Domaine français
Parution Mar 2019
ISBN 978-2-88927-640-0
272 pages
Format: 140x210 mm
Disponible

Domaine français
Disponible

Carole Allamand

Marathon, Florida

Domaine français
Parution Mar 2019
ISBN 978-2-88927-640-0
272 pages
Format: 140x210 mm

Résumé

En s’engageant dans la police de Marathon, Norma Salvatore n’a qu’une idée en tête : découvrir ce qui est arrivé à son frère Alberto, journaliste écologique trouvé mort sur une plage de Floride cinq ans auparavant. Mais cette affaire trop vite classée a tôt fait de l’entraîner en eaux troubles, au cœur d’un trafic plus sinistre que celui du corail rose et dont les acteurs ne sont pas ceux qu’elle croyait.
Les bars chics et moins chics de Key West laissent alors place à des bistrots où s’ennuie une petite fille : l’histoire d’un crime devient celle d’une famille genevoise des années 1970.
Quel rapport entre ces vestiges d’une enfance un peu triste et l’enquête de Norma Salvatore ? Cette folle course sur les ponts qui relient entre elles les îles de l’archipel des Keys, où a-t-elle vraiment commencé ? Avec ce texte à deux entrées, véritable making-of littéraire, Carole Allamand nous invite aussi dans le laboratoire du romancier.

Autrice

Carole Allamand

Née à Genève, Carole Allamand vit entre le New Jersey et Aix-en-Provence. Professeure de littérature à Rutgers, elle s’intéresse principalement à l’écriture autobiographique et à la zoopoétique (analyse littéraire des représentations de l’animal). Son premier roman, La plume de l’ours (Stock, 2013), a été finaliste du prix Goncourt du Premier Roman et a remporté le prix Pittard de l’Andelyn.

Dans les médias

« Le lecteur flotte avec l'auteure, entre Marathon, Florida , et Genève, entre deux livres, comme entre deux rives, entre une enquête policière là-bas et une autobiographie ici. (…) C'est à un véritable thriller que convie l'auteure qui connaît bien le continent américain et en détient les codes. Si bien que le lecteur est réellement transporté outre-Atlantique et s'y laisse prendre. »

Une chronique de Francis Richard à lire en entier ici

« Très bien documenté, écrit d’une plume qui va à l’essentiel, donnant à voir et à sentir lieux et atmosphère avec une simplicité efficace, ce roman se lit d’une traite. Reste à se plonger alors dans la deuxième partie, que tout lecteur ayant grandi comme Carole Allamand dans la Genève des années 70 et 80 appréciera délicieusement. »

Un article de Benjamin Chaix à lire en entier ici

« Le livre de Carole Allamand déroute et séduit tout à la fois. Pour une part, il s’agit d’un roman policier à l’écriture fluide qui respecte les codes habituels du genre : un meurtre non résolu, une histoire de famille, des enquêteurs bientôt amants, des ordinateurs et leurs strates de secrets. En toile de fond, mais illustrant l’intrigue et la propulsant, se déploie un décor de cinéma : le chapelet d’îles qui s’égrènent au sud de la Floride, des ponts interminables, des routes droites où s’entraînent des marathoniens. On s’arrête dans des bars à la Hemingway. La Havane n’est pas loin, le Mexique non plus. Il fait chaud, il fait glauque, même si le ciel est bleu. Quand l’énigme se résout et que le polar trouve sa conclusion, le livre continue. Dans la seconde partie, la prose se resserre et Carole Allamand nous ramène à la Genève de son enfance, elle nous livre avec une acuité triste – et vive et drôle en même temps – des éléments assurément biographiques. Les deux chapitres du roman paraissent disjoints jusqu’au moment où le lecteur comprend que l’écrivaine nous invite à regarder par-dessus son épaule. A nous de découvrir comment elle a utilisé le terreau de ses souvenirs, l’a transformé, traduit, transcendé pour en faire une œuvre littéraire. De ce processus aucune explication n’est donnée ; ce travail n’a laissé aucun fil apparent. Ainsi, l’interrogation demeure, mais il s’y attache une musique, douce et insistante, qui ne vous quitte pas. Un très beau roman. » Harry Koumrouyan  

« Il y a comme deux livres en un. Comme un roman et son  annexe, sorte de making of en pointillé. (…) Polar efficace, qui s’intéresse surtout aux relations  humaines, Marathon, Florida se voit donc prolongé par une seconde partie bouleversante. Carole Allamand y décrit  une grise enfance genevoise, au côté d’un père alcoolique  et d’une mère dépressive. Elle la parsème de détails finement observés, qui font revivre la Suisse des années 1970, et d’interrogations d’une petite fille que l’on dit «garçon manqué». Entre les deux parties, des liens se tissent, un coin de voile se lève sur les sources de personnages ou d’images. Sur, au final, cette étrange activité que représente l’écriture d’un roman. » Éric Bulliard 

« Une trame claire et efficace, dont la neutralité est au service d’une description prenante de la Floride des années 2000. C’est l’une des vraies beautés du livre : rendre simultanément des portraits crus et des paysages en creux ; une prose qui révèle sans artifice la beauté d’un imaginaire américain fait de jogging aseptisé et de mobile homes brûlés par le soleil. »

Un article de Aurélien Maignant à lire en entier ici

« Deux romans pour le prix d’un. Ou deux entrées distinctes pour un même roman. Déroutant ? Non, une valeur ajoutée. (…) Un roman d’atmosphère. Incarné et ancré à Marathon, Florida. (…) Dans la partie deux, Carole raconte des bribes de son enfance genevoise. Elle donne au lecteur des clés de compréhension. Comme si elle l’invitait dans son atelier d’écriture. Dans les coulisses du processus de création. Passionnant. »

Carole Allamand était l’invitée de Marlène Métrailler dans Versus Lire. Une émission à réécouter ici  

« A Norma qui règne sur la première partie palpitante succède Carole qui livre son histoire d’enfant par petites touches, chacune liée à un mot (…). Ces mots et les souvenirs qu’ils réveillent dévoilent en sourdine les mécanismes de la mémoire et la fabrique de l’imaginaire à l’œuvre dans l’histoire de Norma.

Malgré la mélancolie et les blessures de l’enfance, l’écriture de Carole Allamand ne va pas sans jubilation. Il y a un plaisir partagé de l’invention, de retrouvailles. »

Lire l’article d’Eléonore Sulser en entier ici

« Le roman tient en haleine, mais une deuxième partie inattendue livre des clés intéressantes sur la genèse de l’œuvre, à partir de la vie de la romancière. » A.K. et A.-M.D.

Lire l’article en entier ici

« Un polar solide et bien documenté, tendu autour d’un travail d’introspection littéraire malin et sensible. » Blaise Guignard

« Les fameuses Keys, au large de la Floride, ne sont plus des îles : un pont les relie. Et jeter une passerelle entre des éléments disparates est aussi ce que cherche Norma, flic à Marathon, pour élucider la mort de son frère, un journaliste qui sans doute dérangeait… Mais quel lien avec Genève, où ils avaient grandi ? Carole Allamand, devenue prof de littérature dans le New-Jersey, connaît bien l’envers des États-Unis, et joue du contraste entre clichés idylliques et sombres dessous pour ce thriller habile et poignant. »

« Marathon Florida est un livre en deux parties, à assembler selon son imagination. La première est sous forme de polar. La deuxième est un glossaire autobiographique. (…) Par un effet miroir, des pistes se dessinent et étoffent aussi bien les souvenirs d’enfance que l’énigme policière. Le lecteur se retrouve au cœur d’une fabrique romanesque. » Marie-José Brélaz

« Marathon, Florida c’est un thriller qui vous fait exploser les images dans la tête. À la fin, c’est comme d’avoir vu un film. On pourrait dessiner les personnages tant ils sont clairs dans le souvenir, si précise est leur description. Et l’intrigue est dingue ! On veut savoir, du coup on ne lâche pas le livre. »

Une chronique d’Isabelle Moncada à lire en entier ici

« Au-delà de l’enquête, qui est tout à fait agréable à suivre et qui devient addictive après certaines révélations, la dernière partie du roman est la plus fascinante. Le mystère est déjà résolu, et on tombe dans un style narratif différent, à la première personne, des épisodes de la vie d’une jeune fille à Genève dans les années 70. (…) L’expérience de lecture est étrange, presque intrusive mais non moins captivante, puisque c’est comme une deuxième enquête qui se résout en filigrane, qui réécrit le polar et transforme notre regard sur cette œuvre. Audacieux et surprenant ! »

Une chronique à lire en entier ici

Extrait

I

Devant vous, dans le miroir, une femme d’une trentaine d’années, cheveux courts, peau hâlée, achève de boutonner sa chemise blanche. Son nom est Cordelia Norma Salvatore. Enfin, il n’y a que ses parents pour l’appeler ainsi. Pour les autres, dont vous et moi, elle est Norma. Nous sommes le 1er mars 2006. Une odeur de pain grillé et de café flotte sur la chambre. Ses bulletins météo et trafic expédiés d’un ton enjoué, l’animateur de 100.7 FM lance un vieux tube d’UB40 et le tempo chaloupé du reggae envahit la pièce. Norma s’approche d’une table basse où se trouve la photographie encadrée d’un jeune homme au torse nu, coiffé d’un chapeau de paille. L’un après l’autre, elle accroche à sa taille les objets déposés près du portrait : le badge de la police du comté de Monroe, une Maglite de 25 cm, une paire de menottes, un étui contenant un Taser, un autre son téléphone portable, un anneau au bout duquel pend une matraque et, enfin, le holster de cuir craquelé renfermant son Beretta de service. Ainsi lesté, le ceinturon va chercher dans les sept kilos. Parmi les risques du métier, l’hernie discale l’emporte de beaucoup sur les balles perdues. Le sergent Salvatore sourit à cette idée et, se rapprochant de la glace, en profite pour inspecter la propreté de ses dents, l’avancée d’une ride au coin de l’œil. Sous cet angle, sa ressemblance avec l’homme de la photo vous apparaît tout d’un coup. Il doit s’agir de son frère.

Au même instant, une Ford Crown Victoria quitte la route 1 pour s’engager sur Sombrero Beach Road. Il est 7 heures et 59 minutes quand la voiture s’immobilise à l’ombre des amandiers, en bas de l’escalier qui mène à l’appartement de Norma Salvatore. Des fragments d’échange grésillant sur la radio de bord parviennent aux oreilles de Jet, qui s’est mis à battre le canapé d’une queue reconnaissante et lève la tête pour accueillir la caresse de sa maîtresse qui s’en va.

Comme d’habitude, le trafic ralentit à la vue de la berline blanche aux flancs décorés d’une étoile de shérif et, à petits coups de sirène, Diego Gilberto se fraie un passage jusqu’à la sortie de la ville. C’est la première enquête que ce jeune inspecteur mène d’un bout à l’autre, une affaire de fraude dont il raconte les derniers détails à sa passagère. Un coup de fil anonyme, reçu la veille, a permis de localiser l’escroc recherché à 20 milles d’ici, à Long Key. Le type en question, un dénommé David Scott Daly, se faisait passer depuis six mois pour un fabricant de piscines. Il avait encaissé des acomptes de quatre clients pour un montant total de 14 000 dollars. Or, non seulement l’homme ne s’était pas présenté le jour des travaux, mais il n’avait plus donné signe de vie et sa ligne avait été déconnectée. Après avoir compris qu’elles ne se baigneraient pas dans leur jardin cet été, les victimes avaient contacté le poste de Marathon.

« Évidemment, poursuit Diego Gilberto, aucune trace de Perfect Pools au registre du commerce… Et le mec n’en est pas à son coup d’essai, son casier à Miami est long comme le bras : détention de crack, recel, malversations en tout genre…

—  Rien ne ressemble plus à un petit malfrat de Floride qu’un autre petit malfrat de Floride, soupire Norma Salvatore sans attendre la fin de la description.

—  Attends, proteste son partenaire, David a un frère cadet. Une autre histoire : à peine sorti de sept ans de prison que déjà recherché pour violences aggravées sur sa compagne. »

Norma grimace en dépliant la feuille que son coéquipier lui a tendue. Avec des sourcils épais qui se rejoignaient sur l’arête d’un nez cassé, une joue balafrée et un regard plein de colère, Duane Joe Daly, alias DJ, avait la tête de l’emploi. Pas besoin de le faire poser devant la règle graduée d’une cabine de photo judiciaire pour savoir à qui l’on avait affaire. Diego Gilberto essaie de dissimuler son appréhension, mais huit mois de collaboration en ont appris les signes à Norma : sa main droite qui serre et desserre le volant fait saillir les muscles de l’avant-bras et, toutes les trente secondes, comme le boxeur face au sac de sable, le jeune agent laisse échapper deux ou trois exhalations sonores. Après un an aux Renseignements, Diego Gilberto avait passé aux Enquêtes des 4e et 5e districts du comté de Monroe l’automne dernier. Pour faire oublier son mètre soixante-cinq, cet immigré cubain fréquentait assidûment la salle de musculation du gymnase de la police et le club d’arts martiaux de Marathon où il enseignait l’aïkido à des écoliers. Un week-end sur deux, il s’occupait de ses fillettes : Carla, sept ans, et Sofia, qui aura quatre ans demain. Norma apprécie sa patience, son esprit méticuleux et, plus que tout, son aversion pour le bavardage.

Elle se retourne pour attraper le gilet déposé sur la banquette arrière, l’enfile par-dessus sa chemise et augmente d’un cran la climatisation. Le compteur de la Ford indique huit heures et demi et déjà 29 degrés. Restaurants, hôtels et grands magasins défilent au bord de son regard… et puis plus rien, rien que l’océan sous un interminable pan de ciel bleu et les saccades régulières du véhicule sur les plaques de ciment dont on a recouvert les quatre kilomètres du pont qui mène à Long Key.

L’adresse donnée par l’indic correspond à un parc de mobile homes situé à l’entrée de Layton, face au golfe du Mexique. Passé un portail qui n’a pas dû être fermé depuis longtemps, une route étroite conduit nos deux agents au Domaine des Pins, une aire de la taille d’un terrain de football, bétonnée par endroits, et à d’autres hérissée d’herbe jaunie : les jardins où des résidents ont installé chaises pliantes, bacs à fleurs et flamants de plastique rose. Le bruit des générateurs recouvre les cris des mouettes virevoltant au-dessus des bennes à ordures. Le soleil que des milliers d’Américains aisés viennent rechercher dans les Keys, de septembre à mars, est ici une punition. Il décape les carrosseries, délave les auvents et le linge suspendu, assoiffe la végétation et les palmes déchiquetées par les ouragans. À la vue du véhicule de police, deux hommes assis devant leurs caravanes se lèvent et en regagnent l’intérieur.

La résidence où l’on espère surprendre David Daly est au nom d’une certaine Tina Suarez. Diego se gare derrière une Honda rouge dont le pare-choc a été réparé à l’aide de ruban adhésif et recopie son numéro d’immatriculation sur l’ordinateur de bord. Bingo ! La voiture appartient bien à cette femme. C’est elle qui entrouvre la porte du mobile home à laquelle l’inspecteur a frappé. Tina Suarez a tout juste vingt ans, les cheveux tirés en arrière, et, de chaque côté du cou, le nom de ses deux enfants tatoué en lettres cursives. Dans ses bras, son fils d’un an dévisage les visiteurs de ses grands yeux noirs.

« Detective Gilberto y Sargento Salvatore de la policía de Marathon… Buscamos al señor Daly…

—  No está.

—  Pouvons-nous vous poser quelques questions ? » demande Diego.

La jeune femme s’écarte pour les laisser passer. Face à un canapé brunâtre où est assis l’aîné de Tina, les deux mains accrochées à un biberon, une table basse disparaît sous les boîtes de soda, des hochets et des assiettes mêlant mégots et restes de nourriture. Un téléviseur géant posé à terre diffuse un dessin animé. Norma et Diego se regardent : ils viennent d’arriver à la même conclusion. Sur le comptoir de la cuisine, deux bières récemment sorties du frigo, à en croire la condensation qui perle sur les bouteilles, trahissent la présence d’un tiers. Les deux policiers ont dégainé leur Beretta et se dirigent vers le fond du logement. Diego assène trois coups du poing sur la porte de la chambre.

« Police ! Monsieur Daly, nous savons que vous êtes là. Sortez et tout ira bien.

—  Il y a des enfants ici, continue Norma. Pensez à eux… »

Le garçonnet du canapé a rejoint sa mère et presse son visage contre sa cuisse. Un intermède publicitaire, à la télévision, emplit la pièce de sa musique pompeuse tandis que le bouton de la porte pivote, centimètre par centimètre. Diego, qui a reculé, pointe l’arme vers l’embrasure sombre :

« Les mains sur la tête ! »

Trois secondes passent, et le bout d’un pied apparaît, en bas, qui écarte doucement le battant. David Daly porte un t-shirt gris sale que sa posture fait remonter, dévoilant une panse épaisse et velue. Norma reconnaît dans son regard le dépit du criminel qui sait qu’il retournera derrière les barreaux. Mais la nuque recourbée de l’homme s’est tendue tout d’un coup et une exclamation échappe à sa bouche grande ouverte. Tapi sous le comptoir qui sépare le coin cuisine du minuscule séjour, un homme a bondi sur la jeune mère et la tient d’un bras passé autour de son cou, le canon d’un revolver appuyé contre sa tempe.

«  Les deux flingues par terre ! » exige Duane Daly.

Puis, d’une voix plus douce, au garçonnet qui pleure en silence :

« Allez bonhomme, va t’asseoir sur le canapé… »

Norma Salvatore dépose lentement à terre le pistolet qu’elle tient par le canon tandis que son partenaire s’agenouille et fait glisser le sien sur le linoléum. L’homme l’intercepte du pied avant de repousser brutalement son otage et le bébé blotti contre sa poitrine dans la direction de Norma. Au moment où il se penche pour ramasser les armes, une détonation retentit dans la pièce. La position de Diego est parfaite, deux bras rejoints, jambes fléchies. C’était un exercice de l’école de police. Certains de leurs collègues emportaient même un troisième pistolet, au cas où le second, que Diego avait tiré d’un étui suspendu contre son flanc, viendrait à s’enrayer.

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