parution septembre 2021
ISBN 978-2-88927-915-938-8
nb de pages 240
format du livre 105x165 mm
Grand National (poche)
résumé
Roland Buti a l’art de nous mettre tout contre ses personnages, de nous les rendre familiers de manière tactile, concrète et sensuelle. Le corps, le visage, les mouvements de chacun, la nature et les émotions sont saisis avec une infinie douceur, en dépit de la violence ou du comique des scènes.
Ainsi est-on plongé, avec Grand National, dans la vie de Carlo, en crise : sa femme Ana l’a quitté, sa mère s’est réfugiée dans un palace d’où elle refuse de sortir, et son employé encaisse un passage à tabac pour des raisons mystérieuses.
Avec Carlo, le lecteur va ressentir physiquement le manque et l’intime connaissance qu’il a d’Ana, appréhender la violente et récente histoire des Balkans, découvrir enfin le passé romanesque de sa mère pendant la Deuxième Guerre mondiale et son lien avec le palace du Grand National.
Postface de Claire Jaquier.
Grand National a reçu le prix Lettres frontière 2020.
Né à Lausanne en 1964, Roland Buti y fait des études de lettres et d'histoire, qu'il achève en 1996 par la rédaction d'une thèse remarquée sur l’extrême droite en Suisse entre 1919 et 1945. Après un recueil de nouvelles, Les Ames lestées, parues en 1990, il publie en 2004 Un Nuage sur l'œil, premier roman couronné par le Prix Bibliomédia Suisse 2005 et retenu dans la Sélection Lettres frontière 2005. En 2007 paraît Luce et Célie, puis en 2013, c'est Le Milieu de l’horizon, un texte couronné de nombreux prix littéraires (Prix suisse de la littérature 2014, Prix du public RTS 2014), traduit dans sept langues et adapté au cinéma en octobre 2019.
Daily Passions
"C’est terriblement bien écrit. L’auteur ne décrit, ne raconte pas tout dans le détail et pourtant, quand vous lisez, ce qui n’est pas dit vous saute à l’esprit. On lit entre les lignes une vie affective poignante. Celle d’un homme banal entouré de gens exceptionnels ou qui lui donnent l’impression de l’être. Du grand art."
Un article de Noé Gaillard à lire en entier ici
Grand National (2019, domaine français)
Roland Buti a l’art de nous mettre tout contre ses personnages, de nous les rendre familiers de manière tactile, concrète et sensuelle. Le corps, le visage, les mouvements de chacun, la nature et les émotions sont saisis avec une infinie douceur, en dépit de la violence ou du comique des scènes.
Ainsi est-on plongé, avec Grand National, dans la vie de Carlo, en crise : sa femme Ana l’a quitté, sa mère s’est réfugiée dans un palace d’où elle refuse de sortir, et son employé encaisse un passage à tabac pour des raisons mystérieuses.
Avec Carlo, le lecteur va ressentir physiquement le manque et l’intime connaissance qu’il a d’Ana, appréhender la violente et récente histoire des Balkans, découvrir enfin le passé romanesque de sa mère pendant la Deuxième Guerre mondiale et son lien avec le palace du Grand National.
La sécheresse de 1976.
Sous le soleil implacable de cet été, Gus quitte l’enfance. La nature se désagrège, les sentiments s’exacerbent, le noyau familial éclate : tout craque et se fissure jusqu’à ce que l’impensable arrive.
Les orages tant espérés balaieront une campagne épuisée et emporteront un monde avec eux.
Lauréat du prix des auditeurs de la RTS, du prix le Roman des Romands, d'un Prix suisse de littérature 2014
Luce et Célie (2015)
Luce et Célie, c’est l’histoire de deux femmes, nées dans l’Entre-deux-guerres, que la vie n’a pas épargnées. L’existence les réunit auprès d’un homme, Jean, mari indigne pour l’une, maître tyrannique pour l’autre. Qu’advient-il lorsqu’au cœur des années 1960 et de l’irruption de la société de consommation, ces femmes brimées rompent les barrières sociales pour se venger de leur oppresseur ?
« Elle ressent en elle un vide parce que tout le temps qu’elle aurait dû consacrer à Maurice, des heures et des heures de caresses, des jours et des jours de tracas, des années et des années de prévenance, s’est d’un seul coup évanoui. Que va-t-elle bien pouvoir faire désormais de ces heures sans usage ? »
Le milieu de l'horizon (2013, domaine français)
DIsponible en poche : http://editionszoe.ch/livre/le-milieu-de-l-horizon-2
Gus a quitté l’enfance un été de canicule. Alors qu’il aide son père paysan, lit et relit ses bandes dessinées, se baigne dans un réservoir souterrain avec Mado, la fille perdue du village, son univers familier et rassurant se fissure.
La mère de Gus, présence constante, tendre et complice s’éloigne peu à peu de lui, tandis que son père, pourtant véritable force de la nature, s’enferme dans sa chambre pour cuver son chagrin. L’impensable arrive. Gus doit alors prendre en main l’exploitation, guider les camions-citernes de l’armée vers les champs desséchés, traire les vaches trop pleines d’avoir été oubliées.
Quand il découvre le secret de sa mère, dans une scène magnifique de pudeur, il vit la fin d’un monde.
Roland Buti nous livre ici un récit ample, sensuel et puissant.
Disponible en poche ici
Lauréat du prix des auditeurs de la RTS, du prix le Roman des Romands, d'un Prix suisse de littérature 2014
Laudatio de Bernard Comment
"L’enjeu de l’écrivain est de dépasser toutes les formes de frontière, tout en demeurant conscient de là d’où il vient et de ce qui l’a déterminé dans son processus de formation. C’est cette oscillation entre l’universel et le particulier, voire le local, qui fait tout le prix de l’écriture de Roland Buti, dont l’ancrage dans la Suisse de son enfance à lui n’empêche en rien le lecteur de percevoir des dimensions beaucoup plus larges, qui tiennent sans doute aux expériences fondamentales de l’enfance et de la première adolescence, cette petite valise fondatrice qu’on trimballe avec soi toute une vie.
Dans son roman Le milieu de l’horizon, Roland Buti nous fait entrer dans le petit monde d’une ferme romande, dans le pays de Vaud, avec une puissance métaphorique semblable à celle de certains livres de Faulkner. Des forces étranges et puissantes sont à l’œuvre, derrière les apparences, et vont dérégler la vie familiale de Gus, gamin de treize ans, spectateur effaré et impuissant d’un effondrement multiple : celui de l’agriculture traditionnelle, celui du couple formé par ses parents, celui de la sexualité maternelle, celui de l’innocence de l’enfance.
Cela se passe pendant l’été 1976 et sa fameuse sécheresse. Tout va bientôt et inexorablement partir dans le brasier de la canicule et de l’orage. Bagatelle, la vieille jument, n’en finit pas de mourir. La passion brûle. Tout se consume. On est au bord du tragique comme on peut être au bord du volcan de Lowry. La langue sobre de l’auteur atteint l’incandescence. C’est de la grande littérature, un livre qui concerne un vaste public."
L'Amour émietté (2011, domaine français)
Dans L’amour émietté, Vince, veuf inconsolé, reconstitue les lettres déchirées en mille morceaux que Marie-Hélène lui écrivait. Et sa femme bienaimée ressuscite.
Jean-Philippe, guide de montagne raconte son face à face avec un « homme sauvage » vivant d’herbes et de chasse au sommet des Alpes Titus, le chat abyssin ramené d’une zone de conflits en Afrique, est écrasé à Genève par la voiture d’une bourgeoise pressée. Jean-Benoît en panne sur l’autoroute dialogue avec Rodion, un Bulgare dont le foyer est un immense panneau publicitaire.
L’écriture précise et le sens de l’observation de Roland Buti suggèrent, avec les quinze nouvelles de ce recueil, la douce et cruelle présence de l’insolite dans l’univers des gens ordinaires.
Luce et Célie (2007, domaine français)
Luce n'a que huit ans quand son père meurt. Plus tard, pendant la guerre, sa mère à l'esprit légèrement dérangé édifie un obstacle antichar sur la rue qui mène à leur maison. Et c'est un peu grâce à cet obstacle que Luce rencontre celui qui deviendra son mari.
Célie est orpheline, elle a été élevée par des soeurs. Après la mort de son grand amour, elle se fait engager comme employée de maison par Jean Périard, un homme suffisant et tyrannique qui ne pense qu'à ses relations d'affaires et à ses meubles ultramodernes.
Que font ces deux femmes, bien des années plus tard, dans la cave d'une maison qui va être détruite? A qui appartient le squelette qu'elles déterrent une nuit d'orage?
Luce & Célie raconte la rencontre improbable et l'amitié à toute épreuve d'une femme émancipée et d'une épouse trop timorée.
Un nuage sur l'oeil (2004, domaine français)
Les Âmes lestées (1990, domaine français)
Grand National (poche): extrait
Je longeais un couloir lisse et brillant sous les néons quand j’ai aperçu une infirmière qui venait dans ma direction. Elle n’était encore qu’une silhouette, mais j’ai tout de suite su que c’était elle.
Sa démarche est une empreinte indélébile dans ma mémoire. Quand je pense à elle, je la revois le buste un peu voûté qui avance en fléchissant légèrement l’épaule chaque fois que le poids de son corps passe d’un pied à l’autre. Ses genoux semblent contenir des ressorts qui produisent une infime vibration de ses hanches.
J’ai ralenti le pas. Au même moment, elle a ralenti le sien soudain hésitante comme si, se souvenant avoir oublié quelque chose, elle devait rebrousser chemin. Elle était encore loin, floue dans la lumière falote et plate, mais je ne l’ai pas quittée des yeux et nos regards se sont rencontrés malgré la distance. Elle n’a pas rebroussé chemin. Elle a seulement marqué une courte pause, puis elle a continué à avancer dans ma direction en feignant maladroitement un air détaché.
La connaissance que j’ai de son corps et de ses moindres gestes m’a fait frissonner. Ses bras ballants avec d’amples mouvements ondulatoires sont en réalité chez elle le signe d’une fausse assurance. J’ai exactement compris le trouble qui désorganisait à cet instant les pensées de la femme que j’aimais et qui m’avait quitté, mais par une surprenante bizarrerie, cela m’a aidé à masquer mon désarroi. Et je me suis mis à marcher plus vite vers elle.
— Ana !
— Carlo !
Dans l’étroit couloir, nos voix semblaient ne pas nous appartenir, un peu comme si nous les avions empruntées à des inconnus pour l’occasion.
— Ça va ?
— Bien et toi !
— Bien.
Ana était pâle sous l’éclairage artificiel. Ses cheveux avaient une teinte blond vénitien comme si nous étions en plein soleil. Mon attention s’est focalisée sur les poils clairs presque invisibles au-dessus de ses lèvres.
— Ton doigt ?
— Ah ! Oui. Une coupure. Assez profonde.
— Montre !
Elle a tapoté le pansement, en a jaugé l’épaisseur par une pression, puis l’a inspecté dans tous les sens. Elle semblait en retrait dans son corps engourdi. Elle sortait sans doute d’une nuit de garde. Je connais bien cette fatigue qui confère des intermittences à son caractère. Je sais qu’il ne faut alors pas la brusquer.
— Du joli travail, dit-elle.
— Oui.
— Qui te la fait ?
— Ici, à l’hôpital, un jeune homme frisé.
— Avec une boucle d’oreille ?
— Oui.
— Azem. C’est moi qui lui ai appris.
— Ça ne cicatrise pas ? a-t-elle demandé.
— Non.
— Je vois. Le pansement suinte.
— C’est une vilaine blessure.
Elle m’a regardé sans comprendre. Je lui ai expliqué les circonstances, le vieillard défendant son pré carré de jungle et les premiers soins donnés par mon employé sur place.
— À la moindre occasion, elle s’ouvre. Un mouvement sans y penser et...
Elle m’a adressé un sourire d’infirmière, un sourire un peu triste, parce que rempli d’une bienveillance teintée de résignation.
— Suis-moi ! Je vais te le refaire.
Je ne demandais pas mieux. Nous avons marché jusqu’au bout du couloir, tourné un angle, emprunté un autre long couloir pour arriver jusqu’au box réservé́ aux urgences.
[…]
— Qu’est-ce que tu viens faire à l’hôpital ?
— Une visite à un employé.
— Qui ça ?
— Agon.
Elle ne le connaissait pas parce que je l’avais engagé peu de temps après son départ de la maison.
— Un accident ?
— Non. On lui a cassé la gueule.
Assise sur un minuscule tabouret, Ana a déroulé le pansement avec délicatesse comme si chaque tour de tissu pouvait révéler une mauvaise surprise. Les boutons de sa blouse ouverts jusqu’au troisième dévoilaient sa gorge. Ses clavicules et les os de sa cage thoracique étaient visibles sous sa peau blanche sauf à l’endroit où ses seins prenaient naissance. Ils avaient l’air de ne pas être tout à fait bien accrochés. Elle devait avoir maigri.
Légèrement penchée sur moi, son genou appuyé contre ma cuisse, je pouvais respirer son odeur, une combinaison de transpiration et de parfum poivré, une odeur dont la source m’a semblé être exactement à l’échancrure et qui m’a fait penser à celle de l’herbe sèche sous la pluie.
Nous avions toujours une couverture molletonnée pliée au fond du coffre de notre voiture. Souvent, la seule vue d’une clairière au détour d’un virage, le cours d’une rivière et ses replis aperçus au loin, une trace odorante de sous-bois s’insinuant dans l’habitacle par la vitre baissée électrisait l’air qui entrait dans nos poumons. Nous nous garions alors sur le premier accotement pour nous enfoncer loin des regards. Nous l’étalions à un emplacement propice, sur une nappe de brindilles, d’humus ou de hautes fanes écrasées pour faire l’amour avec le ciel souple et mince au-dessus de nos têtes. La peau claire d’Ana, ses poils blonds tirant sur l’orangé, son corps musclé piqué par endroits de taches de rousseur dégagent un parfum balsamique, celui des arbres résineux et des feuilles fruitières.
C’était parfois très acrobatique et je me suis remémoré avec tendresse ses fesses entrouvertes, tendues dans l’effort pour récupérer ses habits éparpillés dans les taillis, situation qui me troublait bien plus que toute autre pose habituellement considérée comme érotique. Ana estime qu’un orgasme libère des anticorps, une hormone dont les effets sur l’organisme sont comparables à plusieurs cachets contre le mal de tête ou contre les douleurs articulaires.
Pourquoi n’avons-nous pas fait le point, pourquoi n’avons-nous pas décidé d’une pause, puis après quelques mois essayé à nouveau ? Pourquoi n’avons-nous pas eu la force de réagir quand notre relation se défaisait ? Je me suis remémoré les semaines et les semaines où nous nous croisions à peine, moi dans les jardins et elle nuit et jour à l’hôpital et comment nous avions alors compris que le décor de notre vie ne faisait plus illusion, que les souvenirs que nous avions ramenés de vacances, les meubles que nous avions choisis n’étaient plus tout à fait à leur place, que nous-mêmes n’étions jamais tout à fait là où nous aurions dû être, ne trouvant plus nos marques, nous cognant aux coins aigus des tables, nous gênant l’un l’autre, nous évitant même parfois sans réussir à discuter parce que nos voix résonnaient dans le silence inaccoutumé de notre appartement comme si tout autour de nous était en toc et que nous parlions dans le vide.
Dans ce box étriqué, au milieu d’appareils bizarres protégés par des housses de plastique, Ana prenait une dimension extraordinaire. Elle se taisait, concentrée, et j’ai fermé les yeux.
J’ai humé les effluves de son parfum, plus intenses quand elle se penchait et que ses cheveux frôlaient presque mon visage. Je me suis imperceptiblement avancé pour que nos peaux se touchent, mais sans succès. Elle désinfectait la plaie. Ce n’était pas douloureux. Je l’entendais respirer et son haleine m’effleurait par instants : ce qui vient du plus profond d’elle, la manifestation concrète de l’incandescence de son corps.
Je me suis dit que c’est merveilleux et accablant à la fois d’avoir une connaissance si entière, si précise d’Ana qui fonctionnait comme elle avait fonctionné quand nous vivions ensemble, quand je la serrais contre moi le matin au petit-déjeuner, quand le soir avant de nous abandonner au sommeil je cherchais un court moment son contact, quand, éreintée ou découragée, je la voyais comme personne ne la voyait jamais, quand j’assistais à ses essayages parce qu’elle voulait un conseil, conseil qu’elle n’écoutait jamais, quand elle courait nue de la salle de bain à la chambre à coucher où elle avait oublié un vêtement en enfermant ses seins dans ses bras, quand elle me demandait de palper son ventre ou ses hanches pour savoir si au moins elle n’avait pas grossi, quand elle relevait son pull pour avoir mon avis sur un grain de beauté qui l’inquiétait, quand elle dormait et que, le drap ayant glissé, elle était pelotonnée comme une chatte dans un panier pour ne pas avoir froid.
J’ai ouvert les yeux. Ana avait presque terminé le bandage. Son regard a rencontré le mien. Elle l’a appuyé et je l’ai soutenu. Cela a duré plusieurs secondes. J’ai eu envie de lui dire que je l’aimais, qu’elle me manquait, que son corps, son odeur, que chacune de ses attitudes, que chacun de ses gestes était imprimé dans ma chair, que je ne pouvais faire un mouvement sans qu’elle soit tout entière avec moi. J’ai eu envie de lui dire que je ne pouvais vivre sans elle encombré de souvenirs, étranger à moi-même.