Domaine français
Parution Avr 2013
ISBN 978-2-88182-894-2
192 pages
Format: 140 x 210 mm
Épuisé

Poche
Parution Avr 2016
ISBN 978-2-88927-319-5
240 pages
Format: 105x265mm
Disponible

Roland Buti

Le milieu de l’horizon

Domaine français
Parution Avr 2013
ISBN 978-2-88182-894-2
192 pages
Format: 140 x 210 mm

Domaine français
Parution Avr 2016
ISBN 978-2-88927-319-5
240 pages
Format: 105x265mm

Résumé

Gus a quitté l’enfance un été de canicule. Alors qu’il aide son père paysan, lit et relit ses bandes dessinées, se baigne dans un réservoir souterrain avec Mado, la fille perdue du village, son univers familier et rassurant se fissure.
La mère de Gus, présence constante, tendre et complice s’éloigne peu à peu de lui, tandis que son père, pourtant véritable force de la nature, s’enferme dans sa chambre pour cuver son chagrin. L’impensable arrive. Gus doit alors prendre en main l’exploitation, guider les camions-citernes de l’armée vers les champs desséchés, traire les vaches trop pleines d’avoir été oubliées.
Quand il découvre le secret de sa mère, dans une scène magnifique de pudeur, il vit la fin d’un monde.
Roland Buti nous livre ici un récit ample, sensuel et puissant.

 

Auteur

Roland Buti

Né à Lausanne en 1964, Roland Buti y fait des études de lettres et d’histoire, qu’il achève en 1996 par la rédaction d’une thèse remarquée sur l’extrême droite en Suisse entre 1919 et 1945. Après un recueil de nouvelles, Les Ames lestées, parues en 1990, il publie en 2004 Un Nuage sur l’œil, premier roman couronné par le Prix Bibliomédia Suisse 2005 et retenu dans la Sélection Lettres frontière 2005. En 2007 paraît Luce et Célie, puis en 2013, c’est Le Milieu de l’horizon, un texte couronné de nombreux prix littéraires (Prix suisse de la littérature 2014, Prix du public RTS 2014), traduit dans sept langues et adapté au cinéma en octobre 2019.

Distinctions

Roland Buti, lauréat du prix du Roman des Romands pour  Le Milieu de l’horizon 

Dans les médias

« Interview de Roland Buti, auteur lausannois dont l’ouvrage Le milieu de l’horizon est adapté au cinéma avec Laetitia Casta. »

A écouter en entier ici

« …[un] écrivain qu’il faut absolument lire (…) » Martine Laval

« Avec Le Milieu de l'horizon, Roland Buti plonge au coeur du monde rural en signant un roman palpitant, lyrique et réaliste tout à la fois, et surtout très bien construit. Le temps d'un long été avant l'orage, on y fait la connaissance d'un personnage attachant, Gus, qui vit avec ses parents paysans. Le garçon, au seuil de l'adolescence, sent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Il y a cette chaleur, terrible, mais ce n'est pas ça. Serait-ce la faute à Rudy, le cousin demeuré, en pension dans la ferme et qui cherche l'âme soeur, avec tant de maladresse et de brusquerie? Non, c'est un tout autre drame qui se joue dans ce payasage étouffant, où Gus, le narrateur, ne tardera pas à découvrir l'abîme le séparant encore du monde des adultes et dans lequel il sera précipité. Dans un style d'apparence simple, Roland Buti donne sa pleine mesure à la sensibilité de son jeune narrateur. » Nicolas Verdan

« (…) Roland Buti décrit minutueusement la tragédie qui secoue  »cette maison fragile dans laquelle chacun se débat dans son petit espace clos« . Dans une langue simple et sensuelle, il rend palpable l'électricité de cet été brûlant d'avant l'orage, exprime merveilleusement la pudeur des sentiments, la douleur sourde et le mouvement irrémédiable du monde, qui condamne l'ancien, et laisse place à de nouvelles moeurs, de nouveaux paysages, où les poules sont enfermées, les paysans  »reconvertis«  et les champs transformés en zones pavillonnaires, mais où les femmes sont libres…

Un roman puissant, qui rend hommage à la terre et à ses hommes, à la manière de Giono, version suisse. » Laurence Houot

« Bêtes et hommes souffrent : le chien s'évanouit, la vieille jument de trait se réfugie sous les grands érables du champ rond. C'est l'hécatombe parmi les volailles, et tous les jours le père et son fils, assistés de Rudy, un jeune cousin un peu simple recueilli par la famille et qui travaille comme valet de ferme, sortent des dizaines de cadavres de la poussinière Mais ce dérèglement climatique n'est que l'écho d'un ébranlement plus intime à l'œuvre dans cette « maison fragile », et l'arrivée de Cécile, « la copine » de la mère, qui travaille à la poste du bourg dans la vallée, charge le ciel d'obscurs présages. Le jeune garçon pressent, avant d'en avoir la confirmation, que l'amour entre les deux femmes va fissurer définitivement son monde.

Déjà auteur de deux recueils de nouvelles, Roland Buti donne une densité sensuelle aux personnages de ce drame, incarnant avec puissance le père, sa présence massive, bourrue, la brutalité taiseuse de son chagrin, ses colères suivies d'un mutisme plus violent encore.

Et l'orage qui finira par s'abattre sur les champs n'apportera pas la pluie, régénérante qui fait reverdir les paradis mais achèvera de liquider l'enfance. » Véronique Rossignol

« (…) Sensible, sensuel, odorant,  »Le Milieu de l'horizon«  est un roman d'apprentissage dans lequel les bêtes tiennent aussi un rôle essentiel. Ce qui en fait la réussite, c'est la finesse avec laquelle Roland Buti orchestre les désordres familiaux, les dérèglements du ciel et les troubles intérieurs qui éloignent Gus de l'enfance.  » Le Milieu de l'horizon«  est un beau roman où les tensions s'exacerbent sous une chaleur d'apocalypse. On en recommande la lecture dans un bain d'eau glacée. » Michel Audétat

« (…)Le Milieu de l'horizon est une oeuvre puissante et sauvage. Les ambiances, lourdes et brûlantes, dégagent une ambiance oppréssante. Les personnages, bourrus et brutaux, transpirent les sentiments étouffés. Et la nature, écrasée et torturée, suffoque de douleur et de vie. Un récit bouillant pour un drame d'une incroyable sécheresse. » Alinda Dufey

« Enfin, un grand roman brûlant. (…) Il nous vient tout droit de la Suisse de Ramuz et de Chessex, où l'on sert mieux la langue française que chez Lipp ou au Flore. Retenez bien le nom de l'auteur : Roland Buti. Dans une ferme vaudoise accablée par la canicule de l'été 1976, un garçon de 13 ans, Auguste, alias Gus, assiste à la décomposition de la nature, des animaux, du monde paysan, de sa famille et de son enfance. Le spectacle est faulknérien: la terre, plus dure qu'une carapace de tortue, se craquelle, le maïs noircit sur pied, l'herbe pue  »parce qu'elle souffre« , le chien s'évanouit, des centaines de poussins crèvent dans le hangar, la vieille jument arthritique se pétrifie sous le soleil, les insectes tombent comme des fruits secs et les vaches qu'on ne trait plus hurlent à la mort. Les humains ne vont guère mieux: le grand-père squelettique se couche dans les bois en fumant ses dernières clopes, le père se mure dans le silence après le départ de sa femme (elle a découvert l'amour dans les bras d'une postière aguicheuse), la soeur aînée, violoniste, n'a que mépris pour les agriculteurs, et le valet de ferme, un benêt lubrique, est tué par l'écroulement du toit de la poussinière. Gus, une colombe blessée sur l'épaule, contemple l'étendue du désastre après avoir essayé, en vain, d'étouffer l'incendie. Même le lecteur a la gorge sèche et attend la pluie.

 »Le Milieu de l'horizon«  est un livre bourru porté par une prose qui ne l'est jamais, un récit apocalyptique dont on comprend, à la fin, qu'il était un roman d'apprentissage. Le temps d'un été meurtrier, où il perd toutes ses illusions, un garçon qui lisait  »Spirou«  en mangeant des rösti, croyait les chevaux immortels et ignorait que deux femmes pussent s'aimer est en effet précipité dans l'âge adulte avec une puissance rauque de tracteur Hürlimann. Ce n'est pas la fin du monde, c'est la fin d'un monde. Roland Buti la raconte avec maestria, et sans larmes, dans ce roman étouffant et très émouvant. » Jérôme Garcin

« Voici l'histoire d'une famille qui se craquelle comme dans une chanson de Jacques Brel sur fond de sécheresse en 1976. D'abord, il y a le père, un peu fruste, qui met toute son énergie dans le travail à la ferme et dans une poussinière. Ensuite, la mère, qui s'ennuie dans cette vie-là et tombe amoureuse de la postière. Enfin, il y a leur fille, qui ne rêve que d'ailleurs, le fiston, narrateur et spectateur impuissant de ce qui se joue sous ses yeux, le cousin, aide agricole un peu arriéré, et Bagatelle, le vieux cheval dont la fin approche. Cette fiction, drôle autant que poétique, est à savourer (…). »

Le grand passage

 

« Il y a la vie, ce hasard qui vous fait naître à une époque, dans un lieu, une famille. Il y a cette destinée qui empêtre les corps et les esprits, jusqu'à l'étouffement. Et puis il y a les rêves, d'évasion, de plénitude, de libération, d'amour, des rêves de quatre sous mais bien trop immenses pour pouvoir les nommer, surtout quand on a 13 ans.  »J'aurais voulu toujours vivre dans un dessin«  dit le narrateur. Le gamin courageux, aussi effrayé qu'avide, assiste au basculement de son univers, et se cherche un abri, une protection, une tendresse. Passage de l'enfance à l'âge adulte, mutation de la ferme familiale, ravage de l'industrialisation en marche, perte d'un savoire faire, course vers un monde inconnu et inéluctable. En cette fin des années soixante-dix, juin s'étire sans fin dans ce bout du pays vaudois. La canicule dessèche la terre et fissure les coeurs. Tout semble stagner, tout change irrémédiablement. Le Milieu de l'horizon est un texte rare, d'ambiances éthérées, d'images impressionistes, une sorte de poésie qui vient de la nature, qui surgit du réel. La narration s'achemine en souplesse, portée par une langue qui marie les contraires, dureté et somptuosité. Roland Buti pose sur cette époque disparue une pudeur prodigieuse, des élans d'affection, tout en posant un regard inédit, insolite sur la fin d'un monde. Chez lui tout a même valeur. La nature évidemment, omniprésente, qui semble se rebeller, les gens – trop vivants pour les nommer personnages, le grand-père prêt à tirer sa révérence, le père qui veut se prouver qu'il est un homme de son temps, la mère qui ne veut plus de cette existence, la soeur qui prend son envol, le garçon de ferme, un innocent qui se révèle plein de sagesse, le narrateur si attentif, si sensible, et sur qui se repose la lourde charge de dire le chamboulement des relations, les gerçures du clan. Et puis les animaux. Traités avec bienveillance pas l'écriture, ils émergent chacun dans leur rôle symbolique. Ils font partie de la famille, du destin. Une colombe rescapée, un chien affectueux, une jument résignée qui décide de mourir seule, debout et dehors…

On sort rincé et ravi de ce récit plein comme un fruit mûr, gorgé de soleil, de sensualité, et de générosité. Comme un cadeau, un ultime égard enveres ceux que l'on aime.  » Martine Laval

 

Martine Laval

«  Ecrire, c'est trouver les mots justes. C'est ce que j'essaie de faire. Le mot juste, c'est celui qui, avec d'autres pour former une phrase, veut dire plus que ce qu'il signifie. Une manière intéressante d'augmenter l'effet de réel est l'ellipse. Dans un livre, il y a souvent beaucoup de choses qui ne sont pas dites: c'est toute cette matière invisible qui donne de l'épaisseur. Suggérer et laisser l'imagination opérer est certainement très impudique… »Propos de Roland Buti recueillis par SFK

« (…) Le milieu de l’horizon a quelque chose d’une tragédie grecque. Les ingrédients du drame, tous présents dès le départ, se développent, se croisent, se percutent et irrémédiablement, tissent la fin. Roland Buti ne vole pas sa place dans la liste d’un grand prix littéraire parisien. » Pascale Zimmermann

« (…) Images fortes et symbolisme ponctuent un style limpide, tandis que le jeune homme découvre que la stabilité d’une vie tient à bien peu de chose. Pourtant, le roman d’apprentissage laisse vite place à une interrogation plus large : faut-il s’adapter à la modernité ou défendre la tradition ? Au-delà de la fin de l’enfance, c’est la fin du monde paysan traditionnel que retranscrit l’auteur. Il en dresse un portrait moribond, n’en cachant ni les charmes, ni les laideurs, racontant la vie, la mort, la violence du quotidien : la simplicité cruelle des choses. » Clémentine Baron

« (…) Avec sa construction et son style travaillés en découpes fines et solides, le milieu de l’horizon fascine par l’effet de stérilité : sol mourant, animaux décimés, air irrespirable. (…) Un simple drame paysan d’aujourd’hui ou presque, d’une force simple et impitoyable qui broie tout. » Joëlle Brack

« (…) Un roman sobre et puissant. (…) » 

Coups de cœur

Dans une langue simple, maîtrisée et sensible, Roland Buti nous relate la fin d’une enfance et l’agonie d’un certaine monde paysan.

Le Boulevard

Droits vendus

Suédois
Acquéreur Sekwa Förlag
Année 2017

Italien
Acquéreur Jaca Book
Année 2015

Danois
Acquéreur Arvids
Année 2015

Anglais
Acquéreur Old Street Publishing
Année 2015

Espagnol
Acquéreur Piel de Zapa
Année 2015

Latvian
Acquéreur Zvaigzne ABC Publishers
Année 2014

Allemand
Acquéreur Nagel und Kimche
Année 2013

Extrait

 

Lorsque j’entrais dans la cuisine, maman affairée au fourneau regardait furtivement par-dessus son épaule. Elle savait que c’était moi, toujours à la même heure ; elle me reconnaissait à mon pas, mais j’étais heureux de ce petit coup d’œil qui établissait le contact et me permettait de lui lancer un « bonjour maman » auquel elle répondait sans cesser son travail.

Ce matin-là, maman a posé la poêle dans laquelle les pommes de terre rissolaient, s’est essuyé consciencieusement les mains avec un torchon et s’est approchée de moi.

— C’est une colombe ?

— Oui !

Elle a avancé le bras pour lui caresser le ventre.

— Elle vient d’où ?

— C’est Rudy…

— Ah ! Et tu lui as donné un nom ? m’a-t-elle demandé en reniflant sans arrêter d’effleurer des doigts le dos arrondi et duveteux de l’oiseau.

La colombe a commencé à roucouler, un roucoulement ténu mais profond qui a eu pour effet de faire vibrer ses plumes.

— Il faut lui donner un nom.

— Ben… peut-être pas.

— Elle est blessée, on dirait.

— Un chat.

— Tu veux la garder ?

— Oui.

Maman a dégagé un minuscule carré de tissu chiffonné de la poche de son tablier. Les narines comprimées, elle a expiré consciencieusement et avec délicatesse comme si elle soufflait dans un instrument de musique d’avant-garde avec l’espoir d’émettre des sons mélodieux. Elle avait toujours le nez un peu rose, usé par le frottement des mouchoirs et par le travail intérieur de sécrétions. Avec la chaleur de l’été, avec la multiplication des poussières en suspension, sa respiration encombrée par tout un fatras accumulé dans ses bronches était sifflante. On aurait dit que l’air entrait et sortait avec réticence. De toute manière, il n’y avait pas beaucoup de place dans son thorax, si frêle que ses poumons devaient y être à l’étroit. Elle est retournée à ses casseroles qui bourdonnaient sur le feu. Incroyablement menue dans sa robe légère bleue constellée de fleurs plus claires, elle évoluait égarée dans un monde de titans ; tout ce qui était autour d’elle, la cuisinière, l’évier en pierre avec sa robinetterie très perfectionnée, les pots de grès alignés sur l’étagère, les poutres au plafond, la grande table de bois à laquelle j’étais assis, toute la pièce en somme avec ses murs massifs n’était pas à sa taille. Lorsqu’elle se penchait un peu en avant, sa nuque tendue dévoilait un chapelet de vertèbres, juste au-dessous de ses cheveux noirs empaquetés avec soin dans un chignon. Avoir vécu à l’intérieur de son ventre plusieurs mois avant de voir le jour, être sorti d’un être si gracile a toujours été pour moi un mystère. Maman avait l’air d’une fillette.

J’étais heureux qu’elle ait cajolé ma colombe, qu’elle l’ait accepté sans débat. Maman était en permanence occupée à une multitude de tâches accaparantes qui devaient l’empêcher de trop désespérer. J’aurais désiré être à la place de l’oiseau ; j’aurais voulu qu’elle abandonne son torchon, qu’elle se sèche les mains pour venir m’embrasser, caresser mes cheveux, frôler mon cou du bout des doigts. Lorsque je partais pour l’école, elle me posait une bise sèche sur la joue, une bise sonore du bout des lèvres qui claquait dans la fraîcheur du matin. Parce qu’elle s’attardait moins d’une seconde contre ma peau, je ne percevais pas l’humidité de sa bouche. Mon départ de la maison n’était jamais accompagné d’une petite tape tendre et encourageante. Elle me tendait ma boîte de repas, me souhaitait une bonne journée et quand je m’engageais dans la cour à l’ombre de notre grand orme j’étais conscient sans avoir besoin de le vérifier qu’elle ne me regardait pas disparaître et qu’elle était déjà retournée à ses tâches.

Parce qu’elle s’y employait et qu’elle nous le disait, je savais que maman rêvait pour moi et pour ma sœur d’une vie moins étriquée que la sienne. Je savais qu’elle nous aimait, mais je devais remonter à l’époque où j’étais un tout petit garçon pour me souvenir de ses bras autour de moi lorsqu’elle me soulevait pour me faire descendre d’un char à foin, qu’elle me tenait un moment en l’air en me serrant un peu contre elle avant de me poser à terre.

J’ai grandi malgré moi. Et du moment où j’ai commencé à ressembler à l’ébauche d’un homme, les contacts physiques ont cessé, non pas progressivement, mais du jour au lendemain sans que je puisse me remémorer avec exactitude cet instant qui peut-être n’avait rien de particulier.

Papa est entré, suivi de Rudy. L’odeur de l’écurie a rempli la cuisine avant de s’amalgamer à celle de l’intérieur. Ils se sont assis en silence.

— Où as-tu trouvé cet oiseau ? a demandé papa.

— C’est Rudy. Je ne sais pas. Vers la grange…

Il a levé la tête de son assiette, a jeté un œil vers Rudy qui n’a pas bronché, concentré et tendu par l’ingestion méticuleuse de son repas. Il devait lui sembler important de maîtriser par l’esprit chaque parcelle de nourriture afin de la diriger correctement vers son estomac.

— Une colombe.

— Ouais !

— Elle a le croupion tout déplumé.

— Ouais ! ai-je fait sans quitter des yeux le dos de maman occupée à laver des plats dans l’évier.

— Elle a eu de la chance.

— Ouais !

— Parce que si l’os est touché…

— L’os ?

— Oui, l’os ! Si l’os est touché, elle est fichue. Elle meurt lentement d’asphyxie… Le squelette des oiseaux est plein d’air. Pour mieux voler… Une déchirure et ils se vident, a expliqué papa juste avant que son visage ne disparaisse derrière son bol levé.

— Elle est remplie d’air ?

— C’est ça… son squelette est rempli d’air. Et elle va rester sur ton épaule comme le perroquet de Robinson ?

— Ouais !

— Les muscles de la cuisse ne sont pas en mauvais état, on dirait. Les plumes repousseront. Un jour, elle pourra à nouveau voler.

— Ah ! C’est vrai ça ?

— Qu’est-ce que tu as l’intention de faire ? m’a demandé papa sans cesser d’humecter avec soin sa tranche de pommes de terre grillées dans son café.

— Avec la colombe ?

— Ben ouais, avec la colombe… Tu ne vas pas te trimballer avec cet oiseau sur l’épaule toute la journée ?

— Je lui ai trouvé un perchoir… un portemanteau qui était dans la remise.

— Hum !

Il a aspiré les pommes de terre détrempées avec un petit mouvement de la tête vers l’arrière, puis m’a fixé du regard. Je savais qu’il pensait aux vacances scolaires qui commençaient à peine, vacances que les autorités dans leur immense sagesse avaient conçues pour que les fils puissent seconder leurs pères durant les gros travaux de l’été. Plus ou moins, j’étais à disposition.

— Tu iras faire marcher Bagatelle ce matin.

— D’accord.

— Elle n’est pas sortie depuis deux jours.

— C’est bon. Je la dérouille.

— Et après tu viendras m’aider pour les poulettes.

— D’accord.

— Tu me donneras un coup de main pour nettoyer ! Elles ont chaud. Elles souffrent. Il faudra aussi ôter celles qui sont mortes…

 

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