« “Creuser la mémoire et transformer les images en souvenir. Les mots courent, hésitent, trébuchent, tant pis. Dehors, le monde a changé.” Telle est l’ouverture de ce court récit signé Heike Fiedler, Genevoise d’origine allemande, poétesse et performeuse.
Son récit, celui d’une enfance ailleurs, en face, en Allemagne, est parsemé de mots allemands. Formules de jadis maintes fois entendues DB Deutsche Bahn – où travaille le père; Nachtschicht – il travaille de nuit; den Henkelmann, la gamelle qu’il emporte avec lui; Schrebergarten – les jardins familiaux où il se rend après le travail. La petite fille regarde, agit, rêve à la troisième personne. Réminiscences de cette autre, celle d’en face, la petite qu’on était avant, qu’on est toujours un peu, qui vivait en Allemagne.
L’Allemagne après-guerre. La première télévision, un sapin-parapluie, la soupe aux lettres, les Berliner (inventées en hommage à Kennedy), toute une époque. Mais derrière les réunions de famille, les anecdotes, les objets datés, une autre histoire, forcément. Traces du génocide, d’un totalitarisme, un mur. “Nous cherchons à comprendre ce que nos parents auraient voulu ou auraient pu savoir, si leurs propres parents leur en avaient parlé”, écrit-elle.
Et puis, la Suisse, romande, une autre langue, les mots du français sur le bout de la langue, de nouveaux jeux de mots: “meringue” se dit Baiser en allemand. Ce récit poétique, fort, se trouve complété d’une postface de Julien Burri qui montre comment l’auteure jongle, habilement, avec la surprenante persistance du passé. » Eléonore Sulzer