Domaine français
Parution Mar 2016
ISBN 978-2-88927-316-4
320 pages
Format: 140 x 210 mm
Disponible

Domaine français
Disponible

Catherine Lovey

Monsieur et Madame Rivaz

Domaine français
Parution Mar 2016
ISBN 978-2-88927-316-4
320 pages
Format: 140 x 210 mm

Résumé

Ce roman raconte la vie trépidante et ordinaire d’une jeune femme du XXIe siècle à l’esprit don quichottesque et qui, prise dans l’œil du cyclone, ne comprend ni ne maîtrise grand chose de ce qui lui arrive à elle en particulier et au monde en général. Avec une ironie mordante, l’écriture énergique, les réflexions de Catherine Lovey nous font traverser un monde archi contemporain, fourmillant de récits et de personnages, et nous promènent le long de milieux très différents, des hôpitaux aux paquebots, de l’université à la montagne.
Monsieur et Madame Rivaz raconte l’histoire d’une femme qui va au combat pour retrouver un sens à la vie et au monde d’aujourd’hui. C’est un livre sur la possibilité ou l’impossibilité de la bonté.

Autrice

Catherine Lovey

Originaire du Valais, Catherine Lovey est née en 1967 au sein d’une famille de paysans de montagne. Elle se plonge très tôt dans la lecture et dans l’écriture. Après des études en relations internationales, complétées par un diplôme en criminologie, elle travaille en tant que journaliste de presse écrite, spécialisée sur les questions économiques et financières.

En 2005, elle publie son premier roman L’Homme interdit, suivi de Cinq vivants pour un seul mort (2008) et d’Un roman russe et drôle (2010). Véritable romancière, Catherine Lovey crée des univers narratifs de crise qui poussent ses héros à mettre en doute leur identité même. La disparition y est un motif récurrent. Ses personnages cherchent à instaurer de la clarté à travers des mots qui paraissent solides et ne cessent pourtant de leur échapper. Ils partent en voyage, s’engagent dans des recherches, essaient d’attraper la réalité pour y mettre bon ordre. Tout autour, le monde vacille.

« Catherine Lovey est une journaliste spécialisée en criminologie. Elle sait écrire et disséquer les âmes. Qu’espérer de mieux ? Le prochain Lovey. » (Anthony Palou, Figaro Madame, 10.12.2005)

 

Agenda

Mar. 5.11.2024 , 12h30

à la Société de lecture (Genève)

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Ven. 22.11.2024 , 18h30

au Cercle littéraire de Lausanne

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Dans les médias

Catherine Lovey et Jean-Marie Félix sur Monsieur et Madame Rivaz, une auteur et un lecteur complices à merveille. A écouter sur http://www.rts.ch/espace-2/programmes/entre-les-lignes/7498433-entre-les-lignes-du-01-03-2016.html

Réécouter l'entretien de Catherine Lovey dans « Entre les lignes » sur RTS-Espace 2 à l'adresse suivante:

https://www.rts.ch/espace-2/programmes/entre-les-lignes/7498433-entre-les-lignes-du-01-03-2016.html#7498432

« … Dans ce roman-ci, Catherine Lovey s'attache à raconter une tranche de l'existence d'une héroïne ordinaire, une femme seule, en quête de sens et peut-être de modèles, afin, tout simplement, de continuer à vivre sa vie. L'héroïne se confronte à la vie moderne, celle que nous connaissons (…). Son parcours met en lumière la dureté impitoyable des temps contemporains, mais aussi, heureusement, leur dimension singulièrement burlesque.

Dans l'univers à la fois grinçant et familier que dépeint Catherine Lovey – peuplé d'hôpitaux, de bureaux, de voyages organisés, de familles éclatées, de réseaux bruissants et de délire new age –, des personnages émergent. Ils apparaissent comme autant d'îles, autant de pistes à suivre, autant d'emblèmes d'une vie possible. (…) au centre du jeu, Monsieur et Madame Rivaz, deux personnages magnifiques, extrêmement attachants, et exemplaires à l'échelle du roman.

(…)

Monsieur et Madame Rivaz n'a rien d'un livre de psychologie, ou d'un vade-mecum. Il est fictionnel, et extrêmement drôle, car le regard de l'héroïne est constamment décalé par rapport au réel. Il semble aussi extrêmement personnel, ce qui le rend très attachant. Le roman donne à voir le monde, selon la romancière, et par là nous décale, nous lecteurs, à notre tour. Il nous invite à chausser d'autres lunettes, à partir à la découverte de territoires faussement familiers. » Éléonore Sulser

« L'ouverture du roman est un régal. (…) Monsieur et Madame Rivaz ne suit pas la ligne droite d'une narration romanesque classique, déjouant là nos premières attentes. Déroulant les tribulations de son antihéroïne, Catherine Lovey se laisse emporter par une pensée buissonnière et privilégie la digression. Sa narratrice se lance ainsi dans une foule d'anecdotes et de réflexions pour dire le monde contemporain et ses dérives – matérialisme, gaspillage, destruction de la nature, solitude, bureaucratie absurde, monde du travail délétère, etc. (…) » Anne Pitteloud

« … [Un livre qui] entend jeter un regard sans complaisance sur notre étrange façon de vivre. Mission accomplie: c'est un très beau roman (…), foisonnant et émouvant, dense, épique, original et drôle, que nous livre Catherine Lovey. D'une humanité folle, la romancière maîtrise avec subtilité sa narration complexe. Et glisse ses personnages dans le vaste fleuve d'une réflexion sur la dignité humaine, le libre arbitre et la résistance à l'imbécillité ambiante. Ça se déguste avec une petite cuillère plutôt qu'à la louche, ça irrigue le cerveau autant que le cœur, et c'est superbe. » Isabelle Falconnier

Réécouter l'émission du 18 mars 2016 sur le lien suivant:

http://www.rts.ch/espace-2/programmes/zone-critique/7544350-zone-critique-du-18-03-2016.html

« … une maturité d'écriture (…), une drôlerie désabusée, une art consommé de décrire l'absurdité que peut souvent générer le quotidien (…)

Catherine Lovey réussit à rendre passionnante cette plongée dans un univers d'anonymes, de détails, d'instants fugaces (…). Sa plume y glisse poésie, introspection, ironie, délicatesse. Et tant de tendresse aussi. » (David Moginier)

« … Epinglant sans concession la déshumanisation des relations de travail, le protocole absurde des hôpitaux ou encore le cynisme mercantile des tour-opérateurs, Catherine Lovey ausculte avec ironie l'interchangeabilité de nos vies sans passion, soumises à l'injonction de courir et de jouir tous azimuts sans omettre de cultiver notre  »présence digitale«  et de fréquenter la salle de fitness. Hommage à L'Homme sans qualités de Musil, son livre s'embarrasse peu de péripéties et d'effets de manche, usant d'autant de franc parler, de digressions et d'attention aux plus insignifiants détails qu'en impose une remise en question radicale de la réalité. (…) » Camille Thomine

« …Catherine Lovey, dans une écriture agréable et enjouée, avec humour et dérision, persifle ce monde, cette société liberticide, fondée sur les clichés, mettant en exergue la misère intellectuelle, nos vacuités et nos aliénations, nos addictions mentales. Un roman fort dans lequel on découvre une galerie de personnages aussi attachants que détestables, aussi simples que tordus, aussi détachés que caricaturaux. Un livre qui dénonce le mercantilisme de nos destinées… » Félix Brun

Réécouter ici l'émission « Caractères » d'Alex Mathiot sur Radio Shalom Besançon, avec Catherine Lovey pour invitée.

 

« … un livre généreux et engagé sur la liberté de choix. » Isabelle Rüf

Coups de cœur

L'intrigue est mince, comme celle de nos vies.

La narratrice, voyagiste par intérim, croise par hasard le destin de Monsieur et Madame Rivaz, qui refusent de partir en croisière de luxe. Ils « préfèrent ne pas » partir, et par cette incongrue résistance donnent le ton à ce livre drôle, triste, insolent, moraliste, plein de vie, à l'image de la narratrice qui, si elle n'a rien d'une héroïne, nous offre un récit porté par son entêtement à rester humaine face à la cruauté d'une certaine modernité.

En une succession d'épisodes tragicomiques et avec un irrésistible sens du ridicule, Catherine Lovey rend hommage à l'intelligence des petites choses de la vie qui permettent de s'approcher des grandes.
 

Droits vendus

Perse
Acquéreur Novin Ketabgooya
Année 2018

Géorgien
Acquéreur Academic Press of Georgia
Année 2018

Russe
Acquéreur Arkadia Publishing
Année 2017

Roumain
Acquéreur Cartea Ardeleana
Année 2016

Extrait

11. De l’importance d’avoir sous la main un bon médecin traitant.

 

 

 

Le visage abrité derrière une écharpe enroulée à triple tour, un mouchoir écrasé dans chaque main, je fais face à mon rhume et à mon médecin généraliste, la doctoresse Pilar Sandeman, avec un dépit que je sens grossir à chaque seconde. C’est pourtant bel et bien moi qui ai choisi cette professionnelle en procédant à une élimination drastique au fil des ans. Tous les médecins consultés et qui s’étaient penchés sur mes maux en attrapant leur stylo pour me recommander des analyses complémentaires, des pilules complémentaires et des compléments alimentaires, je les avais écartés un à un, sans pitié. Mon souhait avait été de mettre la main sur un médecin paresseux du crayon et qui me dise que j’allais bien. Quand je n’allais pas bien, j’en voulais un qui prétende que ce n’était pas grave et que je m’en remettrai. J’avais tranché en faveur de Pilar Sandeman lorsqu’elle avait constaté, à la fin de la première consultation, que chacun finissait par aller mieux,  au bout du compte, ou alors mourait, avec ou sans pilule, à la même vitesse, à peu de choses près. Alors voilà, m’avait-elle dit, je vous laisse faire le calcul, si vous voulez dépenser votre argent pour rien, vous angoisser pour rien, plutôt que de penser à respirer, si vous préférez avaler de la chimie plutôt que de vous prendre en main, libre à vous, mais moi je ne le recommande pas, et d’ailleurs, je refuse de vous prescrire quoi que ce soit. Au cours de ces quatre ou cinq dernières années, la doctoresse Sandeman m’a toujours dit ce que je souhaitais entendre, sauf aujourd’hui, mardi 25 juin. Aujourd’hui, j’attends de mon médecin généraliste qu’elle prenne mes maux au sérieux et décide d’une stratégie d’attaque digne de ce nom, avec radiographies, scanner si nécessaire, drogues pour la nuit, coach pour la journée, spray, sirops, antibiotiques, bilan cardiaque, oxygène, transfusion sanguine, hypnose et cure de sommeil. La doctoresse Sandeman n’a pas l’air d’entendre ce que je lui raconte. Pourtant, je viens de lui dire écoutez docteur, ce qui m’arrive est assez simple à décrire, j’ai été emportée par un cyclone et je passe mon temps à me débattre, bras et jambes en l’air, d’une façon ridicule et désordonnée, avec pour résultat un épuisement total et pas une once de changement. J’ajoute que je me sens coincée dans les premières ondes du cyclone, à quelques encablures à peine de l’œil où, paraît-il, tout est calme. Je précise que je n’ai pas encore tout à fait abandonné l’idée de pouvoir revenir me planquer à l’abri de cet œil et me sauver, par la même occasion, si elle peut faire l’effort de se représenter la scène ? Oui, la doctoresse confirme qu’elle visualise très bien le cyclone irascible, l’œil tranquille et mon agitation inutile. Cette femme d’une cinquantaine d’années, peut-être soixante, calme, minutieuse, comprend que ma vie est partie en vrille, comme la vie d’à peu près n’importe qui, à un moment ou à un autre, ça part toujours en vrille, Pilar Sandeman l’affirme. Mais qu’est-ce qu’elle en sait ? Serait-ce que son existence de médecin abritée dans ce cabinet confortable du centre-ville s’est déjà retrouvée sens dessus dessous, elle aussi ? Allons donc ! J’observe les longs cils épais de Pilar S, son visage mat, à la peau qu’on sent douce sans même la toucher, et je me dis qu’elle raconte n’importe quoi, qu’elle s’invente des histoires pour ne pas être en reste vis-à-vis de ses patients, pour ne pas avoir l’air de faire bande à part. Comment pourrait-elle s’imaginer, cette âme sereine qui doit avoir un gentil mari quelque part, un homme qui pense à lui offrir des fleurs même quand ce n’est pas son anniversaire, ce qu’il advient d’une existence sortie tout à coup de son axe, sans raison ni logique ? Il s’agit toutefois de ne pas trop contrarier mon docteur en ce mardi du mois de juin, puisque j’attends qu’elle ordonne une série d’examens approfondis, avant qu’il ne soit trop tard pour moi. Je lui rappelle sobrement que nous vivons dans une drôle d’époque, étant entendu que cet adjectif ne doit pas être pris dans un sens unilatéral. La doctoresse me comprend, n’est-ce pas ?, oui, acquiesce-t-elle, bref, nous vivons à une époque où la moindre erreur, le plus petit décalage, peut être fatal, et ceci dans tous les domaines, pas seulement dans la médecine, alors qu’il n’y a pas si longtemps, on pouvait se rattraper aux branches, si on s’était trompé, si on avait attendu, trop hésité, il y avait toujours moyen de faire autrement, tandis que maintenant, le couperet tombe, inflexible, clac !, trop tard !, tant pis pour vous, tout est de votre faute, il fallait vous renseigner, ma foi, choisir le meilleur, ne pas croire le premier venu. Plus personne ne peut se permettre de gamberger de nos jours, ni même d’ignorer les technologies les plus miraculeuses, et surtout pas d’en douter, sous peine de se faire refouler vers le cimetière, et je ne parle pas seulement du cimetière pour les cas de mort clinique, mais des innombrables culs-de-sac qui attendent ceux qui ont bêtement laissé passer une occasion. La situation actuelle ayant été dûment rappelée à la doctoresse, je lui confie que je respire mal d’une façon générale, et qu’il m’arrive, la nuit, de me réveiller en suffoquant, des suffocations terribles qui prouvent, si d’aventure Madame Sandeman avait encore des doutes – moi-même je n’en ai plus aucun – que quelque chose de grave est à l’œuvre, un syndrome qu’il s’agit de combattre sans tarder, vous ne pensez pas ? Non, le docteur Sandeman ne le pense pas. Le docteur affirme que j’ai un rhume, des sinus bouchés et qu’on ne dort jamais bien quand l’air ne circule pas. Voilà tout ce que pense cet être diplômé par la médecine. Et puis quoi encore ? S’imagine-t-elle que nous autres, nous nous dérangeons pour nous entendre dire ce que nous savons déjà parfaitement ? Qu’après nous être donné tant de mal pour arriver jusqu’à elle, nous allons nous contenter de la description du problème apparent, sans exiger d’en avoir le cœur net à propos de tout ce qui se cache derrière ? Se figure-t-elle, cette femme de science, que je vais payer sa facture sur laquelle apparaîtra, masqué par une codification quelconque, le ridicule diagnostic d’un refroidissement estival ? Et puis a-t-elle seulement conscience,  Pilar S., médecin surnuméraire, qu’il me suffit de descendre dans la rue et d’aller sonner deux numéros plus loin pour trouver un cabinet médical dans lequel on décidera aussitôt d’une suite d’examens qui me tiendront occupée durant ces deux prochaines semaines au moins ? Je regarde les mains dépourvues de stylo du médecin que j’ai choisi après un impitoyable processus de sélection, j’écoute son accent chantant qui d’ordinaire me ravit et me va aujourd’hui sur les nerfs, je distingue bien, autour de ses iris, les étincelles d’amusement qui s’en échappent et qu’elle ne cherche pas à dissimuler, et je comprends soudain qu’il en va des médecins comme des voitures. Si on reste en ville, un petit modèle économique et léger fera l’affaire, mais si on entend grimper sur les monts, traverser des hivers, alors il ne faut pas lésiner sur l’équipement ni sur les accessoires. Hélas, Pilar Sandeman n’est pas un médecin tout terrain. Je sens que je commence à lui en vouloir, à elle, plutôt que de me faire des reproches, à moi. Je sens aussi qu’il me va falloir quitter cette consultation bredouille, le nez coulant mais un sourire de contentement aux lèvres, afin de ne pas éveiller les soupçons. Car plus jamais, dussé-je lutter contre un irrépressible besoin, je ne composerai le numéro du Dr Sandeman, ni n’insisterai pour être reçue très vite, ce que j’obtiens presque toujours. J’en suis là de mes regrets et de cette nouvelle vie médicale que je fomente, lorsque je réalise que ce que j’entends, ce sont des éclats de rire, et qu’en aucun cas ceux-ci ne proviennent d’une source extérieure, puisque les fenêtres sont fermées, et que nous ne sommes que deux êtres vivants dans la pièce. Il n’y a que le docteur et moi à la consultation, plus quelques meubles et objets à usage professionnel, tous muets, ainsi que trois impressionnantes maquettes d’avion, construites dans un matériau qui ressemble à du titane, suspendues à bonne hauteur, sachant que la doctoresse conçoit ses modèles elle-même, et pilote de vrais avions, ainsi qu’elle me l’avait confié, un jour où elle m’avait parlé de la nécessité que nous avons tous de respirer, et surtout de penser à respirer, ce que nous oublions de faire la plupart du temps. Peu convaincue, j’avais rétorqué que la question de la respiration me semblait avoir été réglée une fois pour toutes au moment de la création, et que c’était une bonne chose que le créateur ait au moins intégré un fonctionnement automatique d’alvéoles et de bronchioles, parce que pour le reste, il avait laissé tant de mécanismes en suspens qu’on pouvait légitimement se demander s’il n’avait pas passé l’essentiel de ces six jours de fabrication à roupiller sur sa feuille de dessin. Cette fois-là, outre l’aéronautique, nous avions parlé théorie de l’évolution avec le médecin généraliste Sandeman, et je ne me souviens pas que nous nous fussions attardées sur les symptômes qui m’avaient pourtant conduite à prendre un rendez-vous urgent chez elle. Et voilà qu’aujourd’hui, elle riait aux éclats, et que je l’entendais rire, alors que rien ne s’y prêtait, ni mon état ni ce que j’avais pu lui en dire. Pilar Sandeman fait malheureusement partie de ces gens qui disposent d’une théorie inoxydable, utilisable en tout temps. Elle ne se prive pas de la répéter, et en ce moment même, elle me redit qu’il faut savoir s’inquiéter et s’occuper des choses qui dépendent directement de nous, et laisser toutes les autres voguer selon leurs cours. Mon histoire de cyclone l’intéresse et l’amuse beaucoup. Le fait que je me voie me débattre et puisse me décrire en train de gesticuler l’enchante encore plus. Comme si on pouvait quoi que ce soit contre un cyclone !, s’exclame-t-elle, à part quitter à temps la zone menacée, ou, au pire, se calfeutrer et attendre que ça passe. Pilar me raconte que c’est bien ça le problème, que nous sommes pile au cœur du sujet, à savoir que son cabinet ne désemplit pas de héros et d’héroïnes dans mon genre, qui prétendent affronter les tornades, et arrêter des guerres, fussent-elles domestiques, et hisser des drapeaux sur des montagnes conquises ou les planter dans des fonds arctiques, avancer, devancer, dépasser, bref, toute une gymnastique sans queue ni tête qui pourrait alimenter d’énormes éoliennes mais qui, gaspillée contre des phénomènes naturels, ne produit rien de bon, si ce n’est des courants d’air, des larmes supplémentaires, soupire mon docteur en me regardant avec amitié. On ne résiste pas à une tempête, c’est impossible, on se met à l’abri et on réserve ses forces pour après, pour tout reconstruire, parce que c’est là que ça se passe, dit mon médecin généraliste, dans la reconstruction, pas dans la destruction. Voyez les soldats, lance-t-elle en attrapant mon pouls, moi qui suis maintenant étendue sur sa table de consultation, voyez les soldats quand ils reviennent des guerres, et dites-moi, s’il vous plaît, ce qu’on pourrait bien en faire ? Ils sont devenus des boulets pour tout le monde, pour leur pays, leur employeur, les gens qui les aimaient, ils ont été vidés de l’intérieur, comme un pain rond qui aurait été visité par une souris gloutonne durant la nuit, je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé ?, au petit matin, vous attrapez le couteau, puis le pain qui paraît si beau et qui est devenu si léger, et quand vous coupez la première tranche, vous arrivez sur le vide. Il ne reste plus rien de votre pain que sa croûte extérieure, comme pour le soldat qui revient de la guerre, me dit Pilar Sandeman. Comment sait-elle des choses pareilles, cette bavarde ? Où donc aurait-elle vu des hommes revenir de la guerre ? Elle en a vus beaucoup, me coupe-t-elle, et elle a aussi vu du pain vidé par les souris, d’abord en tant que jeune médecin dans son pays d’origine, puis dans un autre pays, très grand, très puissant, où elle a travaillé longtemps, avant de prendre la décision d’émigrer ici, dans cette contrée minuscule et pas intéressée du tout par les conquêtes territoriales, elle se félicite d’ailleurs tous les jours de cette émigration, et pour en revenir aux soldats qui eux-mêmes reviennent de la guerre, tout le monde a beau faire semblant de les honorer, me dit Pilar S., de les fêter par des discours, des médailles et des associations, en réalité, plus personne n’en veut, plus personne ne sait qu’en faire, parce qu’il ne reste d’eux que des coques avec du vide à l’intérieur. La vérité, poursuit mon médecin, c’est que construire, c’est encore autre chose que de détruire, pourtant tout le monde confond, c’est fou ce qu’il peut y avoir comme confusion entre la destruction et la construction. Votre ami s’est jeté par la fenêtre, eh bien soit, il s’est jeté, vous n’y pouvez rien, lance-t-elle encore en m’invitant à me lever de sa table de consultation. À ces mots, je me défais violemment de sa main tendue, comme si elle en avait profité pour m’infliger une décharge électrique, et je commence à bégayer comment savez-vous… mais… mais qui vous a dit que… Allons, allons !, reprend avec douceur la doctoresse, c’est vous-même qui m’avez informée que votre ami s’était jeté dans le vide, vous ne vous en souvenez pas ? Vous m’aviez téléphoné, c’était un soir, assez tard. Vous aviez insisté pour me parler. Vous aviez aussi insisté pour que j’appelle le professeur, ah !, ça y est, j’ai oublié son nom, vous m’aviez suppliée de l’appeler. Vous étiez persuadée qu’il accepterait de me donner des informations concernant l’état réel de votre ami, c’est ce que vous pensiez, qu’il me dirait la vérité, à moi, parce que vous étiez sûre et certaine qu’il vous avait prise pour une folle. Vous m’aviez dit que ce professeur Zepplin… Zalep, peut-être… zut, j’ai vraiment oublié son nom, peu importe, avait eu des raisons de penser que vous n’aviez pas toute votre tête. Vous aviez menti sur votre nom. Vous paraissiez très gênée, vous ne vous en rappelez pas ? La doctoresse me reprend la main,  me saisit le bras et le tire légèrement, afin que je me relève pour de bon. J’avais été honnête avec vous, continue-t-elle, je vous avais dit que je ne téléphonerai pas à ce spécialiste. Je vous l’avais dit, pas vrai ? Je vous avais aussi dit que vous ne pouviez rien pour votre ami, mais qu’en revanche, vous pouviez agir pour vous-même, et que c’était de cela dont il fallait vous occuper, j’avais insisté là-dessus, car les choses sont telles qu’elles sont, je le répète, et notre désespoir n’y change rien, notre incompréhension non plus, vous m’écoutez ?

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