«La Cerisaie» en Savoie
Marie Gaulis signe une envoûtante chronique familiale
Pour qui aime observer la mousse qui envahit les vieilles demeures et les rêves qui s’émoussent au contact du monde, Le Royaume des oiseaux de Marie Gaulis est une lecture qui inspire. Fortement tchekhovien, le récit raconte un château, posé dans une cuvette de verdure en Savoie, et les générations qui y ont vécu. La demeure existe et ses habitants étaient les aïeux de l’auteure. Le château, impossible à entretenir, trop lourd de vies, de larmes, de tout, a été vendu par la génération des parents. A l’image de La Cerisaie de Tchekhov, le château est aussi ici la matérialisation d’un monde disparu.
Veuf et caractériel
Le charme envoûtant du «Royaume des oiseaux» tient d’abord aux voix, celles des fantômes en premier lieu: ce sont eux qui racontent ici. Devenue bientôt brume et rosée, dotée des «yeux aveugles des spectres», c’est Marie, l’aïeule américaine, qui commence le récit. Formidable Marie, tombée dans cette famille de comtes de Savoie, par la volonté de son père, mort trop vite. Lucide, Marie sait que Maximilien, son mari veuf et caractériel, l’a épousée pour qu’elle s’occupe de son fils et pour sa dot, aussi. Elle sera énergie et volonté, dans une famille empêchée face au réel, accablée par le concret, déconnectée en somme. Marie va installer une salle de bain moderne, construire une chapelle. A cette aïeule comme aux autres personnages qui suivront, Marie Gaulis répond, sous forme de notes en italiques, contre-point d’aujourd’hui. On apprend ainsi que la chapelle demeure encore, à l’abandon sur sa parcelle. Maximilien le velléitaire prend ensuite la parole, lui qui aimait tant les bains.
En fine portraitiste, Marie Gaulis sait doser les ombres et la lumière de chacun. Suivront, dans le vaste tourbillon vers la fin, les vies des grands-parents, entre derniers fastes et pièces glacées. L’écriture de Marie Gaulis emporte par un art précis du rythme, parvenant à rendre l’entêtante mélodie des humains en lutte, entre joies et déceptions, contre la décrépitude. Pas de nostalgie dans ces pages. La vente du château, douloureuse, permet surtout un allègement, un vaste appel à un nouveau printemps. Si les vies se sont évaporées, demeurent «la précieuse eau des fontaines» et «la permanence sans cesse rafraîchie» des arbres.
Lisbeth Koutchoumoff
4 étoiles