Zoé Poche
Parution Avr 2016
ISBN 978-2-88927-331-7
120 pages
Format: 105 x 165 mm
Épuisé

Maurice Chappaz

Testament du Haut-Rhône suivi de Les Maquereaux des cimes blanches

Maurice Chappaz

Testament du Haut-Rhône suivi de Les Maquereaux des cimes blanches

Zoé Poche
Parution Avr 2016
ISBN 978-2-88927-331-7
120 pages
Format: 105 x 165 mm

Résumé

Dans le Testament du Haut-Rhône, Chappaz déroule une prose poétique aux images vibrantes et mélancoliques, abordant sa vie, son rapport à la nature et la beauté du paysage valaisan, pressentant les bouleversements tragiques qui menacent les vallées.
Les Maquereaux des cimes blanches (1976) est une collection de trente textes poétiques et satiriques dans lesquels Chappaz plaide pour la nature et dénonce ceux qui sont prêts à sacrifier la montagne sur l’autel du profit. Il s’attaque à la vaste maffia valaisanne qui, à la fin du XXe siècle, a entrepris de brader les Alpes aux entrepreneurs.
Grâce à ces textes, le poète valaisan a fait prendre conscience aux Valaisans que les Alpes sont plus qu’une simple ressource économique à surexploiter, et doivent être protégées et respectées.

Auteur

Maurice Chappaz

Maurice Chappaz, né en 1916, est décédé le 15 janvier 2009. Poète, prosateur, pamphlétaire –  Les Maquereaux des cimes blanches est un livre emblématique de son œuvre et n’a pas vieilli depuis 1976 –, il était devenu un écrivain prophétique qui combattait contre la dégradation de la terre et en particulier de la montagne. Jaccottet dit de lui : «A l’image d’un Rimbaud, il avait l’élan d’un adolescent-poète qui a su maintenir la grâce une fois la jeunesse finie. J’étais émerveillé par sa vivacité d’esprit.»

Dans les médias

« … Ces deux textes constituent un plaidoyer poétique et féroce pour la préservation des Alpes menacées par les constructeurs et autres spéculateurs immobiliers. »

« Les deux livres de Maurice Chappaz réunis dans ce volume de poche sont tous deux livres poétiques. L'un est lyrique, l'autre satirique. Le premier a paru en 1953, le second en 1976, et le temps écoulé entre les deux explique que le poète soit passé d'un genre l'autre, les circonstances ayant considérablement changé entre-temps.

Le Testament du Haut-Rhône, comme Les Maquereaux des cimes blanches, sont proses poétiques d'amour pour le Valais, région unique au monde pour Maurice Chappaz (…) » Francis Richard

« Les éditions Zoé réunissent en format poche deux textes importants de l’oeuvre de Maurice Chappaz.

Paru en 1953, Testament du Haut-Rhône est une spectaculaire poésie en prose dédiée au Valais des symboles, du ciel et de la terre. En cette moitié du vingtième siècle, l’auteur montagnard assiste aux débuts du tourisme de masse, au développement de nombreuses stations. C’est l’époque des grands travaux: dix ans plus tard, la Grande Dixence sera achevée (Chappaz sera d’ailleurs de l’aventure, travaillant sur le chantier en tant qu’aide-géomètre). Le poète pressent la fin d’un monde. Il s’interroge sur ce que pourrait être l’essence du pays, et en parlant du Valais c’est lui-même qu’il recherche. A presque quarante ans, l’homme parcourt le monde pour mieux aimer sa terre.

Vingt ans plus tard, nous sommes en 1976, un Valais médusé découvre Les Maquereaux des cimes blanches, pamphlet implacable qui portera le Vieux pays à ébullition durant plusieurs mois. En une trentaine de petits textes, poèmes, dialogues et saynètes, Chappaz dénonce, et avec quel plume, la marchandisation de son canton, véritable sacrifice auquel il assiste. (…) » Julien Sansonnens

L’article en entier ici

Extrait

L’ouverture du Testament

Je loge à quelques lieues seulement de la forêt, au bout d’une prairie où les eaux s’évadent. Par les fenêtres ouvertes de ma demeure de bois (qui me porte et toute une famille d’enfants déguenillés, en train maintenant de dormir), on entend les clochettes d’un troupeau de chèvres qui se déplace sur les pentes ainsi qu’une eau courante ou un nuage de feuilles sèches. Des silhouettes d’hommes et de bêtes surgissent des champs ; j’aperçois des chevaux immobiles posés sur des socles de terre ou mouvants fantômes noirs. Les secondes fuient du sablier : ces petits personnages, ces jouets sombres de ma pensée marquent une heure. Quand ils bougent, je sens ma mort. Les animaux me traînent au-delà des labours comme sur une claie ; et le ciel, et ce sol que tachettent les corneilles sont irrigués de mon sang. Par une inadvertance du destin, j’ai ouvert dans mon adolescence le soupirail du songe, et ces rapts s’exécutent lorsque se tendent les fils fatals qui enchaînent ma vie au soleil. Néanmoins de telles menaces me frappent plus rarement au désert, car cette pensée qui me surveille trouve un aliment, l’écho s’en affaiblit dans ma cervelle qui pourrit pareille à la mâchoire de l’âne sous les sables.

 

La nature du Valais

Que n’ai-je été, au lieu d’un envoyeur d’épîtres, qu’une main qui plante ou qui pétrit, tout entier un filtre grossier de la nature, idiot même. Le sang de la grappe de raisin et le vent du Rhône ont gelé en moi et je suis réduit à rôder avec les prostitués mâles autour des temples désaffectés. J’ai pris la route derrière les bibliothèques et les latrines de ces temples sis sur l’angle des monts fauves et j’ai grimpé jusqu’à des pâturages, balances des ouvriers et des bergers avec leurs règnes différents comme le jour et la nuit : troupeaux et sources, machines et sources. J’irai clore là une vieille force génésique. La raison de nos contrées était dans le mariage des eaux et des bœufs. Maintenant des moines laïcs y ont dégagé la graine d’or de la lumière. Les barrages écraseront les styles hiératiques et ce discours à ras de la terre de l’aveugle-né. Tout ce qui s’appuie sur le rêve s’écroulera dans l’air du matin.

Les villages empoignent la barre à mine au lieu de la charrue et taillent le rocher ; ils se battent pour le souffle de vastes nations, ils seront capables de tyrannies doctrinales, tandis que le clergé perd comme un homme sa barbe virile: fleuves, champs de fèves, vergers. Que signifie d’ailleurs la vertu d’un petit nombre si la caution n’est plus bourgeoise?

Une parole des fermes devenues quasiment de dures petites épiceries, où les dimanches languissent, dit : l’union de ce qui est divin et de ce qui est mortel ne donne pas satisfaction. Je suis plein de ce litige et je sens le monde tel un jardin frémissant suspendu à une ravine. L’avenir des colombes je le soupèse moins fragile que le mien, tandis qu’avant le tremblement, je recense les monts pensifs. Je compte quelques enfants nus dans les herbes, un vieillard qui fume, des femmes qui tondent des moutons et des creuseurs de vignes. La rogation mendiante titube, chante. Sang de Barbe ! Sang de Pierre ! La nuit emplit la panse paysanne. Les patrimoines immuables se délitent ; les figures majeures des vallées, qu’elles soient humaines, bestiales, bois ou cette pierre verte taillée, telle mule gravide, tel sachet de génépi, tel visage, telle fontaine, toutes sont tombées en bas les torrents.

Ô étoile de Vénus, vin de primevères des villes bourdonnantes et des campagnes parlant peu, planète douce du printemps, toi qui présides tantôt au premier marché de l’aube, tantôt pénètres dans notre songe avec la première boisson du soir, inspire-nous à tous, semblable à ta course dans le ciel, la mort et la résurrection. Je vais ici, je vais là, un drame qui dérange la province tacite en graines, en fumées, souvent me hante : ces familles de paysans qui périssent dans une fosse à purin. Dans les auberges, je lis les feuilles qui racontent les décès et j’ai toujours retenu celui-là, car c’est vraiment une mort de campagne et la présence du diable. Je me souviens d’un père et de ses quatre fils ; d’oncles, de frères, de beaux-frères. Une terrible chaîne se forge. Le premier, la tête lourde, est happé puis tous les sauveteurs ignorant le poison s’abattent les uns sur les autres. Nous qui sommes à cheval sur l’ancienne et la nouvelle vie, succombons de cette manière ; la décomposition des choses nous atteint. Oh ! que l’étoile du printemps se lève ! Je crie les noms des villages descendus aux enfers, qu’il sorte d’eux ce morceau de jade vert, qu’elle se filtre à travers notre vieillesse cette goutte de lumière. Nous accepterons l’ombre, nous accepterons d’être à présent des victimes mais que purifiés, décantés de toutes les misères, des maladies qui anémient les évangiles de l’unanimité et de la joie, nous renaissions pleins de la plénitude céleste. Que tout ce qui fait obstacle au temps nouveau soit détruit.

Maintenant je dis adieu au pays des calices, je désirerais disparaître et renaître. J’ai trouvé ici-bas un grand amour et la fécondité a été de sa sagesse. J’ai une famille, je tâte ma canne pendue dans le foyer et je regarde parfois telle une nouvelle patrie au-delà de ces montagnes : terrasses d’abricotiers, larges assises bleues abondantes en mystère, fentes, chas d’eau de neige, de cascades bouillonnantes, ombre partout et cimes blanches innombrables. C’est le versant du granit et le versant de l’albâtre. La tentation me prend de me glisser de l’autre côté, de féconder une jeune fille, une paysanne de roche et de sucer un peu l’ancien monde qui commence avec une figue ou avec l’olive grise. Car une malice, dont sont à peine maîtres les prêtres, me fait souhaiter de ne me vouer plus qu’aux enfants de la chair que je voudrais justement parce que je suis un être faible, décapité de la plupart de ses intérêts, nombreux, différents de lieux et de souches. Nulles, sans valeur productive mes mains mais je voudrais des fils qui sèmeront le blé à côté des premier-nés d’un haut espoir, nés de l’âme-sœur. Qu’ils refassent et retissent tous ensemble mon existence déchirée. Le moule qui m’a formé, ultime candidat à la sérénité contemplative, est en miettes. Les bébés sont la graisse de notre vie. J’étais prédestiné à interpréter et à cheminer à travers les montagnes. Je me débats comme je peux contre la lettre morte, la brièveté de l’existence, la dissolution de nos efforts. Les écritures feront sauter ce village au fond de ma vallée, ce crâne bâti avec les cailloux de la moraine d’où je soutire encore une pensée. Question de finesses, de goûts, notre pays est un reproducteur de première catégorie. Le fleuve n’est qu’une ruée d’eau de truites et il cherche les grandes îles d’or. Double est notre destinée, mais apportez-moi du pain et du vin, et un quartier de vache noire contre mes chants, et que je célèbre pour vous l’étoile du soir et l’étoile du matin.

 

Élever des lapins après le déluge

L’an 2000 s’éloigne. L’avenir nous rassure. Les égouts subsistent plus longtemps que les temples.

Les sauvages vendent aux camionneurs (cinq ou six carcasses circulent encore sur les tronçons d’autoroute) des pièces de monnaie, des effigies ramassées sur les tumuli, les collines aux corneilles entre S. et S. disparus. Elles représentent des Césars de Carnaval, ces chefs aux joues pendantes contre les téléphones, à l’œil si dur comme des coups de fourchettes que j’ai bien connus.

Je continue de crier qu’il n’y a plus rien, plus rien.

Hier un policier en sortant de sa hutte a battu comme plâtre un ancien banquier qui n’avait rapporté aucune épave à la communauté après avoir farfouillé dans les ruines.

Sa fille ex-professeur de piano lave les pieds de Peter le forgeron. Il sait courber les vieux fers.

On espère un jour être des paysans, s’embarquer sur des fermes dans des prés.

J’ai été cisaillé à la nuque par les corneilles affamées.

Ma plus grande joie : la rencontre des deux clodos près du pont qui avaient des saucisses de chien.

Le temps coule très prudemment comme les robinets pendant les gelées.

 

 

 

4e de couverture ? (390 signes)

La séance est ouverte.

– Le silence a été vendu hier à l’Armée.

– Et le soleil ?

– Exporté et exploité sur place. Moitié, moitié.

– L’eau ?

– Idem.

– La Société valaisanne de l’Eau dans le Vin a souscrit une partie des actions.

– L’air, reste-t-il de l’air ?

– Oui, un petit stock autour des 4000.

– Mammon, vous placerez ça dans l’épicerie.

– Ils prennent aussi la neige ?

– Ils prennent aussi la neige.

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