parution septembre 2019
ISBN 978-2-88927-692-9
nb de pages 208
format du livre 140x210 mm

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Annette Hug

Révolution aux confins

Roman traduit de l'allemand par Camille Luscher

résumé

1886 : José Rizal, futur héros de l’indépendance des Philippines, alors colonies espagnoles, est en Allemagne pour parfaire sa formation d’ophtalmologue. Surtout, il se met à traduire dans sa langue maternelle, le tagalog, le drame de Friedrich Schiller sur la liberté des peuples : Guillaume Tell.

Mais comment rendre dans cette langue des confins du Pacifique les « glaciers », le « bailli » ou les « avalanches » ? Alors que les volcans de l’archipel philippin se superposent aux Alpes de Suisse centrale et que s’installe un jeu jouissif entre les langues, les époques et les cultures se mêlent sans jamais se confondre : à l’histoire réelle de Rizal et de l’affranchissement du joug espagnol répond le drame de Schiller qui puise son inspiration dans la Révolution française. Dans cette histoire politique et poétique du monde, Annette Hug suggère sur un rythme très contemporain comment les livres, quand ils circulent, peuvent nourrir des mouvements révolutionnaires.

« Dans le carrousel des langues »: la traductrice Camille Luscher a documenté son travail de traduction dans un journal publié sous forme de blog sur le site du programme TOLEDO. Il peut être consulté ici

biographie

Annette Hug est née en 1970 à Zurich. À 20 ans, elle milite activement pour le droit des femmes et fait la connaissance de groupes militants aux Philippines. Elle décide alors d’y poursuivre ses études d’histoire et quitte Zurich pour l’Université de Manille, l’une des rares à proposer un cursus de Women and Development Studies au début des années 1990. Elle apprend le tagalog, s’engage parmi les associations féministes et noue avec le pays un lien étroit. De retour en Suisse après ses études, elle enseigne à l’université, travaille comme secrétaire centrale dans un syndicat, et écrit pour différents journaux. Pour Révolution aux confins, son troisième roman, le premier à être traduit en français, Annette Hug a effectué beaucoup de recherches et de nombreuses lectures, rafraîchissant ses connaissances en tagalog et s’intéressant en particulier à la circulation des idées d’un bout à l’autre du monde.

Elle vit aujourd’hui entre Zurich et un petit village dans le Jura.

Camille Luscher, lauréate du Prix Pittard « coup de cœur de la traduction » pour "Révolution aux confins"

Revue Europe

"Révolution aux confins est (…) un voyage palpitant vers les confins de la traduction, les limites que représente le passage d’une langue à une autre, d’une représentation culturelle à une autre (…). On redécouvre le texte de Schiller qui affleure tout au long de l’œuvre mais avec une couleur particulière, teintée de l’univers philippin véhiculé par le tagalog." Valery Rion

RTS - Culture

"En se plongeant dans la correspondance et le journal que José Rizal a entretenus pendant son séjour en Allemagne, Annette Hug s’est approchée de la table de travail du jeune homme, est entrée dans l’intimité de son écriture et de ses interrogations.
Mais il lui a fallu retraduire en allemand la traduction de Rizal et comparer cette version avec le texte original de Schiller pour bien comprendre comment le Philippin s’est approprié le texte. Ainsi, le lac des Quatre-Cantons se transforme en mer, et les embarcations qui y naviguent deviennent des jonques typiquement asiatiques. Traduire, ce n’est pas forcément trahir, mais s’approprier pour mieux recréer.
Dans cet enchevêtrement de traductions et retraductions, il faut saluer le beau travail de Camille Luscher qui a transposé en français le roman d’Anette Hug. Une entreprise virtuose et polyphonique aux multiples réseaux de sens.

Un va-et-vient passionnant entre les langues et les cultures au fil des siècles."

Annette Hug était l’invitée de Jean-Marie Félix sur RTS-Culture. Un entretien à réécouter ici

Le Monde diplomatique

"Révolution aux confins est un roman d’aventures où les personnages se découvrent, nouent des alliances ou livrent des guerres, se traquent et se repoussent, le tout ponctué d’histoires d’amour et de trahison. Sauf que, ici, les héros sont les mots. C’est le talent de Hug d’avoir su écrire sur la traduction un livre aux allures d’épopée. (…)

Le livre est d’autant plus fascinant et savoureux dans sa traduction française qu’il est coloré d’helvétismes («Ils ne bougent pas d’un rond-de-cuir» ; «Au lieu de pavaner avec son arbalète», etc.), comme une vivante mise en abyme de l’étrangeté des langues, qui, en dépit de toute traduction, gardent leur quant-à- soi et préservent leurs usages, gages de richesses et de surprises." Pierre Deshusses

La Croix

"C'est à un étrange voyage que nous convie l'auteure suisse Annette Hug. Un voyage dans les méandres d'une traduction en compagnie de José Rizal. (…) « Si Schiller croit que la liberté peut jaillir de la petite tête d'un fils de paysan au fin fond des montagnes, alors tout est possible » relate le héros de ce roman, un personnage bien réel dont l'auteur dévoile les multiples facettes au fil des pages. (…) Rizal abolit les frontières, rapproche les époques, entremêle les paysages, convoque ses souvenirs d'enfance, converse avec des ethnologues... dessinant ainsi la carte d'un monde personnel qui relie les Philippines à l'Espagne, l'Allemagne à la Suisse et l'aide à se repérer dans la navigation complexe et savante de sa traduction." Laurence Péan

RTS - La Première

"Un livre très original qui propose une réflexion sur les mots, le langage, les différences culturelles, la guerre et l’impossibilité de restituer le réel tel qu’il est. Un véritable hommage au pouvoir des mots."

Une lecture de Geneviève Bridel à réécouter ici, dès la 10ème minute. 

La Gruyère

"Révolution aux confins se présente comme un jeu d’une habileté bluffante entre les lieux, les époques, les cultures. José Rizal s’interroge sur sa traduction, cherche comment parler de glacier et d’avalanche dans une langue qui les ignore, pendant que le drame de Schiller trouve des échos dans les prémices des luttes d’indépendance de la colonie espagnole. Ces va-et-vient très libres ne se suivent pas toujours très aisément, mais le lecteur qui se laisse emporter y retrouve aussi un hommage à la puissance de la littérature et au rôle des livres dans la circulation des idées." Éric Bulliard 

Le Nouveau Magazine Littéraire

"Souvent glorifiée comme un art de la transparence et du partage, la traduction peut prendre des airs plus cachottiers, devenir une activité de contrebandiers et travailler clandestinement à fomenter une révolution. Pour preuve, le destin hors du commun de José Rizal raconté dans une subtile biographie romancée par Annette Hug. (…)

C ’est un récit qui méandre : une pointe de biographie suivie d’une immersion dans les songes de Rizal, un coup dans une auberge allemande puis, subitement, dans une geôle aux Philippines ; attaché aux tergiversations de Rizal sur des enjeux de traduction - comment dire l’avalanche dans une langue qui ne connaît pas une telle réalité ? - pour ensuite dérouler les grandes scènes de Guillaume Tell. Les Alpes s’y transforment en volcans : rien ne tient en place dans cette valse des langues. Ça circule, mais il faut demeurer discret, ne pas éveiller les soupçons des colons espagnols. La complexité du tagalog sera un maquis : « “Ces verbes sont notre richesse”, écrit Rizal à son frère. Les moines ne peuvent s’en emparer, car des subtilités essentielles ne sont que syllabes creuses à leurs oreilles. » Rizal biaise le texte de Schiller, il « met dans la bouche des mots empruntés à la traite des esclaves ». « Ici, aucun château ne me retient », dit un personnage de la pièce. De même pour Révolution aux confins qui n’a rien de confiné." Pierre-Édouard Peillon

Le Monde

"Annette Hug livre un passionnant roman d’aventures linguistique et culturelle où les mots se cherchent, se rejettent ou s'épousent, pour faire advenir une langue, ciment d'une nation et levier révolutionnaire." Pierre Deshusses

GHI

"Un jeu jouissif entre les langues, les époques et les cultures."

Paperblog

"(...) Annette Hug, qui a appris le tagalog, fait le récit, en connaissance de cause, de cette traduction et transposition, ainsi que de l'épopée de Guillaume Tell et des conjurés du Grütli à partir desquels Schiller a écrit sa pièce."

Un article de Francis Richard à lire en entier ici

Le Courrier

"Familière de la langue des philippines où elle a vécu, Annette Hug raconte ce va-et-vient dans l’entre-langue, qui est aussi un entre-monde. Décrivant en alternance la vie de son héros en Allemagne, à Madrid (où gronde la révolte estudiantine contre le clergé) aussi bien qu’à Calamba – royaume des fiestas au milieu des goyaviers et des tamariniers.

Original, instructif en ce qu’il illustre un procédé complexe et éclaire l’histoire d’un pays méconnu, son roman plonge surtout le lecteur dans les méandres de la transposition en tagalog du drame schillerien, illustrant ce que le geste de la traduction fait à tout texte littéraire : elle le décale en l’enrichissant."

Un article de Maxime Maillard à lire en entier ici

Le Quotidien du Médecin

"Histoire politique et poétique du monde, où les époques et les cultures se mêlent sans jamais se confondre, le roman suggère comment les livres, quand ils circulent, peuvent nourrir des mouvements révolutionnaires." Martine Freneuil

Vocable

"Avec cette aventure de traduction, Annette Hug interroge le rôle de la circulation des savoirs dans les mouvements révolutionnaires."

Le Temps

« Savez-vous qu’il existe dans les rayons des bibliothèques, à l’autre bout du monde, une mer des Quatre-Cantons ? Savez-vous qu’un certain Guillermo Tell y navigue ? Savez-vous que le pacte des trois Suisses, là-bas, est prononcé en tagalog ? Savez-vous qu’un certain José Rizal (1861-1896), héros national philippin, a traduit dans cette langue l’épopée du héros suisse, Guillaume Tell, telle que l’a racontée Friedrich Schiller ?

Ces extraordinaires correspondances qui relient par les textes, les paysages et les révoltes la Suisse centrale et les Philippines ont été mises en littérature par Annette Hug. Cette Zurichoise leur a consacré un premier roman étonnant, Révolutions aux confins, Prix suisse en 2017, aujourd’hui remarquablement traduit en français par Camille Luscher. Or la découverte de ces liens mystérieux entre la Suisse et les Philippines est étroitement liée à sa propre histoire. (…) « Cela m’a semblé étonnant que les deux pays les plus chers à mon cœur soient réunis par un livre, et que ce livre relie deux héros nationaux, l’un suisse, l’autre philippin. Peu à peu, je me suis prise de passion pour cette histoire. » (…) C’est de cette ubiquité inouïe entre les Alpes et le mont Makiling, de ce passage étroit entre l’allemand et le tagalog que la fiction se glisse. (…)

Révolution aux confins est un roman singulier, récit de vie – celle de José Rizal en Europe –, récit aussi d’une traduction impossible – celle de Schiller en tagalog –, récit encore de rencontres qui tournent court, tout comme la lutte pour l’indépendance des Philippines dont José Rizal, qui meurt fusillé en 1896, ne verra pas l’avènement. »

Un article d’Éléonore Sulser à lire en entier ici  

Le matricule des anges

"Véritable roman dans le roman, la pièce de Schiller, relue par Rizal, [forme] le noyau dur du livre, bordé néanmoins de multiples aperçus biographiques et intellectuels qui brossent à touches fines un portrait fort convaincant de l’époque et du milieu dans lequel évoluait le savant philippin." Yann Fastier

TOLEDO

Ce journal est le journal d’une traduction de traduction. Ou plus exactement le journal de traduction d’un journal de traduction. Et voilà que tourne le carrousel ; des langues, des versions, des époques...

http://www.toledo-programm.de/arbeitsjournale/154/annette-hug-dans-le-carrousel-des-langues-journal-de-traduction-d-un-journal-de-traduction?367b2335519283ca771d94e6aa662d7a=f403a3b8f15232b1fa8770faa5f5c2d9

Le Grand Enfouissement

Ils sont cinq, venus des quatre coins du monde, réunis pour une mission cruciale : alerter les générations du futur sur le danger des déchets nucléaires. Ils ont créé un ordre érudit, une organisation sociale subtile et équilibrée. Leurs journées sont rythmées par des rituels et des leçons, dans lesquelles chacun se retrouve tour à tour enseignant et enseigné. Petit à petit l’ordre s’est agrandi, bientôt dix novices les ont rejoints. Mais comment résister face aux intérêts politiques et aux logiques de profit qui affluent de l'extérieur ?
Annette Hug livre un récit visionnaire porté par la foi en le pouvoir de la littérature.

Traduit de l'allemand par Camille Luscher

Révolution aux confins: extrait

Il s’était attendu à une petite ville, un lieu de science à l’abri des vents. En dehors de Paris, les opérations étaient naturellement moins fréquentes, mais la vie, disait-on, était aussi moins chère. En arrivant à Heidelberg en février 1886, José Rizal imaginait avoir devant lui des journées de travail tranquilles. Le matin, il opérerait des yeux, l’après-midi, il apprendrait l’allemand et la nuit, il travaillerait à son roman.

À peine était-il arrivé à la gare qu’il se renseignait sur le lieu où il pourrait trouver des étudiants. Il voulait leur demander qui était ici le meilleur professeur en ophtalmologie. On lui recommanda la brasserie Gulden.

Finalement, il vit des étudiants partout ; ils déboulaient en groupes plus ou moins grands dans les rues de la vieille ville, dans le même uniforme ou presque que les employés des chemins de fer qu’il avait pris pour des soldats. Les couvre-chefs colorés, les insignes étincelants se détachaient sur la neige. On saluait l’étranger en le croisant et, quand il entra dans la brasserie, un groupe de casquettes jaunes l’invita à sa table. Comme on ne comprenait pas les mots d’allemand qu’il prononçait avec peine, il parla latin. Les étudiants étaient enchantés et recommandèrent le Dr Otto Becker, directeur de la clinique  universitaire ophtalmologique. Puis ils lui montrèrent comme on trinquait dans la région : on lève sa bière, prosit, on boit.

Rizal eut quelque mal à sourire en découvrant leur visage. La moitié gauche et la moitié droite semblaient disjointes. Une joue était tendre, la peau veloutée facilement rosissante ; l’autre était défigurée par des cicatrices grossières, un champ de bataille en miniature. De vieux vétérans au visage poupin, voilà l’effet que lui faisaient les étudiants allemands. Mais leurs rires francs emplissaient la brasserie. Après la quatrième bière, ils l’invitèrent à rejoindre la Suevia, une fraternité d’étudiants.

Le programme de ses journées en fut bouleversé ; il fréquentait assidûment la brasserie et traversait souvent le fleuve avec les étudiants pour se rendre en dehors de la ville dans une auberge où l’on croisait le fer dans une arrière-salle aux grandes fenêtres ouvertes sur le tas de fumier et la fosse à purin. Il était devenu l’assistant du professeur  Becker, mais si, au cours de ces combats qu’on appelait Mensur, il fallait recoudre une entaille à la tête ou au visage, il prêtait aussi main-forte au médecin présent, le Dr Immisch. En souffrait la révision du roman qu’il avait commencé d’écrire à Madrid et poursuivi à Paris. Il n’en était pas satisfait encore et fuyait pourtant devant le travail. La requête que lui envoya des Philippines son frère Paciano tombait donc plutôt mal :

« Puisque tu as appris l’allemand, traduis-nous Schiller dans ta langue maternelle. »

C’est à Paciano qu’il devait sa fuite secrète hors de la colonie, la traversée de Manille à Barcelone, par Singapour, Colombo, Aden, Naples et Marseille. Paciano avait financé ses études à Madrid, son apprentissage chez le Dr Wecker à Paris et il avait encouragé Rizal à suivre la voie de ses intérêts intellectuels plutôt que de céder à des impératifs financiers. Mais depuis quelque temps, il sommait le petit frère d’être plus économe, de chercher à gagner de l’argent par lui-même. Il mettait en garde contre les mauvaises récoltes, contre la chute des prix. On ne pouvait prédire ce que rapporterait la canne à sucre dans les prochains temps.

 

[…]

 

Il s’essaie à traduire quelques lignes, déjà les montagnes qu’il avait sous les yeux à Wilhelmsfeld se transforment en chaîne des Alpes. Les falaises se couvrent de feuillages, les pentes abruptes se parent de sapins et d’arolles, les sommets se perdent parmi les nuages. Il en est de même à Calamba, dans l’arrière-pays de Manille, où le mont Makiling s’élève au-dessus d’un lac. Mais le sommet est rarement visible, on dirait qu’il disparaît dans le ciel.

La lecture fond les paysages l’un dans l’autre et tout se déroule en même temps. Deux nouvelles voies sont ouvertes au commerce.

Des caravanes de mulets quittent les villes italiennes pour emprunter un sentier escarpé dans les montagnes enneigées. Le col du Gothard offre un nouvel accès aux marchés du Nord. Le roi d’Autriche compte bien en tirer profit, ses baillis prétendent que les vallées d’Uri, Schwyz et Unterwald lui appartiennent.

Au pied des flancs sombres et boisés des montagnes fumantes des îles des Philippines surgissent des galions espagnols, les jonques chinoises arrivent par l’autre côté. Ils se retrouvent à Manille, c’est ici que sont négociées et échangées les marchandises rares. Les Espagnols s’installent bientôt en maîtres.

Quand Rizal traduit et que la forêt devient une gubat, le ciel un langit, le mont Makiling se transforme en avant-poste d’un imposant massif rocheux, des Alpes tagales surgissent en bordure du Pacifique. Le drame s’enflamme à cause d’un seul sentier marchand. Il relie une mer à l’autre, se faufile entre les arbres géants de la forêt tropicale, grimpe vers les rochers, les lianes grises. Ses pierres sont polies par les sabots, elles brillent sous la pluie qui, des mois durant, s’abat sur elles. La boue, qui finit par rester, sèche et s’éparpille en été. Une poussière brun clair envahit alors les vallées.

Là où ce sentier rejoint la côte, les marchandises sont chargées sur les bateaux. Golfe ou fjord, la mer s’engouffre entre les montagnes et remplit une vallée. Le foehn entraîne les bateaux étrangers vers la côte, une mousson les emporte au large. De lourdes jonques accostent ; derrière les montagnes, la cargaison des galions est débarquée. Leur charge la plus précieuse est composée de statues de la Vierge et du Nazaréen ; elles survivent même aux flammes qui s’emparent parfois des bateaux en haute mer, dans le feu elles deviennent noires et poursuivent seules sur les flots.

Des deux côtés, la mer mord sur les montagnes enneigées, mais c’est toujours une mer du sud, de n’importe quel côté.

Le chemin entre les fjords est abrupt. Les mulets grimpent lentement en file indienne et, au moment d’atteindre le col, ce n’est plus le sol qu’ils foulent, mais l’air. Le sentier ici est suspendu. Une prouesse des ouvriers indigènes que de faire passer le chemin par ici, reliant jonques et galions.

La chaîne de montagnes empêche que tout se confonde. Elle divise la mer et s’élève comme une île ; aussi loin que porte le regard, les crêtes s’étendent, se fondent dans l’horizon, disparaissent dans le bleu, comme si la mer n’était pas seulement devant et derrière, mais tout autour, en haut et en bas. Une fois par année, elle tombe du ciel et emporte au fond des vallées des blocs de terre, des morceaux de glacier et des rocs entiers, les arbres et la boue envahissent les villages. Quand les cascades gèlent, alors seulement tout s’immobilise à nouveau, en attente sous le tapis de neige jusqu’à ce que la glace se dissolve en brouillard. Les avalanches s’évaporent et le ciel devient tout blanc. Les herbes jaillissent du sol, les plantes se répandent et les buissons verdissent d’un coup : c’est une nature en ébullition, déjà l’été arrive et l’on charge les mulets.

Dans le golfe rien ne gèle ; sous l’eau les algues pourrissent en pleine croissance, là où tombe un rayon de soleil se scinde un banc de poissons multicolores.