Chaque année, au début de novembre, les protestants genevois se réunissent autour d’un monument. Hasard, désoeuvrement ou secrète nostalgie ? Luc Weibel se rend à ce rassemblement, en traversant quelques-uns des lieux essentiels de sa ville, où se mêlent le pouvoir de l’argent, l’amour de la science et le goût des paysages.
Au pied du Mur des Réformateurs, un homme en noir lit l’Evangile. Peut-on être à la fois patriote et chrétien, se demande l’auteur, soudain séduit par la convergence que suggère l’endroit : beauté des feuillages de l’automne, grandeur d’une tradition centenaire, pacifisme d’une communauté dont l’identité ne se nourrit pas de la haine de l’autre. Les monuments dont les Européens du XIXe siècle ont parsemé leurs villes se voulaient éternels. Celui de Genève, édifié entre 1909 et 1917, devait inscrire dans la pierre l’épopée de la liberté. A la lumière de la correspondance que ses sculpteurs échangèrent avec l’historien chargé d’en élaborer le programme, l’auteur s’interroge : quelle origine, quelle appartenance, quel idéal a voulu s’affirmer ici ? Le salut à la démocratie est manifeste, mais se double d’un hommage appuyé aux princes de l’Europe monarchique. Le récit de Luc Weibel dévide pas à pas les démarches par lesquelles les initiateurs du Monument tentèrent de capter la bienveillance de la cour de Berlin : comédie dérisoire à laquelle la guerre devait mettre un terme. Laissant le Monument orphelin de ses protecteurs, et soudain confronté aux questions, inédites, de l’âge nouveau.