Roman réaliste à la Balzac, Martin Salander est centré sur la figure d’un père de famille, « l’homme au sac de voyage », pris entre modernité et tradition. Composé autour des grandes scènes de la vie bourgeoise, les arrivées et les départs, les mariages et les fêtes, les dîners et les faillites, il est animé de nombreux portraits-types : Marie l’épouse vertueuse et vaillante, le fils Arnold aux vues libérales, les jumeaux Weidelich qui incarnent l’affairisme des parvenus, le méchant nommé par antiphrase Wohlwend. Si le livre s’ouvre sur le retour au pays du héros, il se ferme sur le départ pour nulle part du personnage diabolique ; la construction souligne ainsi l’enjeu éthique du roman,
Au centre des contradictions tant personnelles que sociohistoriques, Martin Salander a des préoccupations éducatives et civiques qui rappellent Rousseau. Cependant il vit dans une Suisse qui change : d’agricole, elle devient industrielle ; de petite et patriarcale, urbaine ; de fermée sur elle-même, ouverte et aux prises avec le monde, et notamment l’économie capitaliste. Aussi la portée de ce roman se révèle-t-elle critique, d’une part des voies politiques et matérialistes et d’autre part des pseudo valeurs sociales et religieuses prônées par les faux prophètes des temps modernes, alors qu’il s’agit de fonder la légitimité de la nouvelle démocratie helvétique définie par la Constitution de 1848.