Cher Monsieur,
Je vous remercie beaucoup d’avoir songé à moi pour votre causerie de cet hiver[1]. Je regrette beaucoup de ne pouvoir vous satisfaire. J’ai toujours refusé les notes biographiques que l’on m’a demandées. Non, je n’ai jamais publié de manifeste. Ni aucun article d’ordre esthétique poétique. Dans La Rose rouge, quelques articles sur la peinture qui étaient un commencement et arrêtés par la disparition de cette revue[2].
À part un article dans une revue américaine[3], où l’on parle longuement de « ma vie » et qui est d’ailleurs bourré de canards et plus sensationnel qu’authentique, je ne connais rien d’autre.
J’ai aussi été interviewé mais non au sujet de ma poésie.
On m’a interrogé sur la crise des suifs en Suède. Ce n’est pas une blague. Et voilà. C’est tout. Et je trouve que c’est bien assez. Parlez de mes livres et dîtes-moi tel que vous me voyez dans mes livres. Ça sera très bien. Moi, je ne puis pas vous parler de moi. Je n’ai pas le temps et vivre intensément est plus beau que d’écrire.
Merci et croyez-moi très cordialement vôtre,
Blaise Cendrars
[1] Il s’agit de la conférence que Guiette projette de donner à l’université de Louvain. Le 18 décembre, Cendrars répond au compte rendu qu’il lui en fait.
[2] Publiés dans la revue en 1919, Cendrars les a réunis sous le titre « Modernités » dans Aujourd’hui en 1931. La Rose rouge ne vécut que le temps de 16 numéros, de mai à août 1919.
[3] La lettre suivante précise qu’il s’agit de The Plowshare, petite revue confidentielle qui se passionnait pour les avant-gardes. Elle publia en 1919 un long article sur Cendrars. L’auteur, Gunnar Cedarschiold, s’y montre averti, sinon de la biographie exacte de Cendrars, du moins de ce qu’il donnait à entendre de sa vie, à commencer par la naissance rue Saint-Jacques, une origine suisse, un voyage en Transsibérien et un long voyage en Russie, immédiatement suivi d’un séjour à New York et dans tous les Etats-Unis. Jay Bochner ajoute que le numéro précédent avait publié une traduction de J’ai tué avec des illustrations de Fernand Léger.