Domaine français
Parution Jan 2008
ISBN 978-2-88182-603-0
160 pages
Format: 140 x 210 mm
Disponible

Domaine français
Disponible

Jean-Marc Lovay

Réverbération

Domaine français
Parution Jan 2008
ISBN 978-2-88182-603-0
160 pages
Format: 140 x 210 mm

Résumé

L’ancien meilleur apprenti pleureur final Krapotze espérait encore être élu Grand Suicideur, pendant qu’il emmenait son fidèle complice chez Frauline-l’Illuminatrice, là où elle ne pourrait donner naissance à l’unique brodeur de linceul pour oiseaux, le grand Rapetissé, qu’après avoir refusé d’en pleurer la future disparition et rendu sa liberté à l’unique larme encore prisonnière de son âme. Et quand devenus traqueur et poursuiveur de voleurs et de truqueurs de rêves, Krapotze et son complice réussiront à n’être ni grandis ni perdus par leur sublime vanité à vouloir incarner les prodigieuses ombres acharnées à poursuivre l’ombre noire de l’Arracheur de mémoire, personne ne pourra plus les empêcher d’entrevoir encore une fois la Sauveuse, revenue des confins du seul vrai rêve qu’aura été leur vie, pour leur souffler d’oublier que c’était grâce à elle qu’ils étaient nés pour disparaître et qu’ils comprendraient enfin pourquoi elle connaissait toujours tout sans jamais rien reconnaître.

Auteur

Jean-Marc Lovay

Jean-Marc Lovay quitte l’école à 16 ans. Il voyage en Asie, au Proche-Orient, en Australie, en Ecosse, s’arrête longtemps à Madagascar. Il vit dans des villages de montagne, il vit de toute façon résolument à l’écart. La publication chez Gallimard de ses trois premiers romans, des prix littéraires, un succès d’estime à grande échelle, tout cela ne l’écartera pas de sa trajectoire rigoureuse : non pas hors du monde, car il y est peut-être bien plus que nous, mais loin d’une société nécessairement compromise.

Pour autant, l’écriture de Lovay est le contraire de l’austérité, elle est aussi audacieuse que libre. Lovay creuse dans la langue comme dans un matériau, obstinément, de toutes les manières, tout en sachant aussi laisser le souffle faire.

Comme une danseuse à la barre tous les jours, Lovay impose à son imagination déferlante une rigueur et un travail acharné sur les mots. Il sait garder cette liberté d’esprit absolument singulière tout en la précisant, la taillant, l’affûtant grâce au baroque de sa langue.

Citations sur l’œuvre de Jean-Marc Lovay

JEAN-MARC THEYTAZ, Le Nouvelliste, 09 juin 2015

« Jean-Marc Lovay, lauréat du Prix de l’Etat du Valais 2015. Cette récompense cantonale suprême, arrive à point nommé pour saluer l’œuvre d’un écrivain de dimension nationale et internationale.

Jean-Marc Lovay c’est l’imaginaire, la fulgurance verbale, le jaillissement créateur, un auteur qui a su créer au long de décennies de travail un univers hors normes, qui a cassé les codes sociaux, déconstruit les narrations linéaires, dépassé toutes les logiques et rationalités avec une puissance et un souffle onirique extraordinaires. (…) »

 

 

JERÔME MEIZOZ

Auteur de Le Toboggan des image. Lecture de Jean-Marc Lovay, Zoé  1994

Que Lovay soit suisse, ou plutôt valaisan, est un fait non négligeable, même s’il est à mille lieues de faire du régionalisme littéraire. Valaisan, c’est-à-dire, pour un Parisien, venu d’une «province qui n’en est pas une», formé dans un canton dont la tradition intellectuelle a été monopolisée jusqu’à il y a peu par l’Eglise catholique. Géographiquement, c’est naître dans le berceau ou la tombe dentelée des Alpes. Cet enfermement intellectuel et géographique, Lovay le refuse absolument. D’où sa fascination pour les cols alpins, surtout promesses d’un autre côté, d’un voyage.

 

 

MARIE-LAURE DELORME Journal du dimanche. Magazine littéraire

Jean-Marc Lovay, ce styliste prodige à la vision noire, passe pour un auteur difficile et élitiste. C’est bien sûr le cas. Mais la vue n’est-elle pas d’autant plus belle que le chemin a été ardu ?

 

 

DIDER JACOB  Le Nouvel Observateur

Le monde de Lovay est, on le voit, à l’envers du nôtre : les objets parlent, pensent, vivent, dans une gigantesque prosopopée qui participe de ce que l’auteur, résumant son entreprise, appelle la «pure dysharmonie du chant».

 

 

GERARD MEUDAL  Le Monde

Et le paradoxe de ce style incantatoire est de créer un silence assourdissant, de celui qui s’installe au lendemain des grandes catastrophes. Le livre refermé, on se surprend à guetter les bruits d’une nouvelle manière, à tenter de percevoir le chant des oiseaux, et le silence qui suit est encore de Lovay.

 

 

Interview de LOVAY par Didier Jacob pour Le Nouvel Observateur extrait (2003).

 

Vous vivez toujours en ermite, dans la montagne.

Je n’ai plus les bêtes. Je me lève à 6 heures, je relis ce que jai fait la veille et je m’y mets. Parfois je coupe du bois, ou bien je vais marcher sur les crêtes frontalières. Je fais quelquefois 50 kilomètres pour être à un endroit qui me plaît. Les champignons, si j’en vois, je les laisse. Si quelqu’un d’autre les trouve, tant mieux. Par contre, je jardine. A une époque, j’avais mille mètres de potager, je vendais des oignons, j’avais des poules, des lapins, je faisais des tommes, j’échangeais les fromages contre autre chose. Quand je suis allé à Madagacar, en 1986, j’avais ma présure, je me disais que je pouvais toujours gagner de l’argent avec ça.

 

Comment écrivez-vous ?

J’ai écrit «Polenta» la nuit, à la bougie. Je descendais de temps à autre pour les chèvres. «La Conférence de Stockholm», je l’ai écrite en Australie, chez  l’habitant. Du soir jusqu’au matin, avec une bouteille de gnôle. A une époque, j’avais un minuscule alambic que mon frère m’avait fabriqué avec une Cocotte-Minute. Je la mettais sur un poêle à gaz, avec mon pruneau que j’avais mis à fermenter. Avec cet équipement, il me fallait deux heures et demie pour faire une bouteille. J’ai corrigé le «Colonel Fürst» comme ça : je travaillais deux heures et j’avais mon litre de prune. Quand je travaillais bien, j’en faisais trois dans la soirée.

 

On a l’impression dans vos livres de pénétrer dans un monde à l’envers.

Vous dites ça, mais il m’est arrivé de retourner ma table pour avoir l’impression de travailler après un tremblement de terre. J’ai écrit comme ça, sur ma table retournée comme un plafond qui m’écrase.

 

Vos livres sont une suite de visions. Comment vous viennent toutes ces images ?

Je les vois. Les gigantesques cuisines, c’est parce que, quand j’étais môme, la famille de mon père avait un hôtel. Il y avait des fourneaux à bois, de l’eau chaude qui fumait à gros bouillons. Ça me fascinait. Je voulais être casserolier, quand j’étais enfant. Les immenses toitures de métal, je les vois. J’entends l’eau qui coule. Je vois tout, je vois les immenses tortues qui avancent, devant moi, comme de gigantesques dolmens.

Extrait

 

En me réveillant pour m’évader du rêve où des ruisseaux d’oiseaux morts coulaient vers la rivière qui descendait au fleuve des fièvres, je me retrouvais à l’intérieur du matin de mon anniversaire, qui était la cage aux espaces immenses séparant les barreaux entre lesquels je voulais m’envoler ; et voyant au loin s’élever le mirage des âmes de toutes les bêtes qui ce soir seraient sacrifiées dans les flammes de bûchers arrogants et fétides, je me souvenais de Krapotze, celui qui du temps de sa jeunesse et de la mienne était le plus habile divinateur du dernier pleur parmi tous les autres précoces férus en sanglots, et qui avait déjà le visage d’un faux pleureur quand il me disait que le jour où par bonheur pour moi et surtout pour lui, je croirais qu’il n’y avait enfin plus un seul être humain pour penser à mon anniversaire, alors je pourrais aller avec les chiens sous l’arbre ; et Krapotze disait qu’en leur tirant les queues et frottant le bâton contre l’écorce en épousant le cristallin diapason avec eux, je ferais couiner et s’arquer la gamme jusqu’à son oreille perpétuellement attentive au malheur d’autrui, la plus pure et la plus sincère de ses oreilles à lui, Krapotze, qui depuis toujours voulait être élu en tant qu’officiel et costaud écouteur qui ne dormirait plus jamais, le pur sans-sommeil, l’éveillé chefconseilleur en méthode de suicide réussi et le sombre empêcheur de suicide raté, parce qu’avant même de pouvoir comprendre ce que signifiait l’alignement des mots «encore une journée perdue pour les perdants », il avait déjà compris que le meilleur apprenti pleureur final ne pouvait qu’être celui qui serait le plus capable d’apprendre à se retenir de pleurer, quand dans le regard de celui qui viendrait le lui demander, il devinerait l’instant où il devrait mourir.

Et ce matin-là le chiffre d’un autre merveilleux jour de mon anniversaire tombait du calendrier géant qui flottait au-dessous d’un unique nuage, pendant qu’appuyé au tronc du frêne foudroyé j’essayais de penser à ce que voyait le moustique qui nageait sur l’eau de la fontaine, observant par en dessous les deux veilleuses de chiens juchées sur les murets pour faire de l’ombre à douze chiots éblouis et leur permettre de boire avec la serpentesque tétine collective dotée de onze embouts, une dernière fois avant que la fontaine disparaisse ; et la meule de ténèbres ramassée en haut du chemin dans son aspect d’avoir été entassée là par des balayeurs, s’avançait pour couvrir de nuit la lumière en prenant d’abord les plus faibles mourantes lueurs et en les poussant vers une caisse à bétail vide qui ressemblait à un piège destiné à attirer le corps glacé d’un petit soleil refroidi, à tirer dans un trou un soleil mort et rapetissé, la réduction d’un soleil déjà presque réduit à une braise, et à l’enterrer exactement à l’instant que dans l’infini Aujourd’hui d’hier, parmi les formes de la fontaine vibrante dans une nuée limoneuse à travers laquelle je voyais de minuscules visages d’eau gicler d’un seau, très vite apparaissait et disparaissait et réapparaissait la fontaine cachée, celle de dessous, qui était la génitrice de celle de dessus, la laiteuse force originelle, la puissance de la fontaine lactée originaire, celle qui m’offrait à moi, et à tout ce qu’il y avait de visible et d’invisible autour de moi, l’éphémère réalité d’une vraie fontaine. En soufflant dans des sifflets en forme de doigts en fer dont la sonorité mettait en moi la certitude que toutes les bêtes seraient bientôt devenues aveugles, les veilleuses de chiens avertissaient les chiots buveurs que l’eau de la fontaine allait bientôt mourir, mais elles tremblaient en semblant hésiter à les avertir que sa pierre ne tomberait pas en poussière avant la transformation de leurs crânes en coffrets de boue par les artistes oeuvrant sous la terre. Arrivant encore à me souvenir qu’il y avait des années que le temps était venu où certains de ceux qui se souvenaient du jour de mon anniversaire s’étaient pendus dans une encoignure de leur propre mémoire et où j’en avais enfermé d’autres dans une geôle de ma mémoire, j’apercevais Krapotze qui me faisait signe de monter vers lui en haut sur la terrasse devant les chambres d’animaux en voie de guérison finale ; et sautillant avec le rythme de l’incongru trop gigantesque mélancolique moineau, avant de ramper debout parce que j’étais alors soutenu par l’aimante solidité de l’air, je franchissais les remous des veilleuses qui tournoyaient en tirant les queues de deux grands chiens blancs éblouis venus tourner autour d’elles avec les gestes de vouloir déshabiller deux filles et endosser eux-mêmes leurs robes. Entre les mouvements des chiens habiles qui tour à tour réussissaient à faire sortir une fille de sa robe et à remplacer très vite cette robe soudain devenue rouge par la blancheur des fourrures, je percevais la silhouette d’une âme qui me faisait signe d’oser avoir encore envie, autant que d’un mystérieux cadeau qu’on m’offrirait encore, d’emprunter à une des filles son sifflet de veilleuse de chien et d’inventer la mélodie d’une chanson intitulée « bon anniversaire », en pensant que j’étais le chien étranger qui sifflait cet air inconnu tout en connaissant le jour de la naissance de chacune des veilleuses, et sachant que pas une seule d’entre elles n’était née à une époque où elle aurait pu se souvenir quel jour j’étais né, moi qui parmi les jappements mélodieux encore prisonniers dans ma tête,  sais demander à une étrangère de s’imaginer qu’aujourd’hui c’était son anniversaire, et d’avoir la bonté de s’offrir une des chemises quasiment transparentes que je proposais sans jamais marchander, juste en échange de pouvoir regarder au moins une heure à travers et en ayant la délicatesse de rester celui qui n’aboyait jamais quand il était repoussé à coups de bâton à travers les campagnes.

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