C’est l’art d’un magicien de parfaite probité. «Peut-on imaginer métier plus honnête?» nous disait un jour Auberjonois qui venait de copier un fragment de l’Eliézer au Louvre. Et cela vaut pour toute l’oeuvre de Poussin. Transparence… sera-ce pour nous le mot-clé ? Oui, la contagion de Poussin est une contagion de transparence. Un souvenir ancien me le redit sans équivoque possible: dans une salle du Louvre – un Louvre d’il y a vingt-cinq ans, hélas! – où des hautes verrières pleuvait au lieu de jour une sorte d’impalpable cendre, cet ingénu debout devant le Phocion qui émerge lentement de la pénombre, un ingénu qui s’abandonne à la contemplation, mais à une contemplation encore impure. Fraîchement tiré des rues, le cerveau brouillé de leur vacarme récent, le corps immobile, mais encore habité par le rythme de la marche, il voit naître devant lui sur cet espace de toile peinte, entre les rives du cadre d’or, un monde singulier qui se précise, s’ordonne et se colore: l’arc sur le ciel d’un grand arbre incurvé, de multiples architectures grises et roses, maisons, temples et tombeaux ; d’autres architectures de feuillages que des arbres élèvent avec noblesse au-dessus du miroitement de longues eaux luisantes et calmées; puis des hommes apparaissent, les porteurs de la civière où gît la dépouille du guerrier, un berger parmi ses ouailles, la théorie, sous les murs de la cité, de processionnaires imperceptibles… Un monde clos et parfait, qui n’est pas celui du rêve, car il n’en possède ni les surprises hagardes, ni les failles de ténèbres, ni la fugacité. Qui ne demeure pas non plus un reflet du réel: loin d’en être le double, il en devient comme le mystérieux achèvement.