Chapitre 1
Note de Mista AcaDa-Writa.
Si vous n’êtes pas d’accord avec la langue que je vais utiliser pour dire cette histoire, alors rejoignez-moi seulement ici à Élobi, à la terrasse du bar de Uncle Godblessyou.
Tout le monde dans le bidonville m’appelle Mista AcaDa-Writa, le Raconteur d’histoires.
C’est ma profession.
Chaque matin, alors que les rayons de soleil dansent depuis longtemps déjà sur le toit des maisons, moi je chantonne devant la glace. Le volume de mon afro doit être impeccable. Encore quelques coups de peigne. Je remets à leur place un, deux… quatre cheveux rebelles. Voooilà. Une boule spongieuse, cotonneuse, soyeuse. Un nimbe lumineux. Fine. Shine. Parfait ! Les carreaux beiges de mon pantalon enfilés, je ferme le dernier bouton de mon veston rose-tilapia. Du-dedans de mes pieds, je sens monter la fraîcheur de mes pompes bien lustrées ; je les ai à peine sorties du frigo.
Lorsque je suis enfin prêt, j’ouvre la fenêtre de ma chambre. Affolé, un moineau décampe. Dans son sillage, une fine poudre rose cristalline.
Le ciel est une vaste étendue de bleu monochrome. Là, dans ce p’tit-angle gauche, les arbres se dressent avec autorité. Allure distinguée, ils exhibent le velours vert-mousse et l’abondance de leur frondaison. Des fruits, des fleurs et des légumes pendouillent comme des bijoux fantaisie. À la hauteur du gros-angle droit, la rue Sans-Nom. Elle est bordée d’une pagaille de constructions en vrac. Plusieurs d’entre elles tiennent sur des béquilles. Celles-ci sont bancales. Celles-là sont brimbalantes. Les autres, bringuebancales. Seul le très animé bar de Uncle Godblessyou tient debout-debout. Quoique délavées, les façades ont conservé l’étrange éclat de leur jaune-citron, leur pourpre-hibiscus, leur bleu-pastel. De temps en temps, des p’tites traînées lumineuses jaillissent comme des étoiles filantes. Le rose de leur panache est fugace.
Enfin, là, tout au centre du tableau, deux gamins jouent à la devinette. Le premier, le cabri noir, demande à son ami le cabri albinos : « Qui-ce qu’est le plus grand, le plus fort et le plus gentil de tout Élobi et même de touuute notre Crevetterie ? » De mille gambades, le cabri albinos répond : « Sa Phall’Excellence Oyééé ! Sa Clith’Altesse Oyééé ! » Il est si heureux que deux p’tites ailes couleur miel lui poussent dans le dos. Une feuille de laitue entre les babines, le voilà qui s’envole avec émerveillement, telle une colombe.
Arrivé au bar de Uncle Godblessyou, je suis accueilli par Adouh-Ouhou, un rien de garçonnet du quartier dans un élan de joies. « Yayato Oh ! Yayato ! Bienvéni Oh, Mista AcaDa-Writa ! » qu’il se réjouit. Son sur-rire est tout blanc d’innocence. Pourtant, son crâne n’est déjà plus que tissu de plaies. Au moment où-ce que je dépose mon gros-genou droit au sol pour lui régaler une comptine, j’entends siffler derrière moi : « Nom d’un clitharicot ! » C’est Mami Mbôma, la grosse vipère cornue. « Badluck ! » qu’elle claque de sa langue fourchue. Elle fronce son gros-œil droit et son p’tit-œil gauche dans un V vif, agressif. « Regardez-moi cette phallan-chose qui se fait appeler Mista AcaDa-Writa ! Tu gaspilles tous tes morceaux de journées à raconter des histoires. Dans un bar ! Et c’est toi, tout toi comme ça-là qui veux causer avec mon neuf-mois ? Écoute-moi bien : si tu laisses pas mon N’Adouh-Ouhou loin en-dehors de tes machins-trucs-chattes de rêves-là, alors tu verras si je te mordrai pas le phallanus. U don ya mi nor ? Compris ? » Mami Mbôma rajuste une mèche de son postiche blond ; ses cornes se dressent en spirales. Elle m’arrache son agneau de gosse dont les yeux ne me quittent pas. Tandis qu’elle s’éloigne, la queue enroulée en laisse sur le collet du p’tit, elle crache : « Mista AcaDa-Writa de ma bosse fessue jooor ! »