Proust, Marcel À côté des portraits de Proust dus aux peintres, photographes, biographes, auteurs de souvenirs et à d’autres, nous possédons quelques autoportraits de l’auteur, le plus souvent sous forme de caricature. Dans le contexte ludique du pastiche, Proust s’est mis en scène plusieurs fois, par exemple dans le pastiche Goncourt de L’Affaire Lemoine : « Comme bouquet, on apporte à Lucien la nouvelle […] que leur ami Marcel Proust se serait tué, à la suite de la baisse des valeurs diamantifères, baisse anéantissant une partie de sa fortune. Un curieux être, assure Lucien, que ce Marcel Proust, un être qui vivrait tout à fait dans l’enthousiasme,dans le bondieusement de certains paysages, de certains livres, un être par exemple qui serait complètement enamouré des romans de Léon. » (PM, 24) Dans le journal du lendemain, on apprend : « Marcel Proust ne s’est pas tué. Lemoine n’a rien inventé du tout […]. » (26) Plus tard, dans le pastiche Renan, il est question de Ruskin et de « la traduction d’une latitude pitoyable que Marcel Proust nous en a laissée » (32). En tant que traducteur de Ruskin, Proust apparaît aussi dans le pastiche Ruskin (201-202). Ailleurs, il figure comme pasticheur : « Notre ami Marcel Proust dont les lecteurs du Figaro connaissent les pastiches, a une immense admiration pour le Pelléas et Mélisande de Debussy. L’autre jour, il sortait d’une réunion avec un ami qui ne pouvait pas trouver son chapeau. Marcel Proust improvisa le duo suivant. […]. Ainsi Marcel Proust divertissait sa mélancolie, tout en retournant travailler à une oeuvre considérable qu’on ne connaîtra pas avant l’année prochaine. » (206-207) Un autoportrait amusant se trouve dans un morceau désigné comme « petite pitrerie » et envoyé le 13 juin 1922 à Mme Hennessy comme remerciement d’une invitation. Le morceau s’intitule : « Conversation bête entendue chez une femme remarquable ». En s’entretenant lors d’une soirée, deux dames du monde confondent, comme il arrive souvent dans le milieu mondain, Marcel Proust et Marcel Prévost, romancier dont les conceptions esthétiques se trouvent diamétralement opposées à celles de Proust. Voilà ce qui explique que les deux dames lectrices et bavardes dévorent le roman de Prévost Les Don Juanes (1922) : « ‹ À propos de Maître vous savez qu’il y en a un ici ? […] Un homme noir, dépeigné qui a l’air très malade. Tenez Boni lui parle. › – ‹Ah ! je le vois ! À son air j’avais tout de suite senti qu’il n’était pas de notre monde. › – ‹ Taisez-vous c’est un génie. Il a la fièvre des foins. › – ‹ Ah ! c’est intéressant, mais qui est-ce ? › – ‹ C’est le fameux Marcel Prévost, l’auteur des Don Juanes.› – ‹Ah ! si je pouvais le connaître ! Que cette dame est heureuse avec qui il est en train de parler. Vous avez lu ça vous les Don Juanes ? › – ‹Ne dites pas que je les ai lues, je les ai bues […].› » (Corr., XXI, 262)
Que Proust se soit représenté aussi dans son oeuvre – qu’y a-t-il de plus naturel et de plus évident ? Pourtant la quantité d’encre qui a coulé à ce propos est considérable. Il faut noter cependant que plus encore que dans Jean Santeuil, dans la Recherche l’autoreprésentation n’est pas limitée au protagoniste. Dans Swann, Charlus ou Bloch, Albertine ou Morel, Françoise ou tante Léonie on devine autant de traits de Proust que dans Marcel. Lors de l’entrée en scène de Mademoiselle Marie Gineste et Mme Céleste Albaret dans Sodome et Gomorrhe, point d’intersection entre réalité et fiction, Proust confère à son protagoniste – qui normalement est sans visage – ses propres traits, une fois de plus sous forme de caricature : « Oh ! petit diable noir aux cheveux de geai, ô profonde malice ! je ne sais pas à quoi pensait votre mère quand elle vous a fait, car vous avez tout d’un oiseau. Regarde, Marie, est-ce qu’on ne dirait pas qu’il se lisse ses plumes, et tourne son cou avec souplesse ? […] Mais non, Marie, regarde-le, bing ! voilà qu’il s’est dressé tout droit comme un serpent. […] Regarde, ses cheveux se hérissent, ils se boursouflent par la colère comme les plumes des oiseaux. Pauvre ploumissou ! » (II, 240-241) Si la personne physique de Marcel Proust est visible dans son roman, il n’y a inscrit son nom nulle part excepté sous forme cryptique : ses initiales avec les majuscules des Petites Madeleines, son nom de famille avec le septuor de Vinteuil.
Voir : Madeleine – Noms – Peinture – Photographie.