LES VOIX
ALFREDO TRAPS
LE GARAGISTE
L’AUBERGISTE
LE JUGE
LE PROCUREUR
L’AVOCAT
PILET
SIMONE
TOBIAS
Musique légère de variétés. Une automobile qui roule.
TRAPS. Ce Wildholz ! Il va la sentir passer. Bon sang de bon sang ! Comme une brute, je vais faire comme une brute. Je vais lui tordre le cou à celui-là. Va être surpris. Intraitable ! Pas de pardon, pas de pitié. Non. Pas à moi. Croit peut-être que je suis de l’Armée du Salut. Cinq pour-cent qu’il veut me rabioter. Cinq pour-cent ! Je flaire la combine. Une chance que ça ait marché avec Stürler. C’est un petit pactole, je l’ai joliment roulé. – Allons bon, qu’est-ce qu’elle a tout à coup la voiture ?
Bruits de voiture.
TRAPS. Arrêtée. Rien à faire. Au moins il y a un garage dans le coin. Hé, vous là !
LE GARAGISTE. Qu’est-ce qu’elle a votre Studebaker ?
TRAPS. Seul le diable le sait. J’allais prendre cette petite montée, voilà qu’elle n’avance plus d’un pouce.
LE GARAGISTE. Laissez-moi un peu voir.
Manipulations.
LE GARAGISTE. Aha. – Vous voyez ?
TRAPS. En effet ! Grosse réparation en perspective, on dirait.
LE GARAGISTE. Je pense aussi.
TRAPS. Pour quand pouvez-vous remettre la voiture en état ?
LE GARAGISTE. Demain à sept heures, vous pourrez venir la chercher.
TRAPS. Seulement demain ?
LE GARAGISTE. Il est quand même six heures du soir.
TRAPS. C’est loin jusqu’à la gare ?
LE GARAGISTE. Une demi-heure.
TRAPS. On peut passer la nuit au village ?
LE GARAGISTE. Renseignez-vous « A l’Ours ».
TRAPS. D’accord. Mais je serais curieux de savoir ce qu’il peut bien avoir, le moteur. Qu’est-ce que j’y comprends à tout ça. On est livré aux garagistes comme autrefois aux chevaliers pillards. « L’Ours ». Le gros, là, c’est sûrement l’aubergiste ?
Notes d’accordéon. Bruit de fête.
TRAPS. Une chambre libre ?
L’AUBERGISTE. Désolé. Tout est occupé. L’Association des éleveurs de petit bétail tient son assemblée.
TRAPS. D’autres auberges au village ?
L’AUBERGISTE. Aussi occupées par les éleveurs de petit bétail. Mais allez donc voir Monsieur Werge à la villa blanche, la rue principale tout droit et ensuite à gauche, il prend des hôtes.
Les notes d’accordéon se dissipent lentement.
TRAPS. J’aurais quand même dû prendre le train. Mais il ne part que dans une heure, et puis je devrais changer deux fois. Trop flemmard pour ça. Et je devrais de toute façon chercher la voiture demain. Le village a l’air agréable. Eglise, vieux chêne, des pavillons individuels, sûrement à des retraités et à des anciens fonctionnaires de la ville, des fermes, costaud, nickel, même le fumier est soigneusement entassé. Le mal que se donnent les gens.
Meuglements. Tintements de cloches.
TRAPS. Des vaches. Manquait plus que ça. Vraiment la campagne. Belle soirée d’été, le soleil encore haut dans le ciel, demain le jour le plus long. Peut-être qu’on peut en profiter, parfois on croise des filles très sympas dans un trou pareil, une Louise, une Catherine, comme l’autre jour à Grossbiestringen, c’était une super nuit, Evchen elle s’appelait. La villa, entourée de hêtres et de sapins, un assez grand jardin devant, bien bien, vers la route des fruitiers, des carrés de légumes, partout des fleurs. Bizarre, qu’ils prennent des hôtes ici, on dirait une sorte de pension. Des gens qui ont méchamment besoin de fric.
Le grincement d’une porte de jardin.
TRAPS. Personne en vue. Des allées de gravier. Ohé !
LE JUGE. Vous désirez ?
TRAPS. Monsieur Werge ?
LE JUGE. C’est moi.
TRAPS. Je m’appelle Traps, Alfredo Traps !
LE JUGE. Enchanté.
TRAPS. On m’a dit qu’on pouvait dormir chez vous. Je suis en panne.
LE JUGE. On peut.
TRAPS. Et combien demandez-vous ?
LE JUGE. Rien.
TRAPS. Rien ? Eh bien ça alors. Vous devez être le Père Noël en chair et en os ?
LE JUGE. Approchez. Venez dans la véranda.