« La force des plus beaux livres est de créer leurs propres paysages, dont on se souvient après la lecture comme d’un voyage presque rêvé, avec ses images et ses impressions : un monde traversé. Ilaria, de Gabriella Zalapì, fait partie de ces livres-là, et le monde qu’il nous fait parcourir est celui d’une petite fille de 8 ans que son père enlève, au printemps 1980, pour une sorte de longue pérégrination italienne, en voiture, d’hôtel en hôtel, sans but véritable, de Turin jusqu’en Sicile… C’est l’enfant qui parle, au présent, et l’on ne sait pas combien de temps durera ce drôle de voyage où se mêlent la peur et la curiosité, dans un étrange suspense feutré (…).
Ce sentiment d’oppression, Gabriella Zalapì réussit subtilement à le faire passer dans ce qui fait aussi d’Ilaria un très beau livre sur l’Italie : non pas sur le mode de la description décorative ou touristique, mais à travers l’ellipse et la suggestion qui laisse deviner, au fil de cette quasi-cavale du père enlevant sa fille, des paysages particuliers d’autoroutes, avec leurs Autogrill, leurs stations-service et toute une esthétique presque photographique s’accordant à la succession des saisons, tandis que l’autoradio égrène des informations rappelant les années de plomb, l’attentat de la gare de Bologne, en août 1980, la traque des terroristes…
« Je me suis beaucoup intéressée à cette période, explique l’écrivaine, et il me semblait que ce paysage politique, avec ce qu’il peut avoir de violent et d’irrésolu, aujourd’hui encore, faisait naturellement écho à la relation entre Ilaria et son père… Quant à l’histoire des autoroutes italiennes, c’est quelque chose que j’ai étudié de près, car je voulais offrir au lecteur des lieux connus, des espaces assez forts visuellement, qu’il puisse s’approprier facilement, alors que l’histoire racontée est très singulière. » Singulière : le mot s’accorde également à l’écrivaine, dont on est ému de savoir que c’est elle, demeurée sensiblement la même, la petite Ilaria de jadis, vouée à devenir une artiste. Et l’on comprend que la lumière dont parle Gabriella Zalapì est celle de son livre lui-même, en définitive, qui a métamorphosé magnifiquement l’épreuve de son enfance. »
Un article de Fabrice Gabriel à lire ici