Nous n’avions pas qu’un village. Nous en avions deux.
L’un près du fleuve, dans les vignes et les vergers: Pragnin. L’autre à deux heures de marche au-dessus: Terroua. Et nous allions de l’un à l’autre selon les saisons; déménageant, emménageant sept fois durant l’année.
Deux noms à leur ressemblance. Pragnin qui est de guingois, pas du tout stable et qui s’étage. Terroua qui pèse lourd, qui tient ferme au sol et qui refuse de se confondre avec le ciel.
Deux villages et pourtant le même, avec les mêmes habitants, les mêmes pensées. Ainsi furent Rémi et Théoda: un homme et une femme, deux et pourtant la même chair et la même âme.
Une cinquantaine de familles y vivaient. Presque toujours deux ou trois par maison, sauf le curé qui en occupait une pour lui seul. On habitait un étage à Pragnin et un autre à Terroua. On possédait des prés et des champs disséminés du haut en bas de la montagne et des vignes dans la plaine.
Pour les gens d’ailleurs, ces familles auraient pu paraître toutes semblables. Pour nous, il existait de grandes différences. Certes, il y en avait entre les propriétaires de quinze vaches et ceux qui n’en faisaient paître que trois, entre les petits possédants, comme on disait de certains, et ceux qui n’avaient qu’un pré, entre un conseiller et un citoyen dont le nom ne figurait sur aucune liste électorale.
Nous étions parmi les petits possédants.