Zoé Poche
Parution Juin 2017
ISBN 978-2-88927-393-5
336 pages
Format: 105x165 mm
Disponible

Préface de Doris Jakubec

Maurice Zermatten

À l’Est du Grand-Couloir

Zoé Poche
Parution Juin 2017
ISBN 978-2-88927-393-5
336 pages
Format: 105x165 mm

Préface de Doris Jakubec

Résumé

À l’est du Grand-Couloir se déroule autour du village de Zampé, niché au cœur de la montagne. Ici, ce n’est pas la violence des éléments qui aura raison du hameau, mais bien celle des hommes : la destinée tragique de Zampé est proche de celle de Randonnaz, détruit dans les années 1930 pour laisser place à la modernisation. Lorsque Philippe Thavernier découvre sur le bord de la rivière un noyé, les souvenirs affluent : car c’est un homme qu’il a connu autrefois à Zampé, du temps où le hameau vivait encore. On retrouve dans ce roman intense l’influence de Ramuz et de Guy de Pourtalès, mais aussi des références à Corinna Bille et Maurice Chappaz. Un texte qui reste très actuel dans sa façon d’aborder le rapport à la nature et à la protection du paysage.

 

Auteur

Maurice Zermatten

L’écrivain valaisan Maurice Zermatten (1910-2001) est parvenu à obtenir une renommée internationale tout en restant enraciné dans sa terre natale, qu’il présente comme un lieu riche de traditions et d’héritages. Enseignant et homme de lettres, il œuvre tout au long de sa vie à la défense du patrimoine culturel du Valais, notamment au sein l’UNESCO. À travers la protection des richesses identitaires de la vallée, il prône également le respect de la montagne, et rejoint en cela Maurice Chappaz. Bourgeois conservateur et admirateur de la paysannerie, en laquelle il voit la gardienne des traditions identitaires du Valais, Zermatten représente l’image typiquement valaisanne de l’intellectuel montagnard.

Dans les médias

« …l'homme de lettres suisse célèbre une dernière fois les intraitables montagnes de son Valais originel. (…) » Véronique Rossignol

« …Un livre qui reste très actuel dans sa manière de nous parler de nos liens à notre environnement, à la nature et à la protection du paysage. On y sent aussi l'influence de Ramuz ou de Guy de Pourtalès, dan sun style soutenu. »

« … Le climat ne laisse pas de répit aux paysans qui courbent leur dos vers la terre à longueur d'année, les relations humaines tournent parfois au drame, pourtant le paradis des neiges éternelles et des bleus glaciers n'est pas loin, là-haut dans l'univers minéral des montagnes valaisannes. (…) » Jean-Marc Theytaz

« Maurice Zermatten s’accroche à ses racines, enchaîné aux fantômes, vorace de la vie des hommes, passionné par leurs liens avec la nature et les territoires. Randonnaz (en Valais) n’est plus : le hameau a été rasé, la vie y était trop rude. On a acheté aux habitants tout ce qu’ils y possédaient et on leur a offert des terres en plaine. […] Au fil du texte, les souvenirs se reconstruisent, le hameau, ses habitants, ses coutumes, et la résistance des villageois face à l’exil qu’on leur impose. La langue est rocailleuse, forte de toute la mémoire de ce lieu qui l’a faite, des hommes, vivants et morts, qui l’inspirent et la nourrissent, lui donne son sens et sa nécessité. On y retrouve des verbes d’autrefois, une gourmandise des mots braconnés ici et là, à la sauvage. L’écriture reste le dernier combat de l’auteur, « le meilleur allié de la mémoire et du souvenir » comme le rappelle Doris Jakubec dans sa préface. » Virginie Troussier

Extrait

Ces flâneries au bord de l’eau, comme il les eût aimées davantage si les brusques éclairs qui zigzaguaient dans les profondeurs ne le laissaient à chaque fois désarmé, un peu ridicule, sur la rive! Ses échecs, ses maladresses, l’humiliaient. Non, tu ne seras jamais pêcheur !… À quoi pensait-il cependant qu’une truite rôdait autour d’un effilochement de chair molle qu’il avait, à si grand-peine, accrochée vivante à l’hameçon? Les vibrations soudaines de la canne le rappelaient. Son être entier frémissait. Un éclair lui traversait le bras. Au bref consentement du jonc répondait, instinctive, la crispation sèche du coude. Trop tard. La ligne flexible se redressait. Le crochet métallique, dénudé, tremblait au-dessus des rides glauques. Quel rire secret fuyait, là-bas, dans les espaces liquides ? La baleine avait avalé sans accroc ce Jonas visqueux et le déglutissait. Philippe Thavernier, le peintre, ramenait à lui l’hameçon démuni.

— En fait, se disait-il, dans sa déconvenue, la chasse à la truite serait un divertissement exemplaire s’il n’y avait pas de truites. Elles sont trop intelligentes pour moi. Nous qui venons du Grand Poisson de la mer, nous n’avons su que dégénérer…

Il ne renonçait pas pour autant. Des roseaux qu’il écartait en regagnant le chemin d’herbe surélevé se dégageaient des odeurs qui le comblaient. Les froissements des hautes tiges répandaient des musiques. Les vagues qui effleuraient les feuillages retombés des saules pinçaient le silence d’un frémissant gargouillis. Les plaisirs de cette fête ressentis dans l’inconscience, mêlés au mouvement perpétuel des eaux paresseuses du canal, le dédommageaient.

Après le passage des requins dévorants, tout était à recommencer. Les lombrics du jardin qui s’empiffraient de terre humide dans la boîte de fer-blanc et rejetaient leurs tortillons l’écœuraient. Il prenait ses doigts en dégoût. Ce qui ne l’empêchait pas de se moquer de lui-même chaque fois qu’il devait tâter ces viandes visqueuses qui sentaient la pourriture. Il s’essuyait les mains dans les cressons frais.

Après la mort de Gisèle, son ami Sabey, le médecin, lui avait dit : — Mon cher, si tu veux t’en sortir, marche, promène-toi dans la campagne. Tu verras que tout s’y renouvelle chaque jour. Achète un fusil, chasse ! Ou une canne à pêche. Ce sont les plus vieux métiers du monde. Fourre tes pinceaux dans un tiroir. Laisse-les-y pendant six mois.

Philippe avait appris seul son métier. Il se contentait de longer les canaux de la plaine. — Le toubib a raison, ces vers poisseux m’empêchent de penser, me débarrassent de la métaphysique. Debout, immobile, la canne et le moulinet dans les mains, il oubliait jusqu’à son existence. Même le visage de Gisèle cédait la place à un chant d’oiseau jailli du fourré, au passage d’un triangle ailé dans le ciel, à la rumeur d’un train qui froisse l’air comme une déchirure de papier. Si tendre est le silence qu’un rien l’écorche, et les arbres des rives, renversés dans le miroir mouvant, vous font douter de la réalité pesante de la matière. — Ce que tu as peint, pauvre vieux ressasseur d’images, n’a pas plus de consistance que le nuage blanc qui dérive et s’effiloche à la cime retournée des aunes. Où est le ciel ? Où est la terre ? Et toi-même qui te vois la tête dans les profondeurs ?… La vie et la mort délirent dans la même incertitude.

Du même auteur