son âge, il va déjà à l’école ?, on est une grande famille de gens loin de chez eux, on a l’adrénaline du toboggan, on s’invente une nouvelle vie dans une petite cabane, on va le plus haut possible, le plus vite possible, on découvre la transe de la balançoire, le vertige du tourniquet, on tourne, on tourne, plus vite, plus vite, c’est notre Grand Tour, celui des petits bourgeois aisés à qui l’on permettait de s’amuser dans les capitales européennes avant de se ranger, c’est le tour du monde en un après-midi, la conquête de l’espace, la ruée vers l’Est, le Pékin express. Le hamac est une balançoire. La plage, un bac à sable. Le voyage, un carrousel. On est retombé en enfance, sans la surveillance des grandes personnes, on se déguise en baroudeur, on achète n’importe quoi, on se déplace n’importe comment, on ne respecte pas les installations, on ne fait que passer, on loue pour quelques dollars des vélos trop petits pour pédaler en plein soleil, des motos trop nerveuses pour rouler à trois sur la selle et sans casque, on se sent en sécurité, hardi et léger, on rajeunit, on est tout excité, même si on retrouve partout les mêmes aménagements, les mêmes caisses enregistreuses, les mêmes assiettes de frites, les mêmes toilettes homme et femme, les mêmes boutiques à souvenirs, la même balançoire, le même bac à sable, le même tourniquet, on racontera ses aventures avec une liberté feinte, on archivera les preuves de ses vertiges, on fera semblant, on fera comme si, on s’imaginera avoir rompu les lois de l’uniformité et de la monotonie.
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