J’ai commencé à voler l’argent de mon papa. Chaque fois qu’il rentrait à la maison, il vidait ses poches sur le buffet et j’ai commencé à piquer la petite monnaie. On le faisait tous alors je pensais que ce n’était pas important. C’est là qu’on prenait l’argent pour aller aux magasins – le lait, le mazout, le pain. Quand on ne rapportait pas tout et qu’on achetait des bonbons, personne ne s’en apercevait. Jusqu’au jour où papa a commencé à demander « Où est ma monnaie ? »
On n’était pas censés prendre une demi-couronne – ça pouvait être six pence ou un shilling au maximum. «Ne prenez pas trop», avait dit Manus. Mais c’était trop tard – je volais, j’ai tout pris.
Papa a commencé à vérifier et à faire des tests pour découvrir qui c’était. Il laissait traîner de l’argent soi- disant sans y penser mais de toute manière il ne pou- vait pas trouver parce qu’on le faisait tous, par petites sommes, quand on allait au magasin et quand on en revenait, quand il regardait et quand il ne regardait pas.
«Je ne vais pas tolérer des voleurs chez moi», a-t-il crié.
Maman a dit que les cris la déprimaient, que les choses étaient déjà assez difficiles, que c’était que de la ferraille et qu’il fallait laisser passer ça. Il l’a regardée furieux et il a dit qu’elle pouvait céder mais que lui il n’allait pas accepter ça, qu’il allait écraser ce genre de maladie avant qu’elle ne se répande.
Je voyais qu’il était fâché et qu’il ne plaisantait pas mais à ce moment-là, je n’étais pas de son côté, je ne voulais pas la même chose que lui. J’étais toujours en alerte, à voir ce qu’il allait faire pour m’attraper. Il gardait l’argent dans les poches de sa veste, je le trouvais. Il posait des pièges à argent partout dans la maison, je n’y touchais pas. Il m’envoyait faire les courses, je lui rapportais sa monnaie.
J’ai commencé à voler des billets de dix shillings et d’une livre, je les dépensais en choses à manger dont j’avais envie et je faisais attention à ne pas rapporter la monnaie à la maison.
« Qui est-ce qui me vole ? »
On était tous debout devant lui, et chacun regardait ailleurs comme si ce n’était pas lui. «Tous des petites crapules ! » C’était la fois où j’avais volé cinq livres dans son portefeuille dans la chambre. C’était trop. Je le savais. J’avais glissé le billet derrière la plinthe dans le hall. Mais maintenant tout allait être découvert. J’allais être attrapé.
«Toi», a-t-il dit. Mon cœur s’est arrêté de battre et tout le monde m’a regardé. C’était comme un coup de couteau dans la boule que j’avais dans la gorge qui m’empêchait de mentir. Mais après il a dit «Ce n’était pas toi. Va t’asseoir. »
Pendant un moment, j’ai été incapable de bouger. J’ai senti comme un soulagement mais ce n’en était pas un. Je m’étais tiré d’affaires mais ça n’allait pas se terminer comme ça – les choses allaient empirer. Manus, Connor et Busola étaient debout et moi j’étais sur le canapé face à eux tandis que mon papa agitait en l’air la cuillère en bois « Lequel d’entre vous vole ? »
Manus a dit qu’il avait dit à tout le monde de rap- porter la monnaie mais papa a dit que c’était un men- songe et qu’il allait le battre deux fois, une pour voler et l’autre pour mentir. Connor a dit qu’il avait pris l’argent et s’était acheté quelque chose parce qu’il pensait qu’il le méritait puisqu’il allait faire les courses, surtout quand c’était des bidons de mazout lourds qui lui faisaient mal aux bras. Papa a secoué la tête en tapant la cuillère sur sa paume et ça a fait tchac ! C’était la mauvaise réponse mais il n’a rien dit et s’est tourné vers Busola, « Qu’est-ce que tu as à dire ? »
Elle m’a regardé, assis sur le canapé, et m’a montré du doigt. « C’est lui le voleur. C’est lui qui a volé. »
J’ai commencé à avoir le visage en feu. Je voyais que Manus et Connor avaient de la haine dans leurs yeux parce que j’avais été choisi pour être épargné mais je ne savais pas comment Busola pouvait voir que je volais ou si elle ne faisait que deviner, alors je l’ai regardée moi aussi mais je n’ai rien dit.
«Menteuse, a-t-il dit et il lui a dit combien elle avait volé, ce qu’elle avait acheté et quand elle l’avait fait. C’est toi qui voles.
— C’était pas voler, a-t-elle dit. Maman m’a dit que je pouvais avoir un shilling parce que je l’aidais avec les courses. »
Mon père s’est retourné vers ma mère, debout près de la porte. Elle s’est pris le visage dans les mains et elle a acquiescé. Il a écarté les bras comme s’il n’en pouvait plus et j’ai pensé que ça pourrait s’arrêter là mais il a donné un grand coup avec la cuillère en bois très fort sur sa propre main.
«Vole encore une fois et ce sera toi ou moi, a-t-il dit. Si je t’attrape, tu vas regretter d’être née ! »
Il a mis sa veste, a écarté tout le monde et il est sorti en claquant la porte de devant. Ma maman a attendu que la secousse s’arrête et elle a quitté la pièce sans rien dire. Les autres se sont retournés et m’ont regardé sur le canapé.
Je suis parti chercher maman. Elle était penchée sur la baignoire avec des vêtements sales et la planche à laver, des mèches de cheveux mouillés lui tombaient devant le visage. Il y avait de la vapeur et ça sentait mauvais alors je suis resté près de la porte et j’ai laissé les nuages d’air sortir dans la cour. Elle s’est retournée vers moi et s’est servie de son poignet pour essuyer la sueur et écarter les cheveux de son front.
«Qu’est-ce que tu veux? a-t-elle dit. Ferme la porte, tu fais rentrer l’air froid.»
J’ai pris une grande goulée d’air frais, j’ai laissé la porte claquer et je suis allé m’accrocher à sa robe. Elle m’a repoussé.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Je suis occupée.
— Les autres ne m’aiment pas, j’ai dit. Connor m’a traité de con.
— Oh mon dieu, grandis un peu ! » a-t-elle dit d’un ton sec et je me suis mis à pleurer. Ça a marché parce qu’elle s’est assise sur le bord de la baignoire et m’a pris contre elle. « Allez… ne pleure pas. Dis-moi ce qui ne va pas.»
C’était plus facile de pleurer que de lui parler de Brian ou de l’argent ou du fait que j’étais fautif parce que j’avais créé des ennuis à tout le monde alors j’ai encore éclaté en sanglot. Elle m’a éloigné d’elle en me tenant par les bras et a examiné mon visage. Je ne sais pas ce qu’elle a vu mais elle a serré les lèvres et secoué la tête.
« Ah non, ça ne va pas s’arranger comme ça, a-t-elle dit. Tu m’as encore mis dans un beau pétrin. »
J’ai pensé qu’elle ne me prenait pas au sérieux, j’ai senti que je commençais à être en colère. J’ai essayé de me dégager et de libérer mes bras mais elle ne me lais- sait pas faire.
«Il les a retournés contre toi, tu vois? a-t-elle dit. Et il va enlever cinq livres de l’argent pour la maison. Il y aura moins à manger. On ne peut pas se le permettre. Et toi non plus. »
Je ne pouvais plus pleurer et je ne pouvais pas pré- tendre que j’étais rien que de mon côté à moi. J’ai eu l’impression d’avoir perdu du poids, je flottais. Je me suis entendu dire «Ce n’était pas moi» mais j’ai pensé dans ma tête, alors c’était qui ?
Elle m’a attiré contre elle et m’a tenu dans ses bras. «Ce n’est pas de ta faute, a-t-elle dit, tu ne sais pas.» Ses vêtements étaient mouillés contre son corps, elle avait chaud. J’ai regardé les habits dans la baignoire derrière elle. On était tous là, à se grimper dessus dans l’eau trouble – pantalons, manches, chaussettes, qui se donnaient des coups de pieds et se bagarraient. Le col de la chemise de papa était posé en haut de la planche à laver, près du trou d’écoulement j’ai vu des taches brunes sur un de mes slips.