Le 1er décembre 1987, après que le voyageur eut longuement examiné les lignes du portail en bois sculpté de la cathédrale de Split, où saint Jean, lors de la Cène, pose encore une fois son visage triste sur l’épaule de Jésus, tout en cherchant – c’est une variante – d’une main, consolation dans la manche de son maître, il descendit sur la promenade de la plage ensoleillée où un cireur, un vieillard, désoeuvré depuis longtemps, à coup sûr, se mit à se cirer lui-même ses chaussures.
Ainsi commence l’une des petites épopées du recueil de Peter Handke Encore une fois pour Thucydide, dont les épreuves arrivèrent un beau jour à Sils- Maria où toi et moi étions les hôtes de la Maison de Nietzsche, logeant dans une pièce adjacente au salon et cabinet de travail de Friedrich Nietzsche, dont nous séparait une simple cloison de
planches. L’esprit du grand marcheur flotte encore dans ces pièces, dirait-on, si bien qu’il devait également souffler sur les épreuves, surtout de nuit, car pendant la journée, nous les emportions avec nous, par exemple dans le Val Bregaglia, à Soglio, où il y a le Palais de Salis avec, par derrière, le jardin dit historique, que l’on ressent tout de suite comme paradisiaque, comme une réminiscence du jardin d’Éden. Rainer
Maria Rilke est venu ici en poursuivant les roses, il les a humées, il a lu, écrit des lettres, rêvé sur ses Élégies commencées à Duino, qu’il avait pensé terminer à Soglio. C’est là que nous sommes allés nous asseoir, Dorli et moi, sous l’un des deux arbres géants, au milieu des pieds d’alouettes, des roses, des phlox, des pivoines fanées, des pommiers, des poiriers et des cerisiers rabougris, tandis que de petites haies de buis s’efforçaient de contenir les arbres, les roses, le phlox, et que les montagnes, à bonne distance, y plongeaient le regard.