Le grand-père était décédé en 1978 à Jigyeong-ri. Trois ou quatre villageois avaient transporté le corps jusqu’au flanc de la montagne pour l’enterrer. Han Sejin ne l’avait jamais rencontré, mais elle connaissait son visage. Un cliché encadré était accroché au mur parmi d’autres photos de famille. Un visage barbu photographié de face, surmonté d’un calot qui cachait mal des cheveux blancs et raides. Rien qu’à regarder ses traits et son expression, on devinait qu’il était de petite taille. Le front, les sourcils, les yeux et le nez arrondi ressemblaient à ceux de Yi Sunil. Han Sejin avait l’impression de l’avoir rencontré plusieurs fois, sans doute parce qu’il lui était arrivé de fixer ce portrait pensivement ou machinalement. Chaque année, elle se rendait sur sa tombe avec le sentiment d’aller lui dire un simple bonjour. Avant que Han Sejin ne commence à l’accompagner, Yi Sunil faisait le trajet seule en changeant plusieurs fois d’autocar. Personne ne venait avec elle: son mari Han Chungon et leur aînée Han Yongjin refusaient, et Han Mansu, seul garçon et benjamin de la fratrie, d’abord trop jeune pour qu’on l’emmène, ne connaissait pas la route.
Pour Han Yongjin et Han Chungon, il était incompréhensible qu’elle veuille à tout prix aller chaque année dans cet endroit: une ravine asséchée où il fallait avancer en coupant la végétation à l’aide d’une faucille, des buissons entre lesquels se glissaient des serpents, de la mousse et des arbres rabougris par manque d’ensoleillement, des tumulus ratatinés, des traces de sangliers, le silence des châtaigniers et des pins entourant la tombe. Han Sejin comprenait la raison pour laquelle Yi Sunil grimpait en se frayant un chemin malgré les difficultés. Pour sa mère, aller voir cette sépulture, c’était comme rendre visite à son passé.