parution août 2009
ISBN 978-2-88182-654-2
nb de pages 256
format du livre 140 x 210 mm
prix 32.00 CHF

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Ivan Vladislavic

Clés pour Johannesbourg

Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Nida et Christian Surber

résumé

Début du deuxième millénaire, Johannesbourg reste divisée, désormais autant par la pauvreté et la violence que par la race. Vladislavic, fin arpenteur des rues, des quartiers, des parkings, des jardins, circule de scène en scène aussi cocasses que tragiques. Le livre est composé de 138 entrées, comme autant de clés pour comprendre la ville, à la manière Vladisalvic: sorte de regard agile et enregistreur, esprit joueur qui analyse, compare, fait des liens et manie les mots pour dire les impressions les plus fines.

Ce texte est une ode amoureuse à Johannesbourg, industrielle, polluée, dangereuse, belle et injuste. 

biographie

Ivan Vladislavić vit à Johannesburg, il est l’auteur d’une dizaine de livres dont la plupart sont publiés en français chez Zoé. Son œuvre a été récompensée à plusieurs reprises, notamment par le prestigieux prix américain Windham-Campbell.

Distance (2020)

Distance

Branko sait comment on embrasse les filles, rêve de gagner le Tour de France et aime fouiller dans les affaires de son petit frère Joe. Qui, lui, joue aux billes, invente des langages farfelus et rassemble dans des albums les coupures de journaux qu’il lit sur son idole, Mohamed Ali. Même si, dans cette famille sud-africaine blanche des années 1970, leur père refuse d’appeler le mythique boxeur autrement que Cassius Clay.

Quarante ans plus tard, Joe décide de s’inspirer de ses albums pour son nouveau roman. À l’aide de Branko, il va réduire la distance qui les sépare de leur passé commun.

La narration, qu’assument tour à tour Joe et Branko, est rythmée par le langage flamboyant des reporters sportifs de l’époque. Elle raconte la relation entre deux frères, faite de tendresse et de cruauté.

Roman traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Georges Lory
Double Négatif

Vous êtes jeune et vos études commencent à vous peser. Vous voulez enfin connaître la vraie vie, mais le moment est mal choisi : nous sommes en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid, les tensions raciales sont à leur comble et seul votre statut d’étudiant vous met à l’abri du service militaire. Alors que faire ?

Neville commence par tergiverser, par rechercher de petits boulots en marge de ses études maintenant négligées. Puis il se décide : ce sera l’exil en Angleterre. Avant ce saut dans l’inconnu, Neville vivra toutefois une journée capitale, une journée passée en compagnie d’un photographe prestigieux, auprès duquel il va apprendre à ouvrir les yeux.

En fixant sur la pellicule le moment où tout bascule, l’instant où les événements se précipitent, la fin de l’apartheid aurait-elle une chance de devenir intelligible ? Le sens des scènes éclairées par l’auteur, sur la page qui se substitue à la photographie, nous amène, nous lecteurs, à mieux voir.

Traduit de l'anglais (Sud africain)Nida et Christian Surber

Folie (2012)

Folie

Quelque part dans l’immensité du veld sud-africain, un homme arrive dans un terrain vague et y prend ses quartiers. M. et Mme Malgas, les occupants de la maison voisine, observent avec la plus grande attention cet intrus qui interrompt singulièrement leur routine. Monsieur est quincailler, Madame dépoussière les bibelots, regarde la télévision et attend le retour de son mari.

L’inconnu explique à son voisin, de plus en plus fasciné, son plan : construire la maison idéale. La voisine, quant à elle, est convaincue de la folie de cet homme qu’elle s’obstine à appeler « l’Autre », et qui lui vole son bon mari.

 

Folie est un huis clos à trois, récit d’une désillusion comique, tissée de clous et de fils, de chimère et de mots.

Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Aurélia Lenoir
La Vue éclatée

 

« Les limites de Johannesbourg dérivent au loin, glissent par-dessus des crêtes et des vallées intouchées, s’arrêtent un instant dans des abris précaires puis se remettent en route. À la marge, là où la ville se fond provisoirement dans le veld, se développent des environnements nouveaux que personne n’aurait pu imaginer. »
 
Dans l’Afrique du Sud d’Ivan Vladislavic, tout est en reconstruction, des bâtiments pour les petits revenus aux lotissements de luxe sécurisés. Il en est de même des relations sociales : tout est à réinventer. La ségrégation d’autrefois a bel et bien disparu, mais il reste un rapport malaisé entre les différentes populations qui composent le pays. Quatre histoires se déroulent, liées par leur décor, la périphérie de Johannesbourg, qui devient ainsi le personnage principal de ce roman, tout en laissant aux protagonistes de chair assez d’espace pour se débattre dans les tourments de l’amour, de l’incertitude et de la création.
Malgré des thèmes pessimistes, la fantaisie ludique, la verve satirique et la drôlerie de Vladislavic emportent le lecteur.
Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Ch. Surber
Les Monuments de la propagande

 

Publié presque au lendemain de la fin de l’apartheid, Les Monuments de la propagande, un recueil de onze nouvelles, prend acte de la fin d’une ère détestable de l’histoire de l’Afrique du Sud et, on peut l’espérer, de la fin de tous les racismes institutionnalisés. L’exubérance, le chatoiement, mais aussi la fragmentation de ce monde renouvelé appellent irrésistiblement la métaphore du kaléidoscope. Ivan Vladislavic en  tire un parti inattendu en nous faisant assister à l’invention de l’Omniscope, instrument d’optique indispensable en temps de chambardement. D’une nouvelle à l’autre, les objets prennent alors une valeur emblématique, un tuba, un banc.

Un saisissant raccourci met la Russie post-soviétique en contact avec l’Afrique du Sud post-apartheid dans l’histoire qui donne son titre au recueil. L’abolition des barrières physiques et mentales, que Bessie Head avait prophétiquement annoncée comme inéluctable, se traduit ici par une extraordinaire variété de tons, par la multiplication des points de vue – la voix narrative peut enfin transcender la couleur de la peau –, voire par le caractère parfois ludique d’une littérature qui, sans trahir ni démissionner, peut à nouveau respirer plus librement, la tâche des écrivains témoins de l’insupportable injustice ayant été heureusement accomplie.

Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Christian Surber
Le Banc "réservé aux Blancs"

L’apartheid vient d’être aboli et Mme Coretta King, la veuve de Martin Luther King, s’apprête à inaugurer le musée consacré à cette période sinistre. Les préparatifs vont bon train, mais les employés, bien que très fiers de leur copie parfaite d’un banc WHITES ONLY, l’un des symboles les plus forts de l’époque révolue, sont en conflit avec leur directrice qui ne veut pas de faux dans ses collections. Or les appels au public pour obtenir des pièces authentiques sont restés vains et ont même engendré des situations ahurissantes.

Sous le comique et le rocambolesque s’ouvre un monde de souffrances et d’humiliations restées vives : la blessure n’est pas cicatrisée. L’auteur manie ici l’ironie et la satire avec maestria.

Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Ch. Surber

Clés pour Johannesbourg: extrait

 

1            Dès qu’une maison est équipée d’un système d’alarme, elle se transforme en engin explosif. Il faut l’amorcer et la désamorcer plusieurs fois par jour. Quand on l’arme en pianotant sur les touches d’un pavé numérique, elle émet un hululement qui chasse les occupants au galop et les fait claquer la porte derrière eux. Il n’y a pas de départs nonchalants: plus le temps d’hésiter, de prendre une écharpe pendue au crochet derrière la porte, de vérifier que le répondeur est branché, de se lancer un dernier coup d’œil dans le miroir en passant par le corridor. Pas moyen de savourer le retour chez soi, non plus. On ne se détend pas, en arrivant dans une maison ainsi équipée, on ne se déchausse pas un pied après l’autre, en inspirant profondément l’atmosphère familière. Tout départ est précipité, tout retour une prise d’assaut.

Avec une maison équipée d’une alarme, quand vous vous réveillez aux petites heures de la nuit, la chambre baigne dans une lueur étrange. Les touches du pavé numérique brillent d’un vert blafard et clinique, comme la veilleuse d’un enfant qui aurait peur du noir.

 

2            La preuve que le dénommé Scrooge, ce parangon de la mesquinerie solitaire, était un sale type? Personne ne l’a jamais accosté dans la rue pour lui dire, d’un air ravi: “Ce bon vieux Scrooge, comment ça va? Quand est-ce que tu passes me voir?” Aucun mendiant ne l’a jamais sollicité pour la moindre obole; aucun enfant ne lui a demandé l’heure qu’il est; jamais personne, homme ou femme, ne s’est adressé à Scrooge pour savoir comment se rendre en tel ou tel lieu.

En ville, l’échange asymétrique que constitue l’indication du chemin à suivre est une des relations les plus touchantes qui puisse lier les gens. Le fait que Scrooge, de toute sa vie, ne s’y soit pas adonné une seule fois donne une idée de l’inhumanité du personnage. En demandant leur chemin, les citadins, qui font si grand cas de leur indépendance et de leur connaissance des rues, péniblement acquise, qui pensent volontiers qu’ils connaissent le quartier comme le fond de leur poche, avouent leur vulnérabilité; en donnant des indications, ils démontrent leur capacité à traiter avec sympathie et de manière responsable une vie que le hasard a confiée entre leurs mains.

A la campagne, ce n’est pas pareil. Les rapports entre étrangers et autochtones se fondent
sur une base nettement plus simple. Les étrangers ne sont ni nombreux ni fréquents. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils ne sont donc pas plus menaçants, ils le sont moins. Les gens du cru connaissent leur environnement comme le dos de leur main, pour ainsi dire, et les repères géographiques se distinguent de plus loin et sont plus faciles à décrire. D’ailleurs, un habitant de la campagne (à moins qu’il n’ait la fantaisie de vous faire tourner en bourrique) n’hésitera pas à vous accompagner ou à prendre sa voiture pour vous montrer le chemin.

Le citoyen affairé, lui, doit se fier aux mots et aux gestes pour guider un inconnu à travers un fatras de détails accessoires, avec des culs-de-sac et des raccourcis à éviter, dont certains peuvent se révéler désastreux pour les imprudents. Donner des indications demande un talent particulier. Le faire correctement est une preuve de caractère. N’allons pas nous ériger en juge, toutefois: à voir comment nous vivons en ville de nos jours, il est parfaitement possible de mener une vie utile et heureuse sans avoir appris le nom des rues de son propre quartier. C’est vrai aussi que la complexité des villes, la distribution toujours changeante de la circulation, à quoi s’ajoutent les particularités des adresses physiques, des occupations, des intérêts et des besoins, produisent pour chacun d’entre nous un schéma spécifique de mouvements familiers ou habituels sur la croûte terrestre, schéma qui, si nous pouvions le contempler du haut du ciel, paraîtrait aussi unique qu’une empreinte digitale. Certains de ces itinéraires n’ont littéralement aucune chance de se croiser, ce qui explique que des connaissances puissent habiter la même ville, se donner rendez-vous aussi souvent qu’elles en ont envie, sans jamais se retrouver nez à nez lors de leurs courses quotidiennes. Raison de plus pour prendre au sérieux le croisement des trajectoires, les lieux où elles entrent en contact comme les fils d’un circuit électrique, par pur hasard.

Quand j’étais enfant, mon père – citadin jusqu’au bout des ongles, aimant marcher et conduire, sensible au moindre changement dans son environnement et donc capable de donner des indications alliant la créativité à la précision – m’a appris que ça ne pouvait faire de mal à personne que d’avoir une carte sous la main. Jamais aucun malheureux égaré n’a été renvoyé de notre seuil sans la série d’indications qui devait le mener à bon port. Nous vivions alors dans un lotissement neuf, taillé dans le veld à la périphérie de Pretoria. Aussi loin
que portait le regard, nous étions les maîtres. C’était au temps où les jardins étaient entourés de clôtures inoffensives, bien avant l’avènement des barrières zébrées pour bloquer les accès et des murs de deux mètres de haut, un temps où un inconnu qui aurait perdu son chemin pouvait héler un quidam occupé à tondre son gazon ou à tripatouiller le moteur d’une voiture garée dans l’allée. Le plus souvent, mon père reconnaissait immédiatement l’endroit demandé et pouvait fournir le renseignement demandé au pied levé. Mais même lorsqu’il connaissait le chemin, il aimait envoyer mon frère Branko ou moi chercher sa carte des environs, une carte détaillée qu’il s’est procurée tout exprès auprès de la municipalité, et l’étaler sur le capot de la voiture de l’inconnu pour lui indiquer l’itinéraire à suivre. D’ailleurs, toute cette manœuvre n’était peut-être qu’une excuse pour extirper l’inconnu de derrière son volant et faire passer le temps.

Depuis lors, l’expérience – confirmée par une foule d’écrivains – m’a appris qu’il n’est pas toujours mauvais de se perdre. On peut même envisager de mal orienter un inconnu pour le plus grand bien de ce dernier.

 

3            J’habite juste au coin de la maternité de Marymount. En fait, elle me sert souvent de point de repère pour guider les gens jusqu’à ma porte. Durant les mois d’hiver, quand on peut voir à travers les branches dénudées des chênes de l’impasse de Blenheim Street, le bâtiment proclame son nom en grandes lettres blanches sur fond de briques orange. En été, il disparaît presque derrière le feuillage.

Au cours des ans, il est arrivé plusieurs fois qu’un invité penché sur le parapet de la véranda, une tasse de thé à la main, le regard porté au loin par-dessus la cime des arbres vers la vallée, ait brusquement reconnu le bâtiment perché sur la corniche et se soit écrié: “C’est pas le Marymount, çà? C’est là que je suis né!” La surprise créée par un aveu si intime provoque immanquablement un silence, pendant lequel l’esprit du lieu s’empare de nos cœurs. Mais ça ne dure qu’un moment, parce que le bâtiment de briques couleur marmelade, avec son plâtre blanc et son toit en tôle ondulée, évoque je ne sais quoi qui nous empêche de réfléchir trop profondément à nos origines.
J’ai longtemps pris pour une coïncidence remarquable le fait qu’un si grand nombre de personnes de mon entourage soient nées à un jet de pierre de chez moi. Mais mon frère Branko, plus réaliste que moi, a ramené la question à une affaire de probabilités statistiques. En cinquante ans de service, plus de deux cent mille enfants sont venus au monde entre les murs du Marymount. Dix ou onze nouveau-nés en moyenne par semaine, avec des pointes vers le mois de septembre. On peut difficilement faire trois pas dans Johannesbourg sans tomber sur un bébé Marymount.

Branko a également dissipé le mystère de ces couples angoissés, sur le point d’être parents, qui s’adressaient régulièrement à moi pour que je leur indique le chemin de la maternité, un service que j’ai rendu une demi-douzaine de fois en autant d’années. “Forcément, m’a-t-il dit, que si on suit le panneau de Kitchener Avenue, on est perdu au coin de Blenheim et d’Argyle. C’est la première intersection non signalisée, le premier endroit où les gens doivent prendre une décision par eux-mêmes. Etant donné que ta maison se trouve juste là et que tu es bien obligé de passer le portail plusieurs fois par jour pour entrer et sortir de chez toi, si quelqu’un veut demander son chemin, ça tombera sur toi de temps à autre. C’est la loi des probabilités.”

Bien que je ne puisse pas prétendre avoir choisi ma maison en raison de la proximité du Marymont, à la manière d’un paysan désireux de vivre à l’ombre de l’église ou à peu de minutes de marche du puits, j’ai toujours trouvé sa présence rassurante (chose que je n’avouerai jamais à mon frère): chaque semaine, une nouvelle volée d’âmes humaines venaient au monde sur le pas de ma porte. Voilà pourquoi je regrette que la maternité ait fermé. Le dernier bébé y est né en juin 1997. Le nombre de naissances avait diminué au fil des ans, au fur et à mesure que les médecins blancs avaient déménagé plus au nord, emmenant leurs patientes avec eux. Les habitants des beaux quartiers du nord ont cessé de penser qu’une personne respectable pourrait vouloir naître de ce côté-ci de la ville.

Un an s’est écoulé avant que les affiches annonçant la vente aux enchères de la propriété n’aient été apposées dans le voisinage. Deux groupes ayant des visées très différentes se sont mis sur les rangs: un consortium de sages-femmes et de médecins qui voulaient faire renaître
la maternité de ses cendres et un consortium d’hommes d’affaires qui proposaient une transformation en logements bon marché ou en parc pour industries légères. Nettoyage à sec et tôliers-carrossiers. De nouvelles vies d’un autre genre. Aucun des deux groupes n’a toutefois réussi à réunir les fonds nécessaires.