La vague venait et retirait, ma mère était rentrée à la maison. Les résultats du traitement étaient, semble-t-il, encourageants. Elle portait sa perruque et nous nous habituions à son nouveau visage. Cela étant dit, la coiffe la démangeait ou lui tenait trop chaud et elle la déposait volontiers, revêtait un accessoire, bandeau ou foulard, parfois même rien, et j’aimais alors lui caresser la tête, sentir les poils qui repoussaient sur son crâne, comme la vie reprenait ses droits, douce et piquante à la fois. La perruque, elle, gisait. Sur la table, sur le fauteuil, sur le canapé. Je voulais m’affaler et je tombais sur la perruque. Elle était là, molle, désincarnée, elle m’évoquait un scalp. Je disais : Maman, je t’en prie, arrête de laisser traîner tes cheveux. Elle s’excusait, fourrait la perruque dans un sac et me parlait du plat qu’elle avait cuisiné pour le dîner.
J’ai toujours le souvenir de ma mère en cuisine. Quand elle savait qu’elle rentrerait tard, elle se levait aux aurores pour préparer le dîner. Je me levais et la rejoignais dans la cuisine qui exsudait déjà des odeurs d’oignon et d’épices. En robe de chambre, les cheveux en pagaille, la radio à faible volume, elle reniflait le fumet de sa marmite. Je me hissais pour m’asseoir sur le plan de travail pas loin d’elle, je la regardais s’affairer, boire son thé à grandes lampées dans une vaste tasse de porcelaine qu’elle baladait ensuite dans l’appartement, l’égarant fréquemment. On retrouvait, sur un coin de bibliothèque ou dans la salle de bains, la tasse perdue, avec un fond de thé devenue pellicule épaisse, sombre et graisseuse. Je ne cuisine pas mais j’ai hérité de cette habitude, la tasse volante.