Domaine français
Parution Oct 2019
ISBN 978-2-88927-702-5
128 pages
Format: 140x210 mm
Disponible

Domaine français
Disponible

Daniel Maggetti

Une femme obscure

Domaine français
Parution Oct 2019
ISBN 978-2-88927-702-5
128 pages
Format: 140x210 mm

Résumé

Que sait-on de Melanía ? Qu’elle est une survivante ; que les femmes autour d’elle meurent ou disparaissent, à commencer par sa mère et ses sœurs ; qu’enfant déjà, elle pose sur toute chose des yeux noirs et ronds d’une intensité inquiétante ; qu’elle gardait les chèvres ; qu’elle est tombée enceinte toute jeune, personne ne saura jamais de qui.
Daniel Maggetti dresse le portrait ambigu et lacunaire d’une femme forte, inspirée de sa grand-mère décédée cinq mois avant sa naissance. De rares objets, trois photographies, quelques épisodes colportés d’une génération à l’autre nourrissent l’histoire de cette vie d’il y a cent ans dans un village isolé des Alpes tessinoises.

Auteur

Daniel Maggetti

Daniel Maggetti est né au Tessin en 1961. Il termine ses études de lettres à l’Université de Lausanne par une thèse de doctorat consacrée à L’invention de la littérature romande 1830-1910 (Payot, 1995). Directeur du Centre des littératures en Suisse romande (CLSR), il collabore à de nombreux projets d’édition critique de textes. Pour Zoé, il a notamment dirigé l’édition scientifique de Tout Catherine Colomb, codirigé avec Claire Jaquier celle des Œuvres complètes de Gustave Roud, et avec Stéphane Pétermann la Petite Bibliothèque ramuzienne.

Agenda

Dim. 13.10.2024 , 13h30

au festival LiteratureLenk

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Dans les médias

« Daniel Maggetti est un magicien qui fait voir les morts dans son nouveau récit situé au fin fond du Tessin. Une femme obscure, c’est sa propre grand-mère, Melania, dont il tente de retrouver l’enfance, la jeunesse et le temps de son confinement spectaculaire dans le veuvage et l’étalage religieux. L’auteur joue sur la connaissance qu’il a de cette vie minuscule dans sa globalité (…).  [Un récit] bref et fulgurant. »

« Daniel Maggetti fait œuvre à la fois de romancier et d'historien pour raconter son aïeule fascinante ». Francis Richard

« Tout professeur d’université qu’il est, Daniel Maggetti, né au Tessin en 1961, s’obstine régulièrement à débusquer l’une ou l’autre de ces « vieilles bonnes femmes qui dorment dans les papiers de la famille ». Tant mieux pour nous : après Anna Maria de « La veuve à l’enfant », c’est sa grand-mère Melania, morte cinq mois avant sa naissance, qu’il sort de l’engloutissement du temps. (…) Daniel Maggetti fait vibrer le lien ténu qui le relie à Melania et à ce Tessin. Un hommage opiniâtre, intrigué, précis, étonné et troublé. » Isabelle Falconnier

« De texte en texte Daniel Maggetti revient sur la même tapisserie tissée de bribes de souvenirs et de légendes du pays. »

Daniel Maggetti était l’invité de Marlène Métrailler dans l’émission « Caractères », à réécouter ici

« La force du livre est de créer des attentes pour mieux les déjouer. (…) La trame [que Maggetti] propose est pleine d’accrocs, de raccommodages, de légers plis qui créent une étoffe littéraire singulière, étrange et presque intime comme un vieux linge maintes fois utilisé et rebrodé pour en cacher les imperfections. (…) Autobiographie, chroniques, fiction, racontars, souvenirs, registres, documents, ouvrages historiques, vieilles photographies, langues, dialecte, sentences morales et religieuses, tout cela s’allie et se fond pour recréer avec force un monde disparu. »

Un article d’Eléonore Sulser à lire en entier ici

« Imaginez, c’est l’impression que j’ai eue, un homme dans la deuxième moitié de sa vie assis devant une poignée de photos du début du 20ème siècle, quelques documents officiels et son ordinateur, immobile comme en train de se demander ce qu’il va bien pouvoir tirer de ce qu’il a sous les yeux. Une femme obscure est le résultat et, comme pour bien montrer l’importance de ce qu’il écrit, l’auteur rattache ce récit à sa famille et à son œuvre. (…) C’est passionnant et les démêlés de Melania avec la vie et les siens ne devraient pas vous laisser indifférents. »

Un article de Noé Gaillard à lire en entier ici

« Pour bâtir son univers, tenir ensemble les fils d’une histoire presque irréelle tant les vies défilent, ne laissant derrière elles qu’une trace dérisoire, Daniel Maggetti se sert d’une langue âpre, puissamment évocatrice, à la mesure des événements qu’il conte. (…)

Melanía, au total, est un personnage de fiction fascinant, traversé de mouvements contradictoires allant de l’ignorance à la secrète ruse, de l’innocence à la cruauté inconsciente. De la même manière, l’auteur semble perpétuellement osciller entre la part réelle et la part fantasmée, ce qu’il sait et ce qu’il ignore. C’est le télescopage entre ces différentes strates d’un même être, strate mémorielle et strate imaginaire fusionnant dans un langage, qui donne à ce récit son charme ensorcelant. »

Un article de Laurent Cennamo à lire en entier ici

« Son prénom [Melania] lui va à merveille, à cette Femme obscure, titre du dernier livre de Daniel Maggetti qui brosse ici le portrait de sa grand-mère, décédée cinq mois avant sa naissance. (…)

On est emporté par une écriture rapide, qui capture ce monde disparu dans de longues phrases précises, généreuses, émaillées d’expressions italiennes et dialectales. (…)

Cette distance, ce mystère, sont à la source de l’écriture de Daniel Maggetti, le silence de ceux qu’on n’a pas connus invitant au romanesque et à une féconde liberté. » Anne Pitteloud

Daniel Maggetti était l’invité de Yari Bernasconi sur les ondes de la radio suisse italienne. À réécouter ici

« [On suit Daniel Maggetti] sans peine, en succombant à la force de son écriture serrée, tendue, dont la densité contraste avec l’effacement des vies qu’il recompose. (…) Au centre du récit, l’impassible Melania rayonne d’une puissance nocturne qui fascine. (…)

Daniel Maggetti épouse la métamorphose d’une société paysanne et clanique que la route et le chemin de fer sont venus bousculer. Son livre raconte magnifiquement ce monde âpre, patriarcal, qui réclame des héritiers mâles et se montre impitoyable aux femmes. Ce Tessin-là est émouvant, mais ce n’est pas un paradis perdu. » Michel Audétat

« Ce Tessinois devenu romand trempe la pointe effilée de sa plume dans l’encre noire de l’histoire familiale. (…) Pour dépeindre cet espace-temps sans le travestir, il fallait une langue qui ne s’appesantisse pas, car ce passé disparu n’a rien d’un paradis perdu. Daniel Maggetti cerne rapidement son sujet ; son approche est précise malgré les ombres qui l’entourent. Il resserre aussi vite son écriture ; son opiniâtreté la rend âpre. La toile de ce passé raccommodé est tissée de cailloux alpins sur lesquels on buterait dans un musée poussiéreux et vide. Bien que muet, le fantôme qui y sommeillait peut encore nous parler. Grâce à Daniel Maggetti, on l’a entendu nous murmurer des pans de sa dure vie évanouie. » Thibaut Kaeser

« L’obscurité qui entoura la vie de Melania, humble paysanne tessinoise du début du XXe siècle, semble avoir paradoxalement stimulé les antennes sensitives de son petit-fils inconnu… C’est en effet avec une subtilité, une discrétion et une admiration infinies que Daniel Maggetti brosse le portrait d’une femme – en fait de toutes les femmes de son âge et de sa condition – à laquelle presque rien de tangible ne le relie, et dont il a su pourtant imaginer avec verve la rude aventure de vie. Un récit illuminé de l’intérieur. »

« Daniel Maggetti [complète] d’un nouveau portrait la fresque tessinoise qu’il reconstitue depuis une poignée d’ouvrages avec tant de précision que d’imagination. (…) L’auteur se fait enquêteur, versant ses pièces au dossier comme autant de fragments d’une vie possible que le fil de son écriture, ample et infusée de dialecte, vient nouer. Si le tortueux branchage de l’arbre généalogique égare quelque peu le lecteur, il encadre le remarquable portrait d’une femme résiliente et puissante. » Thierry Raboud

« Dans son français hyperagile, [Maggetti] fait revivre les personnages anciens et parfois féroces de sa vallée tessinoise. À sa lecture, se révèle la force évocatrice d’une expressivité singulière, tissée de langues entremêlées. Ici, un français érudit sert de portée à des mots en patois, en italien, en latin… Des mots qui seraient vidés de leur sève en traduction, et qui vibrent ici dans leur plurilinguisme. Plurilinguisme qui est, ou sera bientôt, la réalité linguistique du plus grand nombre. » Florence Gaillard

« « Le souvenir de ma grand-mère est un tissu si troué que Melania n’attendait que d’être inventée », écrit l’auteur au début de ce portrait. Celui d’une femme, d’une famille détraquée et d’une vallée (…), entre XIXe et XXe siècles. Période marquée par émigration, exode rural et délitement des liens familiaux. La fin d’un monde. Des temps où il faut malgré tout recomposer sa vie, ce que ne cesse de faire cette « femme obscure » dont Maggetti révèle l’image avec une mémoire familiale incertaine et « le peu de choses qui fait de nous ce que nous sommes ». D’une noire beauté. » Guillaume Lebaudy

« Obscure parce que mouvante. Daniel Maggetti se garde de créer un type de femme qui automatiquement se distinguerait par ses contours. Le cadre dans lequel évoluent les personnages de ce livre en 1889 est une de ces baraques de campagne telle qu’on en trouve dans les romans de Jeremias Gotthelf (1797 – 1854). Nous percevons un espace, des corps à travers une brassée de souvenirs auxquels il faut ajouter des lithographies jaunies qui manquent de brillance. Qui est Melania ? Tournée sur elle-même, insaisissable, une femme foudre avec quelque chose d’illicite, d’inexplicable. A peine la voit-on qu’elle disparaît. Il suffit par occasion d’une naissance pour accoucher d’un tableau d’une meilleure visibilité. » Alfred Eibel

Coups de cœur

« On ne regrette pas de suivre ce narrateur très omniscient qui se délecte à nous raconter ces histoires de familles reconstituées par son imagination. Avec lui, on se délecte tout autant de la complexité de ces vies qui défilent, de ces personnages enfermés dans un temps et des coutumes si lointains… » Damien

Droits vendus

Italien
Acquéreur Armando Dado Editore
Année 2020

Extrait

I

Il n’y avait pas de place pour les autres autour de Melanía, pour les autres femmes, s’entend, car les hommes, le pacte tacite qui la liait à eux pouvait prendre les formes les plus diverses et leur permettre, à elle comme à eux, de vivre côte à côte sans qu’il n’en résulte rien de pernicieux, bien au contraire, parfois. Mais avec les femmes, rien à faire, depuis qu’elle était petite fille elle se sentait soumise à une fatalité qui l’enveloppait à la manière des nuages sombres amassés à la Saint-Roch au-dessus des crêtes de Castéll, et les foudres qui sortaient de cette pelote couleur de nuit frappaient inexorablement les personnes de son sexe habitant sous le même toit qu’elle. Elle avait cinq ans et quelques mois quand sa mère, la Paola, avait passé en poussant des râles qui avaient épouvanté toute la maisonnée, elle venait d’avoir quarante-deux ans, la chaleur de juillet montait à l’assaut de la chambre où elle criait que Gesü Madona Sant’Ana elle ne voulait pas mourir. Jamais deux sans trois, avait soupiré Giovanni, le père, après qu’il lui avait fermé les yeux ; en mars, deux jours avant l’anniversaire de Melanía, c’est un des garçons qui était parti de consomption, Domenico, treize ans, et en juin, trois semaines avant la mère, on avait enterré le scuanin, Federico, qui était venu alors qu’on ne l’attendait pas, en septembre de l’année précédente. Melanía n’avait oublié ni l’étroit berceau en sapin placé à côté du lit des parents, ni la pâleur devenue définitive de la mère dont la décrépitude précoce avait éclaté tout à coup comme une châtaigne bourrée d’eau, ni les pleurs entrecoupés de quintes de toux que le bébé leur avait réservés pendant sa courte vie, il avait duré hors du ventre à peine plus qu’il avait vécu dedans, mais quel calvaire, tout de même, on en venait à penser qu’il valait mieux que cela ait enfin cessé. Fripés et tombants comme ceux d’une chèvre, les seins de la mère ne semblaient avoir donné à Federico que du séré translucide, non du lait, si on se fiait au teint blafard et aux membres de lapin rachitique du nourrisson qui avait fini par être remisé dans une caisse en mauvais bois fabriquée à la hâte par le père lui-même, on ne pouvait pas dépenser de l’argent pour ça, ironie du sort, l’enfant était mort le jour où on fêtait le saint auquel la mère devait son prénom, n’est-il pas bizarre, le cycle du monde ?

Ce n’est pas parce qu’il est bizarre qu’il faut forcément regarder en arrière et aller une fois encore débusquer une de ces vieilles bonnes femmes qui dorment dans les papiers de famille et que ce serait mieux pour tout le monde si elles y restaient bien au chaud pour toujours, raconter la vie de sa grand-mère, comme si on manquait de sujets d’urgence, mais non, on récidive, on frise même le procédé, Anna Maria par ci, Sciguleta par là, qui est-ce que ça intéresse, et la mienne, de grand-mère, elle n’a même pas de pèlerine noire sur les épaules. Melanía, toutefois, ce n’est pas de l’histoire, elle est si proche dans le temps qu’elle aurait pu être informée de ma naissance, n’étant morte que cinq mois auparavant ; pour éviter des critiques peu amènes, ma mère lui avait tu qu’elle était enceinte une huitième fois, d’autant plus que cette grossesse à la quarantaine largement entamée n’avait rien d’un titre de gloire, malgré quelques antécédents pas tous honteux dans les villages alentour. Après mes parents, mes aînés ont colporté à propos de Melanía une poignée d’anecdotes, comme l’histoire des quatre (ou cinq ?) chatons qu’elle avait décapités d’un coup de serpe, ou la recette des patati e pasta (je l’ai livrée ailleurs, ne nous y attardons pas), ou encore sa méthode pour tourner la polenta, ou la préférence pour une de mes sœurs qu’elle étalait sans vergogne, ou ses descentes à Locarno la hotte pleine de victuailles destinées à nos cousins. Elle n’en est pas moins insaisissable, l’inflexion de sa voix et sa présence ne me seront pas restituées. Les faits et gestes de cette étrangère dont une dizaine de photographies, tout au plus, montrent le visage, se perdent dans un brouillard qui s’épaissit plus encore lorsqu’on confronte la mémoire familiale et les documents d’état civil ; ainsi fallut-il que ce soit moi, à dix-huit ans, qui révèle à mon père que sa mère avait eu deux sœurs décédées à l’âge adulte, il n’en avait jamais entendu parler et marmonna que la grippe espagnole avait décimé des générations entières, mais comme je me rendis compte par la même occasion qu’il ignorait que ses parents étaient cousins germains, je n’insistai pas. Le souvenir de ma grand-mère est un tissu si troué que Melanía n’attendait que d’être inventée à partir des dates nues et des indications lapidaires des registres de la paroisse et de la commune ; j’ai répondu à l’appel, me suivrez-vous ?

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