Poche
ISBN 978-2-88182-658-0
Disponible

Jean-Marc Lovay

Aucun de mes os ne sera troué pour servir de flûte enchantée

Jean-Marc Lovay

Aucun de mes os ne sera troué pour servir de flûte enchantée

Zoé Poche
ISBN 978-2-88182-658-0

Résumé

Aucun de mes os ne sera troué pour servir de flûte enchantée, un roman que Jérôme Meizoz, spécialiste de l’œuvre de Jean-Marc Lovay, nous invite à lire ainsi : « Qu’on dépose ses habitudes mentales, qu’on entre dans le Palais Postal ouvert à la nouvelle règle du jeu qui fait l’étrange beauté des textes de Jean-Marc Lovay. En route ! »

Première parution en 1998

Auteur

Jean-Marc Lovay

Jean-Marc Lovay quitte l’école à 16 ans. Il voyage en Asie, au Proche-Orient, en Australie, en Ecosse, s’arrête longtemps à Madagascar. Il vit dans des villages de montagne, il vit de toute façon résolument à l’écart. La publication chez Gallimard de ses trois premiers romans, des prix littéraires, un succès d’estime à grande échelle, tout cela ne l’écartera pas de sa trajectoire rigoureuse : non pas hors du monde, car il y est peut-être bien plus que nous, mais loin d’une société nécessairement compromise.

Pour autant, l’écriture de Lovay est le contraire de l’austérité, elle est aussi audacieuse que libre. Lovay creuse dans la langue comme dans un matériau, obstinément, de toutes les manières, tout en sachant aussi laisser le souffle faire.

Comme une danseuse à la barre tous les jours, Lovay impose à son imagination déferlante une rigueur et un travail acharné sur les mots. Il sait garder cette liberté d’esprit absolument singulière tout en la précisant, la taillant, l’affûtant grâce au baroque de sa langue.

Citations sur l’œuvre de Jean-Marc Lovay

JEAN-MARC THEYTAZ, Le Nouvelliste, 09 juin 2015

« Jean-Marc Lovay, lauréat du Prix de l’Etat du Valais 2015. Cette récompense cantonale suprême, arrive à point nommé pour saluer l’œuvre d’un écrivain de dimension nationale et internationale.

Jean-Marc Lovay c’est l’imaginaire, la fulgurance verbale, le jaillissement créateur, un auteur qui a su créer au long de décennies de travail un univers hors normes, qui a cassé les codes sociaux, déconstruit les narrations linéaires, dépassé toutes les logiques et rationalités avec une puissance et un souffle onirique extraordinaires. (…) »

 

 

JERÔME MEIZOZ

Auteur de Le Toboggan des image. Lecture de Jean-Marc Lovay, Zoé  1994

Que Lovay soit suisse, ou plutôt valaisan, est un fait non négligeable, même s’il est à mille lieues de faire du régionalisme littéraire. Valaisan, c’est-à-dire, pour un Parisien, venu d’une «province qui n’en est pas une», formé dans un canton dont la tradition intellectuelle a été monopolisée jusqu’à il y a peu par l’Eglise catholique. Géographiquement, c’est naître dans le berceau ou la tombe dentelée des Alpes. Cet enfermement intellectuel et géographique, Lovay le refuse absolument. D’où sa fascination pour les cols alpins, surtout promesses d’un autre côté, d’un voyage.

 

 

MARIE-LAURE DELORME Journal du dimanche. Magazine littéraire

Jean-Marc Lovay, ce styliste prodige à la vision noire, passe pour un auteur difficile et élitiste. C’est bien sûr le cas. Mais la vue n’est-elle pas d’autant plus belle que le chemin a été ardu ?

 

 

DIDER JACOB  Le Nouvel Observateur

Le monde de Lovay est, on le voit, à l’envers du nôtre : les objets parlent, pensent, vivent, dans une gigantesque prosopopée qui participe de ce que l’auteur, résumant son entreprise, appelle la «pure dysharmonie du chant».

 

 

GERARD MEUDAL  Le Monde

Et le paradoxe de ce style incantatoire est de créer un silence assourdissant, de celui qui s’installe au lendemain des grandes catastrophes. Le livre refermé, on se surprend à guetter les bruits d’une nouvelle manière, à tenter de percevoir le chant des oiseaux, et le silence qui suit est encore de Lovay.

 

 

Interview de LOVAY par Didier Jacob pour Le Nouvel Observateur extrait (2003).

 

Vous vivez toujours en ermite, dans la montagne.

Je n’ai plus les bêtes. Je me lève à 6 heures, je relis ce que jai fait la veille et je m’y mets. Parfois je coupe du bois, ou bien je vais marcher sur les crêtes frontalières. Je fais quelquefois 50 kilomètres pour être à un endroit qui me plaît. Les champignons, si j’en vois, je les laisse. Si quelqu’un d’autre les trouve, tant mieux. Par contre, je jardine. A une époque, j’avais mille mètres de potager, je vendais des oignons, j’avais des poules, des lapins, je faisais des tommes, j’échangeais les fromages contre autre chose. Quand je suis allé à Madagacar, en 1986, j’avais ma présure, je me disais que je pouvais toujours gagner de l’argent avec ça.

 

Comment écrivez-vous ?

J’ai écrit «Polenta» la nuit, à la bougie. Je descendais de temps à autre pour les chèvres. «La Conférence de Stockholm», je l’ai écrite en Australie, chez  l’habitant. Du soir jusqu’au matin, avec une bouteille de gnôle. A une époque, j’avais un minuscule alambic que mon frère m’avait fabriqué avec une Cocotte-Minute. Je la mettais sur un poêle à gaz, avec mon pruneau que j’avais mis à fermenter. Avec cet équipement, il me fallait deux heures et demie pour faire une bouteille. J’ai corrigé le «Colonel Fürst» comme ça : je travaillais deux heures et j’avais mon litre de prune. Quand je travaillais bien, j’en faisais trois dans la soirée.

 

On a l’impression dans vos livres de pénétrer dans un monde à l’envers.

Vous dites ça, mais il m’est arrivé de retourner ma table pour avoir l’impression de travailler après un tremblement de terre. J’ai écrit comme ça, sur ma table retournée comme un plafond qui m’écrase.

 

Vos livres sont une suite de visions. Comment vous viennent toutes ces images ?

Je les vois. Les gigantesques cuisines, c’est parce que, quand j’étais môme, la famille de mon père avait un hôtel. Il y avait des fourneaux à bois, de l’eau chaude qui fumait à gros bouillons. Ça me fascinait. Je voulais être casserolier, quand j’étais enfant. Les immenses toitures de métal, je les vois. J’entends l’eau qui coule. Je vois tout, je vois les immenses tortues qui avancent, devant moi, comme de gigantesques dolmens.

Extrait

 

I. LE CHANT DES OISEAUX

En me réveillant assis sur la froide prairie je voyais que la familière maison avait été remplacée par un cabanon que j’aurais été incapable de construire et qu’aucun être humain n’aurait pu ériger en croyant qu’il abriterait un de ses frères vivants ; et me souvenant que deux soleils avaient tourné de plus en plus vite dans ma tête et que j’avais été précipité dans un abîme, je regardais le miroir qui avec lenteur se redressait à l’entrée du cabanon ; et prosterné devant le miroir pour le supplier de me renvoyer là-haut d’où j’étais tombé, je devinais une ombre qui passait derrière moi. Et me retournant vers le ciel dénué de pitié et de cruauté j’entendais finir d’un coup les chants de colère et les chants de joie des oiseaux ; et pour ne pas mourir écrasé par le silence de ce ciel j’allais vers la souche du pommier au-dessus de laquelle stagnait le coeur d’un ancien souvenir de rougegorge ; et ce n’était pas le coeur du souvenir d’avoir moi-même vu un rouge-gorge voleter sur les têtues orties, mais le coeur d’un souvenir qui naguère vivait dans l’esprit d’un rouge-gorge et que ce rouge-gorge effrayé par le reflet d’un nuage carré dans une mare n’avait pu empêcher de glisser hors de son esprit ; et je pensais que le rouge-gorge avait peut-être libéré ce souvenir pour lui interdire de continuer à souffrir en lui et ainsi s’alléger du

poids de sa souffrance. Et déjà je ne voyais plus le coeur du souvenir et je commençais à percevoir son corps qui avait la forme d’une mince main de pierre marbrée de chair ; et je sentais que ce n’était pas pour donner la liberté à un souvenir ni pour en faire miroiter la vision que le rouge-gorge avait ouvert une fenêtre de son esprit ; et je pensais que le rouge-gorge avait ordonné à son essentiel souvenir de s’enfuir dans l’air et de rester en suspension au-dessus de la souche du pommier pour incarner cette main de pierre et de chair guettant l’arrivée de celui qui la saisirait avec la conviction que cette main depuis toujours attendait de s’offrir à lui ; et dans l’immobilité de cette main il y avait un tremblement

avide et le bégaiement d’une imploration jaillie de la peur et empêchant de discerner si le souvenir portait en lui le malheur ou le bonheur. Allongés par l’envie de caresser l’incarnation de l’ancien souvenir d’un rouge-gorge, mes doigts se tendaient vers la main de pierre et de chair ; et voyant mes ongles croître et ressembler aux ongles des morts je pensais que si avec la plus infime douceur mes ongles griffaient la main en suspension au-dessus de la souche du pommier tous les chants d’oiseaux se réveilleraient ; et une branche du pommier depuis longtemps disparu appuyait soudain contre mon épaule pour m’interdire de toucher la main de pierre marbrée de chair ; et je sentais que si je bousculais cette invisible branche pour oser toucher l’incarnation de l’ancien souvenir d’un rouge-gorge, les chants hargneux et les chants pacifiques des oiseaux jamais plus ne retentiraient. Avec tristesse j’obéissais au louvoyant instinct qui de mes deux mains formait deux poings ; et ces deux poings me liaient à moi en tapant fort et me forçaient à reculer vers le miroir devant lequel encore une fois j’étais prosterné et humilié ; oui, j’étais humilié par l’instinct qui me retenait de casser le miroir et brisait la certitude qu’en éteignant la fausse lumière du miroir je ferais rechanter les oiseaux ; et je ne savais pas d’où était montée ou descendue cette certitude ni si au fond de moi s’était déjà endormi le désir que rechantent les oiseaux. Et la ligne séparant le ciel où les oiseaux chantaient du ciel où les oiseaux ne chantaient plus, elle passait au milieu d’une confuse forme ovale que je discernais dans le miroir ; et je pouvais encore me souvenir qu’un jour en marchant dans les collines j’avais senti que mes pieds usaient la terre et entendu sonner contre mon oreille les cris approbateurs de toute l’érosion ; et

je me souvenais que ce jour-là j’avais vu une tranchée ouvrir l’air entre les chants de colère et les chants de joie des oiseaux, et que cette tranchée alors s’était emplie de tous les chants morts et avait disparu. Et voyant la forme ovale se préciser dans le miroir j’appliquais mon front contre le verre afin de percevoir si l’ombre qui entourait l’ovale était constituée de cheveux ou de poils ; et l’ombre s’éclaircissait en se pailletant de scintillements dorés et je voyais en bas dans une cave la courbe rangée de lampes éclairant une estrade de planches pourries et de terre boueuse ; et un minuscule prédicateur sortait d’un trou de l’estrade et s’élevait debout sur une rondelle de métal poussée par un piston vers le haut d’un tube  transparent qui lui-même montait et dans lequel bouillonnait un mélange de sang et de vin.

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