Je dormais. L’orage a d’habitude un effet apaisant sur moi, mais cette fois il pleuvait à l’intérieur du logis. Le Capitaine Rouge bondit hors du lit, proféra plusieurs choses qui me parurent toutes lâchées à la fois et décampa. Vers le matin, mon sommeil est très profond. Il faut alors beaucoup pour m’émouvoir. Je fus pourtant sensible au départ précipité du Capitaine, plus à cela qu’à l’orage lui-même. Il avait allumé la lumière et fait une véhémente remarque à propos d’électricité. Je vis que de l’eau ruisselait par l’interrupteur. Je me levai à contrecoeur, trouvai une boîte d’allumettes sèches, allumai une bougie et dévissai le fusible. Il me sembla que le long du mur, sous la partie haute du toit, l’eau pénétrait moins. Somnambuliquement je poussai des affaires de ce côté et retournai me coucher, redoublant sur moi la couverture bleue, heureusement très douce et épaisse. Là-dessous j’écoutai la batterie de l’averse, percussions claires sur les objets durs, table, évier, casseroles, tambourinements sourds sur les choses molles, vêtements, tapis. Les bardeaux du toit gonflent, me disais-je, les fentes diminuent. Ici on n’a pas l’habitude de ce genre de chose, avait dit le Capitaine Rouge avant de déserter. Mais je ne me sentais pas abandonnée. J’ai écouté vaguement, de plus en plus vaguement le tonnerre s’éloigner de l’île, une grosse goutte a mouché la chandelle et je me suis rendormie.
Fait remarquable, signe d’un ange, noté confusément sous la couverture bleue et constaté quand je me levai : il n’avait pas plu où j’avais dormi. Juste à côté le lit du Capitaine était trempé, ainsi que pratiquement tout dans le bungalow, mais la surface du toit correspondant aux deux mètres carrés occupés par mon sommeil avait résisté. Les exemples abondent, depuis que j’ai rencontré le Capitaine Rouge, de l’intervention d’un ange soucieux de moi. Je revissai le fusible et fis chauffer de l’eau. Je bus une tasse de nescafé et entrepris de réparer un peu la situation. Le ciel était gris, la cour une mare boueuse. Les bougainvillées s’égouttaient froidement le long de ma nuque. Heureusement, la propriétaire était absente, elle n’aurait fait qu’ajouter au désordre. Mais ses chiens étaient là, ses chiens qui s’étaient pris pour moi d’une affection tenace. Les deux chiennes et les deux chiots tout crottés jappaient et frétillaient gaiement, fixant sur moi des yeux brillants pleins de confiance. Je mis un pull-over par-dessus mon pyjama et j’allai remplir les écuelles.