Ce beau nom qui chante c’est tout là-haut dans le ciel valaisan – à 1936 m d’altitude – une église blanche avec un carillon dans un village brun perché près d’une forêt de mélèzes. Jusqu’en 1959 on n’y arrivait qu’à pied en une heure depuis Saint-Luc. Le mulet n’allait pas plus vite. La route n’existait pas.
La vie de ces montagnards paysans est aussi rude qu’originale. Pendant l’été sec ils doivent irriguer leurs prés très raides au moyen de canaux ou bisses qui distribuent l’eau venue du torrent lointain. En juillet après avoir fauché l’herbe fleurie, Cyprien et Basile aussi bien que Philomène et Augustine ramènent sur leurs têtes des charges de fois de trente kilos tout en suivant d’étroits sentiers. Les enfants accompagnent partout leurs parents car ils n’ont d’école que pendant les six mois d’hiver.
Le climat est si sain que la viande séchée, le jambon et le grain se gardent indéfiniment dans les greniers. Ceux-ci sont caractéristiques; ils sont construits sur quatre piliers surmontés chacun d’une grande dalle plate destinée à barrer le chemin aux souris affamées. Dans le four à pain communal allumé une fois par mois, les paysans faisaient cuire leur fameux pain de seigle dur et noir. Mais aujourd’hui je vois que tout le monde achète le pain blanc venu par la poste de la boulangerie de Vissoie.
À vrai dire c’est la vache qui joue le rôle principal dans la vie des montagnards car ils ont l’habitude de manger du fromage à chaque repas.
Pendant l’été les bêtes sont toutes réunies à l’alpage où les pâtres font ces fromages succulents destinés à la raclette. En juin lors de l’inalpe, le premier jour où les vaches se rencontrent, elles s’affrontent et luttent pour voir qui est la reine, celle qui conduira le troupeau à chaque sortie.
En hiver chaque famille s’occupe de son bétail. Il faut parfois changer de mayen malgré la haute neige, lorsque tout le foin d’une grange-écurie a été mangé. Les ancêtres de ces vaches brunes du Valais ont été jadis amenés par l’envahisseur romain – qui succédait à des tribus celtiques. Le dialecte de la vallée est d’origine franco-provençale. En prévision du très long hiver riche en haute neige, il s’agit d’amonceler le bois de mélèze résineux qui brûlera dans le poêle en pierre ollaire qui garde bien la chaleur. C’est ce même bois fendu spécialement en plaques qui fournit les tavillons dont on fait la toiture si pittoresque des chalets.
Autrefois les Chandolinards pratiquaient beaucoup le nomadisme ou « remuage ». Ils déménageaient avec leur bétail afin d’utiliser le foin de hameaux éloignés (allant même jusqu’à Sierre où ils avaient aussi une maison familiale ainsi que du vignoble). Cette coutume se perd et aujourd’hui en cas de besoin on transporte les bêtes en camionnette. Tout change. Baignoires et machines à laver font partie d’une maison paysanne d’aujourd’hui.
Après la guerre les fils étaient partis travailler dans la plaine pour mieux gagner. Les vieux parents étaient restés seuls avec quelques vaches et l’on pouvait craindre le dépeuplement.
Mais la nouvelle route est terminée, des entrepreneurs de la vallée ont construit un nouvel hôtel, entouré de nouveaux chalets pour citadins, ainsi que le téléski de l’Illhorn qui monte à 2700 m. C’est le début d’un nouveau chapitre dans la vie d’un courageux village au cœur des Alpes.
1964
Texte écrit pour la Radio scolaire
pp.11-13