Domaine français
Parution Août 2019
ISBN 978-2-88927-686-8
160 pages
Format: 140x210 mm
Disponible

Domaine français
Disponible

Poche
Parution Sep 2021
ISBN 978-2-88927-938-8
240 pages
Format: 105x165 mm
Disponible

Postface: Claire Jaquier

Roland Buti

Grand National

Domaine français
Parution Août 2019
ISBN 978-2-88927-686-8
160 pages
Format: 140x210 mm

Domaine français
Parution Sep 2021
ISBN 978-2-88927-938-8
240 pages
Format: 105x165 mm

Résumé

Grand National est le récit d’une crise dans la vie de Carlo. Sa mère disparaît, son employé – colosse sentimental au passé douloureux – est roué de coups pour une mystérieuse raison, sa femme le quitte. Le voici face au manque, mesurant son intime connaissance de l’être aimé et découvrant la jeunesse romanesque de sa mère pendant la Seconde Guerre Mondiale : l’occasion pour lui de porter un regard étonné et neuf sur le monde.
Roland Buti a l’art de nous mettre tout contre ses personnages, de nous les rendre familiers de manière tactile, concrète et sensuelle. Le corps, le visage, les mouvements de chacun, la nature et les émotions sont saisis avec une infinie douceur, en dépit de la violence ou du comique des scènes.

 

Auteur

Roland Buti

Né à Lausanne en 1964, Roland Buti y fait des études de lettres et d’histoire, qu’il achève en 1996 par la rédaction d’une thèse remarquée sur l’extrême droite en Suisse entre 1919 et 1945. Après un recueil de nouvelles, Les Ames lestées, parues en 1990, il publie en 2004 Un Nuage sur l’œil, premier roman couronné par le Prix Bibliomédia Suisse 2005 et retenu dans la Sélection Lettres frontière 2005. En 2007 paraît Luce et Célie, puis en 2013, c’est Le Milieu de l’horizon, un texte couronné de nombreux prix littéraires (Prix suisse de la littérature 2014, Prix du public RTS 2014), traduit dans sept langues et adapté au cinéma en octobre 2019.

Distinctions

 Grand National  de Roland Buti, 4e place au prix des lecteurs de la Librairie Nouvelle à Voiron

Roland Buti, lauréat du prix Lettres frontière 2020 pour  Grand national 

Dans les médias

« On retrouve la délicatesse d'observation qui nous avait tant touché dans Le milieu de l'horizon (…). La justesse sensuelle et sentimentale impressionne mine de rien, dans ce roman qui salue la vertu apaisante des jardins cultivés, qu'ils soient secrets ou partagés, presque aussi consolatrice que cette « douceur des Balkans », sorte de pâte de fruits à base de chanvre dont l'exilé a rapporté la recette traditionnelle du pays laissé derrière lui. » Véronique Rossignol

« L'un des nombreux charmes de ce récit filial, ce sont les odeurs essentielles que le narrateur de Roland Buti respire dans les êtres et les choses : l'odeur d'humus des livres d'Agon, le parfum d'Ana qui l'a quitté ou encore les senteurs végétales ».

Une chronique de Francis Richard à lire en entier ici

Grand National, parmi les dix romans de la rentrée qui « à coup sûr feront l’actualité. » Sege Bressan

« Une fois encore, maître dans l’art du ressenti, Roland Buti amène le lecteur au plus près de ses personnages, on ne voit pas seulement Pia, Carlo Weiss ou encore Agon, on ressent leur présence physique. « Grand National », un texte tout en émotions et douceur, tout en violence et ode à la nature… »

Une chronique de Serge Bressan à lire en entier ici

« C’est un roman délicatement ouvragé, intime, et qui pose sur le monde le regard tendre, humoristique et amical de Carlo, le narrateur. Il est sensible et doué d’empathie, il découvre le passé de sa mère avec curiosité et émotion – la scène où elle parle aux oiseaux est magnifique – mais toujours un peu en dehors, posé à la lisière du cadre, légèrement hors champ. »

Une chronique de Dance Flore à lire en entier ici

« Avec une écriture précise et concrète, Roland Buti rend ses personnages immédiatement attachants, tout en gardant une distance singulière. » Laurence de Coulon

Roland Buti, en lice pour le prix des lecteurs de la ville de Lausanne « livre la chronique tendre et drôle d’un héros en déroute ». Caroline Rieder

Qu’est-ce qui vous tient à cœur lorsque vous écrivez?

La composition! Il y a les mots, les images qui sont autant de scènes. Mais le plaisir consiste à organiser la matière pour que cela fasse sens (avec des échos, des liens discrets, des motifs qui se répètent) et finisse par devenir une histoire qui ressemble à la vie. Le résultat devrait avoir la force de l’évidence pour emporter le lecteur… Mais il s’agit aussi de laisser suffisamment de place à son imagination en n’expliquant pas tout.

Une interview de Roland Buti par Laurence de Coulon à lire en entier ici

« L’univers désuet me fait penser à “The Grand Budapest Hotel”. C’est un beau portrait d’homme, bien écrit, facile à lire. L’atmosphère est très intime. » Librairie l’Escampette

« Bien sûr, il faut cultiver son jardin. Roland Buti s’y emploie dans son nouveau roman. Il remue le sol, ratisse des émotions, ensemence et aménage son jardin de papier. Quand on ouvre « Grand National », il en sort des odeurs végétales. Ça sent la fraise et le chou romanesco qu’Agon cultive dans sa parcelle d’un jardin familial, au bord du lac. C’est un roman délicieux où il fait bon respirer. (…) D’une écriture légère et précise, sans effet de manche, « Grand National » possède la douceur flottante du chanvre, qui se consomme ici en pâte de fruit (recette kosovare). Même les vieilles dames en raffolent. » Michel Audétat

« [Les] images sonnent merveilleusement juste pour décrire les sensations de Carlo et son lien charnel à Ana ou… aux végétaux. Tout en délicatesse, avec des scènes quasi tragi-comiques, ce livre nous pousse à voir et à ressentir le monde au-delà des apparences. » Tatiana Tissot

« Ce livre a résonné en moi. J’en suis sorti extrêmement ému. » Jean-Marie Félix

Une émission à revoir en entier ici

« Grand National est une pépite, une escapade intime, tendre et délicate. (…) Je crois que c’est la première fois que je lis un auteur suisse, je ne sais pas s’il y a une école ou un style suisse mais j’ai trouvé dans ce livre toute l’élégance, une sorte de force discrète, comme ce mélange de droiteur et de chaleur que j’ai découvert en Suisse l’été dernier. »

Une chronique de Laurence à lire en entier ici

« Cultivant l’art d’écrire comme un voltairien cultive son lopin, le romancier jardinier élève des œuvres vivaces, enracinées dans le terreau de l’autobiographie et qui, de boutures en rempotages, finissent par fleurir. (…) Son cinquième roman est un petit chef-d’œuvre de suggestion, toile de maître dont les personnages sont assez singuliers pour se contenter de n’être qu’esquissés. »

Un article de Thierry Raboud à lire en entier ici

Roland Buti était l’invité de Xavier Alonso dans La Matinale. Une émission à réécouter ici

« Traité tout en nuances et avec une infinie subtilité, le roman dévoile des situations poignantes avec une émotion contenue, aussi maîtrisée que l’écriture. » E.L. A. Be

« On retrouve dans Grand National les qualités qui ont fait le succès du précédent roman de Roland Buti, Le Milieu de l’horizon : la précision du regard, l’attention discrète, affectueuse et parfois amusée aux êtres et aux choses, l’ancrage dans une réalité sociale. »

Un article d'Isabelle Rüf à lire en entier ici

« L’écriture précise, sensuelle et attentive de Roland Buti déplie les sentiments et les liens de ses personnages comme on le ferait d’une feuille, délicatement, et tisse de discrets motifs en réseau de ramifications souterraines (le foot, les références voilées à Hemingway …). Tout se tient, dans ce roman organique où le paysage fait écho aux mondes intérieurs des personnages. »

Un article d'Anne Pitteloud à lire en entier ici

« Un roman écrit avec toute la finesse et la sensibilité qui font la « marque de fabrique » de Roland Buti. »

Roland Buti était l’invité d’Anik Schuin dans l’émission Nectar. A réécouter ici

« C’est terriblement bien écrit. L’auteur ne décrit, ne raconte pas tout dans le détail et pourtant, quand vous lisez, ce qui n’est pas dit vous saute à l’esprit. (…) On lit entre les lignes une vie affective poignante. Celle d’un homme banal entouré de gens exceptionnels ou qui lui donnent l’impression de l’être. Du grand art. »

Une chronique de Noé Gaillard à lire en entier ici

« La réalité (…) est un théâtre dont les décors et les personnages, les accessoires et les trappes donnent au lecteur enchanté l’impression de s’installer au cœur d’un spectacle attachant, dont la tendresse et l’humour ne se pavanent que déguisés en modération respectable. Un régal émouvant et magnifiquement maîtrisé, sans doute le meilleur roman de l’écrivain. »

« Pour écrire le manque de la femme aimée, l’amitié, les relations filiales ou le deuil, Roland Buti convoque les corps, les odeurs, la nature. D’une entaille au doigt de Carlo qui ne cicatrise pas au parfum du corps d’Ana qui rappelle celle de l’herbe sèche sous la pluie, l’auteur fait émerger avec délicatesse un monde de sensations. (…)

Roland Buti excelle à faire surgir et se croiser des bribes d’univers, dans un récit fin et évocateur qui évite le pathos, tandis que les pointes d’humour qui jalonnent le texte rappellent que la vie, même en mode mineur, prête parfois aussi à rire. »

Un article de Caroline Rieder à lire en entier ici

« Sur Grand National plane le souvenir diffus de riches Anglais qui ont beaucoup fait pour le tourisme en Suisse. L’élégance de la réserve. La finesse de l’observation. Un mélange de drôlerie inattendue et de profondeur pudique. [Le texte] exhale une sensualité discrète parce que précieuse, empathique parce que familière. » Thibaut Kaeser

« Plus que l'histoire, ce sont les personnages décalés et l'écriture subtile de Roland Buti qui font tout le sel de son quatrième roman.  Grand National enchante à la fois par ses accents intimistes et ses réflexions affûtées –  »Les jardins sont socialistes et la nature est capitaliste. Ceux-là expriment le désir d'un monde clos et protégé où rien n'est laissé au hasard, quand celle-là encourage la libre circulation, le désordre et le triomphe du plus fort sans intervention extérieure« . Si le désespoir affleure, l'humour lui grille la politesse. » Delphine Peras

« Le nouveau roman du Lausannois Roland Buti est une petite merveille de mélancolie aux relents proustiens. Sur une trame simple, servie par une langue claire et élégante, il aborde avec justesse les thèmes du souvenir et du désir. (…) Évitant le pathos, il parvient à être constamment émouvant avec cette mise en évidence des liens amoureux qui se tissent entre les êtres et les choses à travers le temps. Un livre magnifique qui touche au cœur. » Stéphane Babey

« Un véritable petit bijou de vulnérabilité, de profondeur et d’humour. Les scènes d’intimité sont d’une authenticité et d’une beauté désarmantes. Les corps des personnages racontent leur propre histoire. » Josiane Létourneau, librairie du Square, Montréal

« Une grande richesse tant dans la diversité des thèmes abordés que dans le partage des souvenirs. » Matthieu Colombe, librairie Goulard, Aix-en-Provence

« Un moment de vie de personnages pris sur le vif par un photographe expert en cadrage et qui sait faire jouer l’ombre et la lumière à merveille. » Dominique Bressoud, librairie Une petite prose, Boudry

« Lire Roland Buti nous aide à poser un joli regard sur les gens et les choses, ça fait beaucoup, beaucoup de bien. » Deborah Danblon, librairie La Licorne, Bruxelles

Une émission à réécouter ici

« Grand National est le quatrième et entêtant roman du Suisse Roland Buti, qui excelle à décrire, façon Simenon, les atmosphères entre chien et loup, les destins anonymes croisés et décroisés, les solitudes d’altitude et les amours en fuite.

« L’existence, se dit le narrateur à la fin du roman, n’est peut-être faite que de parenthèses ouvertes, puis fermées avec un peu d’espace inexplicable entre elles.» Et dans les nombreuses parenthèses de Grand National, on trouve des chalets qui servent d’abris hivernaux aux cerfs, des jardins familiaux où poussent des haricots Jahni et des courgettes serpents de Sicile, des clairières où les ébats amoureux ont un parfum de résineux et de feuilles fruitières, des auberges où boire des décis de Montreux et manger des taillés aux greubons, et des palaces déserts où parfois le temps s’arrête, avant de basculer dans le grand vide. » Jérôme Garcin 

« C’est en plongeant dans le passé secret et tumultueux de sa mère que Carlo découvre que la vie peut être d’une infinie douceur ».

Une chronique à revoir en entier ici

« [Un] véritable petit bijou doté de personnages attachants et d’une écriture sensible et généreuse. (…) En un nombre de pages restreint, l’auteur parle merveilleusement des relations humaines et de ce que l’on ignore de l’autre qui nous est proche. Il suffit de simples contingences pour qu’apparaissent des désirs secrets, souvent des envies de départ : volonté de retrouver son passé, d’aller vers un avenir rayonnant, d’oublier, de changer de vie. Tels sont les thèmes de ce magnifique roman poétique et mélancolique qui invite à cultiver son jardin et à écouter le chant des oiseaux. » Aline Sirba

« Les deux derniers romans de Roland Buti, Le Milieu de l’horizon (2013) et Grand National (2019), font entrer dans la fiction, avec puissance, les éléments naturels, la terre et les aléas du climat, les animaux et les plantes. »

Un entretien de Roland Buti avec Claire Jaquier à lire en entier ici

« Roland Buti aime transposer, étoffer, croiser les histoires et les époques en peignant des destinées singulières, reliant toutefois toujours les trajectoires individuelles à quelque chose qui les dépasse. » Caroline Rieder

Dans le cadre du 27ème Prix Lettres frontière, Roland Buti (lauréat) et Marie-Madeleine de Chastonay (présidente du jury suisse-romand) étaient invités sur Radio Vostok. Une émission à réécouter ici

Vendredi 5 mars 2021, Roland Buti, lauréat du 27e Prix Lettres frontière 2020 côté Suisse romande, était invité par la Médiathèque de Thonon-les-Bains à évoquer son roman primé, « Grand National ».

Une rencontre sous forme de visioconférence à revoir ici

Coups de cœur

« Texte sensuel et de silences, ce Grand National est un roman d'une sensibilité totale. Vous aimerez Carlo et Agon, duo de jardiniers pour demeures de riches suisses. Vous découvrirez le  »Grand National«  et son Directeur, que Buti, en quelques lignes décrit avec une précision diabolique. C'est un roman un peu mystérieux, qui se mérite et s'offre une fois le rythme pris. Une petite douceur. »

« Délicat, beau, sensible, un roman émouvant qu'on a envie de lire d'une traite. »

« Qui sont nos proches? Quelle est l’histoire de mon collègue à l’accent des pays de l’Est qui vit dans un jardin partagé? Quelle est l’histoire de ma mère, qui a plus de 90 ans vient de fuguer de sa maison de retraite pour vivre dans l’hôtel quel côtoyait pendant les années de guerre? Un roman discret dans cette rentrée qui vaut la peine d’être mis en lumière » 

« L’univers désuet me fait penser à The Grand Budapest Hotel, le film de Wes Anderson. C’est un beau portrait d’homme »

Aline

« Roland Buti revient avec une histoire d'amour d'une grande élégance et d'une très belle sensualité. Un petit bijou. »

Droits vendus

Néerlandais
Acquéreur Uitgeverij Vleugels
Année 2021

Danois
Acquéreur Arvids
Année 2020

Serbe
Acquéreur Cigoja Stampa
Année 2020

Italien
Acquéreur Solferino (RCS)
Année 2019

Allemand
Acquéreur Zsolnay / Hanser Verlag
Année 2019

Extrait

Je longeais un couloir lisse et brillant sous les néons quand j’ai aperçu une infirmière qui venait dans ma direction. Elle n’était encore qu’une silhouette, mais j’ai tout de suite su que c’était elle.

Sa démarche est une empreinte indélébile dans ma mémoire. Quand je pense à elle, je la revois le buste un peu voûté qui avance en fléchissant légèrement l’épaule chaque fois que le poids de son corps passe d’un pied à l’autre. Ses genoux semblent contenir des ressorts qui produisent une infime vibration de ses hanches.

J’ai ralenti le pas. Au même moment, elle a ralenti le sien soudain hésitante comme si, se souvenant avoir oublié quelque chose, elle devait rebrousser chemin. Elle était encore loin, floue dans la lumière falote et plate, mais je ne l’ai pas quittée des yeux et nos regards se sont rencontrés malgré la distance. Elle n’a pas rebroussé chemin. Elle a seulement marqué une courte pause, puis elle a continué à avancer dans ma direction en feignant maladroitement un air détaché.

La connaissance que j’ai de son corps et de ses moindres gestes m’a fait frissonner. Ses bras ballants avec d’amples mouvements ondulatoires sont en réalité chez elle le signe d’une fausse assurance. J’ai exactement compris le trouble qui désorganisait à cet instant les pensées de la femme que j’aimais et qui m’avait quitté, mais par une surprenante bizarrerie, cela m’a aidé à masquer mon désarroi. Et je me suis mis à marcher plus vite vers elle.

— Ana !
— Carlo !
Dans l’étroit couloir, nos voix semblaient ne pas nous appartenir, un peu comme si nous les avions empruntées à des inconnus pour l’occasion.

— Ça va ?
— Bien et toi !
— Bien.
Ana était pâle sous l’éclairage artificiel. Ses cheveux avaient une teinte blond vénitien comme si nous étions en plein soleil. Mon attention s’est focalisée sur les poils clairs presque invisibles au-dessus de ses lèvres.

— Ton doigt ?
— Ah ! Oui. Une coupure. Assez profonde.
— Montre !
Elle a tapoté le pansement, en a jaugé l’épaisseur par une pression, puis l’a inspecté dans tous les sens. Elle semblait en retrait dans son corps engourdi. Elle sortait sans doute d’une nuit de garde. Je connais bien cette fatigue qui confère des intermittences à son caractère. Je sais qu’il ne faut alors pas la brusquer.

— Du joli travail, dit-elle.
— Oui.
— Qui te la fait ?
— Ici, à l’hôpital, un jeune homme frisé.

— Avec une boucle d’oreille ?

— Oui.
— Azem. C’est moi qui lui ai appris.
— Ça ne cicatrise pas ? a-t-elle demandé.

— Non.
— Je vois. Le pansement suinte.
— C’est une vilaine blessure.
Elle m’a regardé sans comprendre. Je lui ai expliqué les circonstances, le vieillard défendant son pré carré de jungle et les premiers soins donnés par mon employé sur place.

— À la moindre occasion, elle s’ouvre. Un mouvement sans y penser et…

Elle m’a adressé un sourire d’infirmière, un sourire un peu triste, parce que rempli d’une bienveillance teintée de résignation.

— Suis-moi ! Je vais te le refaire.

Je ne demandais pas mieux. Nous avons marché jusqu’au bout du couloir, tourné un angle, emprunté un autre long couloir pour arriver jusqu’au box réservé́ aux urgences.

[…]

— Qu’est-ce que tu viens faire à l’hôpital ?

— Une visite à un employé.
— Qui ça ?
— Agon.

Elle ne le connaissait pas parce que je l’avais engagé peu de temps après son départ de la maison.

— Un accident ?
— Non. On lui a cassé la gueule.

Assise sur un minuscule tabouret, Ana a déroulé le pansement avec délicatesse comme si chaque tour de tissu pouvait révéler une mauvaise surprise. Les boutons de sa blouse ouverts jusqu’au troisième dévoilaient sa gorge. Ses clavicules et les os de sa cage thoracique étaient visibles sous sa peau blanche sauf à l’endroit où ses seins prenaient naissance. Ils avaient l’air de ne pas être tout à fait bien accrochés. Elle devait avoir maigri.

Légèrement penchée sur moi, son genou appuyé contre ma cuisse, je pouvais respirer son odeur, une combinaison de transpiration et de parfum poivré, une odeur dont la source m’a semblé être exactement à l’échancrure et qui m’a fait penser à celle de l’herbe sèche sous la pluie.

Nous avions toujours une couverture molletonnée pliée au fond du coffre de notre voiture. Souvent, la seule vue d’une clairière au détour d’un virage, le cours d’une rivière et ses replis aperçus au loin, une trace odorante de sous-bois s’insinuant dans l’habitacle par la vitre baissée électrisait l’air qui entrait dans nos poumons. Nous nous garions alors sur le premier accotement pour nous enfoncer loin des regards. Nous l’étalions à un emplacement propice, sur une nappe de brindilles, d’humus ou de hautes fanes écrasées pour faire l’amour avec le ciel souple et mince au-dessus de nos têtes. La peau claire d’Ana, ses poils blonds tirant sur l’orangé, son corps musclé piqué par endroits de taches de rousseur dégagent un parfum balsamique, celui des arbres résineux et des feuilles fruitières.

C’était parfois très acrobatique et je me suis remémoré avec tendresse ses fesses entrouvertes, tendues dans l’effort pour récupérer ses habits éparpillés dans les taillis, situation qui me troublait bien plus que toute autre pose habituellement considérée comme érotique. Ana estime qu’un orgasme libère des anticorps, une hormone dont les effets sur l’organisme sont comparables à plusieurs cachets contre le mal de tête ou contre les douleurs articulaires.

Pourquoi n’avons-nous pas fait le point, pourquoi n’avons-nous pas décidé d’une pause, puis après quelques mois essayé à nouveau ? Pourquoi n’avons-nous pas eu la force de réagir quand notre relation se défaisait ? Je me suis remémoré les semaines et les semaines où nous nous croisions à peine, moi dans les jardins et elle nuit et jour à l’hôpital et comment nous avions alors compris que le décor de notre vie ne faisait plus illusion, que les souvenirs que nous avions ramenés de vacances, les meubles que nous avions choisis n’étaient plus tout à fait à leur place, que nous-mêmes n’étions jamais tout à fait là où nous aurions dû être, ne trouvant plus nos marques, nous cognant aux coins aigus des tables, nous gênant l’un l’autre, nous évitant même parfois sans réussir à discuter parce que nos voix résonnaient dans le silence inaccoutumé de notre appartement comme si tout autour de nous était en toc et que nous parlions dans le vide.

Dans ce box étriqué, au milieu d’appareils bizarres protégés par des housses de plastique, Ana prenait une dimension extraordinaire. Elle se taisait, concentrée, et j’ai fermé les yeux.

J’ai humé les effluves de son parfum, plus intenses quand elle se penchait et que ses cheveux frôlaient presque mon visage. Je me suis imperceptiblement avancé pour que nos peaux se touchent, mais sans succès. Elle désinfectait la plaie. Ce n’était pas douloureux. Je l’entendais respirer et son haleine m’effleurait par instants : ce qui vient du plus profond d’elle, la manifestation concrète de l’incandescence de son corps.

Je me suis dit que c’est merveilleux et accablant à la fois d’avoir une connaissance si entière, si précise d’Ana qui fonctionnait comme elle avait fonctionné quand nous vivions ensemble, quand je la serrais contre moi le matin au petit-déjeuner, quand le soir avant de nous abandonner au sommeil je cherchais un court moment son contact, quand, éreintée ou découragée, je la voyais comme personne ne la voyait jamais, quand j’assistais à ses essayages parce qu’elle voulait un conseil, conseil qu’elle n’écoutait jamais, quand elle courait nue de la salle de bain à la chambre à coucher où elle avait oublié un vêtement en enfermant ses seins dans ses bras, quand elle me demandait de palper son ventre ou ses hanches pour savoir si au moins elle n’avait pas grossi, quand elle relevait son pull pour avoir mon avis sur un grain de beauté qui l’inquiétait, quand elle dormait et que, le drap ayant glissé, elle était pelotonnée comme une chatte dans un panier pour ne pas avoir froid.

J’ai ouvert les yeux. Ana avait presque terminé le bandage. Son regard a rencontré le mien. Elle l’a appuyé et je l’ai soutenu. Cela a duré plusieurs secondes. J’ai eu envie de lui dire que je l’aimais, qu’elle me manquait, que son corps, son odeur, que chacune de ses attitudes, que chacun de ses gestes était imprimé dans ma chair, que je ne pouvais faire un mouvement sans qu’elle soit tout entière avec moi. J’ai eu envie de lui dire que je ne pouvais vivre sans elle encombré de souvenirs, étranger à moi-même.

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