C’est réconfortant de remplir la petite cafetière, de la chauffer et de sentir la bonne odeur du café, juste avant qu’il ne monte. Ce parfum est plus fort que toutes les autres odeurs qui se répandent dans notre chambrette. C’est aussi Kurt qui nous a appris à installer des câbles pour fixer les nouvelles prises électriques. Nous avons calculé la quantité de courant, compté les appareils, pronostiqué les zones de faiblesse pour les écarter. Dans la salle des fêtes du cloître, l’électronique pour les divertissements était alimenté via un réseau indépendant. Les cuisinières de camping et les thermoplongeurs avaient dû être interdits dans les dortoirs. Si, la nuit ou l’après-midi, quelqu’un voulait boire un café solo, il était obligé de se rendre dans la grande maison. La cuisine se remplissait de chuchotis. On y était rarement seul pour de bon.
Une nuit, Kurt nous a raconté comment, à l’école, il avait toujours été plus ou moins à côté de ses pompes. Il s’est levé, il a retiré ses pantoufles poussiéreuses et il s’est mis juste à côté. Il les désignait comme si cette image pouvait tout expliquer. Les profs regardaient là, l’espace vide au-dessus des godasses. C’est quand les filles avaient commencé à le regarder vraiment dans les yeux qu’il s’en était rendu compte. Elles aimaient qu’il ne se croie pas très intelligent, mais qu’il leur parle de mouettes, qu’il s’y connaisse en matière de courant haute tension, sans pour autant fanfaronner, et qu’il soit capable de dégrafer très lentement un soutien-gorge dans le noir. Comme si c’était la partie des préliminaires qu’il préférait. Il abordait d’ailleurs toutes les fermetures, éclairs ou boutons de braguette, avec soin et délicatesse, très calmement, mais sans traîner pour autant.
Kurt est resté longtemps en chaussettes à côté de ses pantoufles. Il était descendu dans la cuisine pour boire un verre de schnaps, il en a versé aussi dans nos thés. Nous nous demandions qui pouvait lui manquer à ce point. Des Cinq Premiers, il était le seul à avoir un enfant, une fille. À l’époque elle avait dix-sept ans, et elle lui rendait parfois visite. La mère de la fille, on ne l’a jamais vue.