I
Voilà, ça y est. Je suis dans l’avion qui m’amène à Douala.
Retour au pays.
Mon cœur bat si fort.
La joie, mais aussi la peur de rentrer à la maison.
Douala, j’y ai vu le jour et passé les dix-huit premières années de ma vie.
J’y ai grandi sans presque jamais me rendre dans une autre ville du pays. À l’exception de Yaoundé, la capitale.
Doualaien, qu’est-ce qui fait de moi un Camerounais ?
Cela me rappelle des amis genevois qui, malgré l’excellent réseau ferroviaire suisse, n’ont jamais traversé la Sarine à Fribourg pour se rendre en Suisse dite alémanique.
Qu’est-ce qui fait d’eux des Suisses ?
Pourquoi se décider seulement maintenant à retourner au pays ?
Kamerun : une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971).
J’ai assisté à une présentation de ce livre à Genève, en présence de deux de ses co-auteurs : Thomas Deltombe et Jacob Tatsitsa.
Ils abordent la guerre d’indépendance du Cameroun dans les années 50.
La découverte de mon ignorance m’exaspère.
Je lis abondamment sur le sujet. Je creuse et des nappes de questions apparaissent : je décide de faire le pas du retour au pays.
Encore une petite hésitation.
Il me vient alors un si beau passage de L’Énigme du Retour de Danny Laferrière :
« On naît quelque part, si ça se trouve, on va faire un tour dans le monde, voir du pays, comme on dit,
Y rester des années parfois, mais, à la fin, on revient au point de départ. »
Mais, à la fin, on revient au point de départ.
Il était temps de retourner vers cette terre mal connue.
Surtout vers cette histoire récente, si peu abordée, voire gommée.
Sciemment.
II
Mon fils, que personne ne te raconte des histoires : que tu viennes de Douala ou de Yaoundé, il te faut seulement passer par Boumnyébel pour arriver dans mon village-ci où nous sommes là maintenant, à Song Mpeck. C’est obligé oh ! Ou ça ou rien ! Sauf si tu décides par toi-même de contourner par le ciel. Mais là, hum, je ne sais pas, moi, comment ça se trame, hein. De ma vie à moi, je n’ai jamais mis mes pieds dans un avion. Je n’en ai même pas encore vu un, comme ça, de mes propres yeux-ci ; sauf peut-être quand ça vole ici en haut, au-dessus de nos forêts, en nous cassant les oreilles avec son bruit. Tu m’entends ? Vous autres qui vivez de l’autre côté là-bas chez les Blancs, vous êtes les seuls à savoir où vous trouvez votre part de courage pour monter en dedans de ces appareils-là oh !
La route que tu as prise pour venir ici, celle-là qui relie Douala et Yaoundé a été construite il y a des années et des années maintenant par notre Papa président. Nyambè Lui seul sait quelles bénédictions Il lui versera pour cela. Mais tu sais quoi, mon fils ? Certaines mauvaises langues se sont très vite déroulées mille et deux mille fois pour dire que c’est seulement par chance que la route-là passe aussi par ici, à Boumnyébel. Je ne sais pas, moi, hein, pourquoi les gens aiment trop taper leur bouche-là sur des problèmes qui ne les regardent pas et qui les dépassent même en taille. Tu comprends ce que je te dis là ? Les bouches ont raconté partout ici dans la région que notre Papa président ne nous avait même pas dans ses plans ni en dedans de sa tête à lui lorsqu’il a demandé à ses gens de goudronner l’axe lourd Douala-Yaoundé. Mais voilà, ce qu’elles oublient, ces longues bouches-là, c’est que chance ou pas chance, nous aussi nous avons maintenant une bonne route pour arriver à notre village. Est-ce que ce n’est pas une bonne chose ?
Ah mon fils, qu’on ne te mente pas, avoir une route bitumée dans ce pays-ci, c’est une très bonne chose. C’est une chance. À mon époque à moi ? Oh que c’était différent ! Très différent même …
Ékiééé ! Je suis déjà là en train de discuter avec toi alors que je ne vous ai même pas encore souhaité la bienvenue, ni à toi ni à mon fils Makon qui t’accompagne ici. J’espère que vous avez fait un bon voyage, parce qu’en ces temps de fin d’année-ci, en décembre comme là-là maintenant, les gens meurent beaucoup sur nos routes. Un-deux, c’est un accident. Un-deux, ce sont des morts partout ! Je te jure. Wuyè !
Ah Makon ! Est-ce que tu peux aller dans ma cuisine, là-bas derrière la maison, pour me chercher une dame-jeanne de matango. C’est du très bon vin de palme. C’est un de mes fils du village qui me l’a rapporté hier en rentrant de son champ. Non. Attends. Tel que je te connais, toi Makon, tu risques de ne nous rapporter que la moitié de la bouteille ou même la bouteille vide. Est-ce qu’on peut demander au chat de contrôler du poisson ? Reste donc ici avec notre invité, j’irai moi-même chercher ce matango-là.