« Il faut du cran pour écrire, depuis la Suisse, un roman qui se situe à Gaza, dans les années 1970. C’est ce que l’on se dit en empoignant L’Epouse d’Anne-Sophie Subilia. On connaît le talent de la romancière et poète depuis Parti voir les bêtes et Neiges intérieures, en 2016 et 2020. On sait que l’hyper-précision du regard sur les êtres et les choses est un de ses leviers poétiques, sa façon de déposer ce qui normalement s’enfuit, s’échappe, disparaît, l’essentiel donc. Mais Gaza, la Palestine, l’un des conflits les plus anciens et les plus douloureux de la planète? Qu’allait donner la rencontre entre ce fracas-là et son écriture sismographique, à l’affût des ondes même les moins perceptibles qui parcourent le quotidien? La réponse est simple: L’Epouse est l’une des grandes réussites de cette rentrée.
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L’ombre ici est le halo de solitude qui entoure chaque être. Pour le rendre visible, Anne-Sophie Subilia n’écrit pas de façon surplombante, elle écrit aux côtés de ses personnages, parfois de loin, comme quand Piper surgit sur la pergola, parfois de plus près, mais sans aller au-delà, sans glisser de caméra dans leurs entrailles. Cette tension entre proximité et retenue parcourt tout le roman à la façon d’une rivière souterraine.
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Dans une langue qui attrape de façon saisissante les couleurs d’un crépuscule, le parfum des peaux, les silhouettes dans la foule, on suit Piper se débattre face à la solitude et au désœuvrement et tenter d’avoir une prise sur ce qui l’entoure. Anne-Sophie Subilia capte ces points de contact entre les êtres, dérisoires et primordiaux, comme un échange de regards, une complicité qui se passe de mots, un rire partagé. Au gré des jours, et des rencontres, Piper avance, dans les rues de Gaza, sur la plage, avant que les jeeps de l’armée israélienne ne chassent les baigneurs, à l’hôpital des enfants. Elle avance, elle agit, oui, elle agit. »
Un article de Lisbeth Koutchoumoff à lire ici