Autres traductions
Parution Jan 2016
ISBN 978-2-88927-296-9
144 pages
Format: 140 x 210 mm
Disponible

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Autres traductions
Disponible

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Poche
Parution Mai 2023
ISBN 978-2-88907-106-7
208 pages
Format: 105x165mm
Disponible

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Paolo Cognetti

Le Garçon sauvage. Carnet de montagne

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Parution Jan 2016
ISBN 978-2-88927-296-9
144 pages
Format: 140 x 210 mm

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

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Parution Mai 2023
ISBN 978-2-88907-106-7
208 pages
Format: 105x165mm

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Résumé

Le Garçon sauvage commence sur un hiver particulier : Paolo Cognetti, 30 ans, étouffe dans sa vie milanaise et ne parvient plus à écrire. Pour retrouver de l’air, il part vivre un été dans le Val d’Aoste. Là, il parcourt les sommets, suspendu entre l’enfance et l’âge adulte, renouant avec la liberté et l’inspiration. Il plonge au cœur de la vie sauvage qui peuple encore la montagne, découvre l’isolement des sommets, avant d’entamer sa désalpe, réconcilié avec l’existence. Néanmoins, ce séjour initiatique ne parvient pas à l’affranchir totalement du genre humain : « je pourrais me libérer de tout, sauf de la solitude. »

 

Auteur

Paolo Cognetti

Né à Milan en 1978, Paolo Cognetti a étudié les mathématiques et la littérature américaine, avant de se lancer dans une école de cinéma et de monter sa maison de production indépendante. Auteur de documentaires littéraires, de textes sociologiques et de romans, passionné par New York et par la montagne, il partage sa vie entre sa ville natale, le val d’Aoste et Big Apple. Son roman Sofia s’habille toujours en noir, paru chez Liana Levi en 2013, lui a valu de figurer dans la sélection du Prix Strega.

Dans les médias

« (…) S’il est plus ou moins chronologique, déroulant les saisons d’avril à octobre, Le garçon sauvage ne constitue pas vraiment un journal. Plutôt des chroniques d’en haut. Contemplatives et affairées, référencées et palpitantes. Jamais folkloriques. Carnets d’un versant l’autre, écrits dans une langue claire comme “ l’eau de neige ” »  V. R. 

« Ode à la montagne et à la vie déconnectée, ce journal de bord est d’une beauté à couper le souffle, ou plutôt, à nous le redonner. L’auteur – dont seul le roman Sofia s’habille toujours en noir était à ce jour traduit (Liana Levi) – y raconte une retraite volontaire en pleine nature. Moins absolu dans sa quête que Jon Krakauer et son Into the Wild (réédité chez 10-18 et adapté au cinéma en 2007 par Sean Penn), Paolo Cognetti s’est retiré plusieurs mois dans un chalet des Alpes afin de se retrouver. Il confronte son univers à celui de ses auteurs favoris : Mario Rigoni Stern, Nicolas Bouvier ou Henry David Thoreau. Qu’il décrive l’hiver et les différentes sortes de neige, qu’il s’interroge sur le sentiment de solitude après une nuit à la belle étoile sous le regard d’un renard ou qu’il s’étonne de ce qu’il peut apprendre des haricots, il se fait enchanteur même lorsqu’il dresse le portrait d’une souris pas forcément la colocataire idéale. » C. S. 

« (…) Ecrire sur la montagne se révèle bien sûr une autre manière d'écrire sur soi: dire je met mal à l'aise, confesse l'auteur sur son blog, où ont paru certains des textes qui composent Le Garçon sauvage. De peur de parler de lui, il avait privilégié jusque-là les points de vue féminins – son autre ouvrage traduit en français, le roman Sofia s'habille toujours en noir (Liana Levi, 2013), raconte trente ans de la vie d'une femme. Ici, le sujet se déporte dans les cours d'eau vive et les derniers névés, il se cache sur les sentiers d'altitude, dans les mélèzes  »incendiés par l'automne«  et les chevreuils furtifs. Mais ce détour par les autres et les lieux le ramène peu à peu à ce je qui s'ancre alors dans un corps retrouvé, plein de la liberté déliée et de la force que donne la montagne. Ses marches sur les crêtes entre deux vallées, sur le fil entre passé et présent, ses détours et ses égarements deviennent les métaphores du trajet imprévu, toujours surprenant, qui ramène à soi. Où la fuite hors du monde s'avère alors une manière d'y entrer vraiment.

Enfin, si la montagne est un défi pour le corps et l'esprit, elle l'est aussi pour la langue. Vive et limpide comme un torrent, celle de Paolo Cognetti se mesure au paysage, aux  »sauvages« , au dialecte, à lui-même. Sensible, rythmé, drôle aussi, Le Garçon sauvage se place d'emblée sous les auspices de la littérature et de la nature, l'auteur dialogant avec les écrivains aimés et s'inscrivant dans la tradition des récits de voyages, d'ermitage et d'exil. Ici, loin de s'opposer, nature et culture se complètent, s'enrichissent et finissent par ne faire qu'un,  »paisiblement, presque à l'insu de Cognetti, qui pensait faire l'expérience de la nature et devient, lui, le lieu de l'expérience« , écrit si justement Vincent Raynaud dans sa préface.

C'est que la littérature lui permet de se risquer plus avant dans sa confrontation avec la montagne. L'oeuvre de Mario Rigoni Stern, notamment ses Arbres en liberté, devient son encyclopédie, les yeux avec lesquels regarder le paysage, tandis que les splendides poèmes d'Antonia Pozzi, invités dans sa prose, éclairent sa propre sensibilité. Le retour à soi passe aussi par la langue, c'est-à-dire par le dialogue avec d'autres. C'est ainsi que Le Garçon sauvage allie pudeur et profondeur avec une rare honnêteté. » Anne Pitteloud

Michèle Béal de la Librairie 8 à Strasbourg présente Le Garçon sauvage de Paolo Cognetti, sur France culture. Réécouter ici.

« (…) Pudique et mesuré, très suggestif, [ce roman] est écrit avec une économie de moyens qui cherche la sobriété et le ton juste. Visuel, descriptif, mais également sensible, il nous donne  une version renouvelée des grands mythes de la montagne salvatrice. » (Alain Bagnoud)

Paolo Cognetti était l'invité de Madeleine Caboche dans l'émission Détours sur Rts la première, pour parler de Le Garçon sauvage.

« … Paolo Cognetti (né en 1978) a quitté Milan pour les hauteurs du Val d'Aoste. Huit mois loin des hommes dont il a ramené un beau récit, sobre, sans épanchement, poli comme un galet roulé dans le lit du torrent:  »Le garçon sauvage« . (…)

C'est un désir d'épure qui l'a poussé à prendre le large et auquel son écriture répond magnifiquement. (…) » Michel Audétat

« … une sincérité brute, teintée de fine ironie, qui presque toujours fait mouche, parfois émeut vraiment… » Franck Adani

« … un superbe livre (…) un texte profond, à l'écriture humble et ciselée, qui tient autant du chant d'amour pour la nature que du roman d'apprentissage. … » Ariane Singer

« … À la fois récit d'un retour sur soi et découverte de la nature – cette quête d'une virginité qui s'efface inexorablement –, Le Garçon sauvage évite les écueils de l'intimisme forcéné et du voyeurisme pleurnicheur. Servi par une langue limpide (et une traduction idoine), des phrases qui courent comme ruisseaux libres et vaillants, Le Garçon sauvage trompe son monde : nous pouvons le classer livre d'aventure, ce serait banal, l'identifier récit d'apprentissage le serait tout autant. Ici, nous préférons retenir une sorte d'amour partagé, une bibliothèque commune. Revisitées par le jeune milano-new-yorkais, nous fêtons ainsi nos retrouvailles avec de nombreuses pages, certaines écrites il y a bien longtemps, véritables cadeaux d'écrivains dont la notoriété va de pair avec leur humanité. La relecture de Paolo Cognetti devient alors elixir de jouvence. (…) » Martine Laval

« … Eclate ici dès l'orée du livre un art de l'ellipse, une pudeur, qui font toute la beauté et le mystère d'un auteur ne donnant aucune leçon, préférant la juste description des travaux, des jours et des sentiments à la clôture d'un système de pensée trop rassurant pour être véritablement de secours. (…) » Fabien Ribery

« … Un texte d'une grande sensibilité dans le regard porté sur les autres, sur la nature et d'une grande justesse dans l'analyse de soi. A cela s'ajoute l'humour, cette distance indispensable, la seule capable de nous placer sur le chemin de nous-mêmes. Une belle et tendre leçon de vie et de poésie… »

Lire l'article entier ici

« …Une plume aussi sobre qu'élégante et précise, avec laquelle [Paolo Cognetti] nous emmène d'un bout à l'autre de ces chroniques de vie en montagne (plutôt qu'un journal de bord) sans jamais nous ennuyer. Entre description fine du milieu qui l'entoure – son ode aux arbres d'altitude vaut son pesant d'or – et évocations à la fois grave et légère des mouvements de son âme, livrée à un rude face-à-face avec elle-même. (…) [Cognetti] trace un sillon littéraire qui donne envie de le suivre. » Jean-Claude Noyé

« Une très belle expérience de la solitude pour retrouver l’écriture et de magnifiques pages sur la montagne. »  Cédric Simon

« Suspendu entre l’enfance et l’âge adulte, le passé et la modernité, l’urbain et la nature, pour une durée indéfinie qui couvrira deux saisons, [Paolo Cognetti] nous donne avec honnêteté un témoignage brut, sensible, radical. Et cultivé ! (…) « Le Garçon sauvage » est un « usage du monde » en estive, entre bouquins et bouquetins. » Henri Frier

Coups de cœur

« Une très belle expérience de la solitude pour retrouver l'écriture et de magnifiques pages sur la montagne. » Cédric Simon

Coup de Cœur de Muriel – espace Littérature – été 2016

Ce qu j'ai aimé dans ce roman, ce sont les très beaux portraits qui y sont faits. Le narrateur […] nous raconte la montagne et ses habitants. C'est un récit très touchant, poétique, avec une touche de mélancolie. Je dirais qu'il est parfait pour tous ceux qui ont envie de se poser et qui aiment la nature.

Sophie

Paolo Cognetti est un jeune Milanais de 30 ans, excédé par la vie urbaine. Il décide de s'évader le temps d'un été vers les sommets du Val d'Aoste. Pour faire face à la solitude, il emmène de quoi noter ce qu'il voit et ce qui le traverse, et n'oublie pas d'emporter les œuvres de Mario Rigoni Stern, Élisée Reclus, Antonia Pozzi…

Avec une grande économie de moyens, Paolo Cognetti évoque son quotidien, les petites rencontres fortuites avec les chiens errants ou les rares paysans qui passent par là. Pas besoin d'aimer la montagne pour être transporté vers les hauteurs, pas besoin de partir en vacances pour vagabonder librement, ce garçon sauvage vous prendra dans sa besace avec poésie et délicatesse.

Ce carnet de montagne au plus près de la nature d’une grande subtilité et justesse de ton forme un remarquable hommage littéraire, au Walden de Henry David Thoreau, inspiration première, à la poésie d’Antonia Pozzi qu’il donne envie de découvrir, à Mario Rigoni Stern dont les nouvelles l’accompagnent lorsqu’il est cloué dans le chalet par les chutes de neige tardives (Sentiers sous la neige), et enfin lorsqu’il explore et décrit la montagne sur les traces d’Élisée Reclus, un hommage à tous ceux qui au cœur de cette montagne le remettront sur le chemin de l’écriture.

Retrouver cette note de lecture dans sa totalité ici.

Coup de cœur de votre libraire

Sincère et touchant, l'auteur nous fait partager son expérience d'ermitage moderne seul pendant un an, dans une bergerie, dans la vallée d'Aoste, en Italie.

Avec pour références tutélaires P. Levi, M. Rigoli Stern ou Antonia Pozzi, l'auteur réussit à nous emporter dans ses montagnes où la solitude ne vaut que si elle est partagée!

« Il y a de superbes passages, très poétiques. On se sent avec lui dans cette maison de montagne. »

Michène

« Quitter la ville, vivre en montagne, hors du temps, retrouver les plaisirs simples. Voilà ce que nous raconte Paolo Cognetti dans ce livre sensible et plein de quiétude. »

« Coup de cœur pour ce récit personnel. Une très agréable invitation aux voyages et à la littérature. »

Kristel

« Ces chroniques contemplatives et affairées, référencées et palpitantes sont écrites dans une langue pleine de simplicité et de poésie. »

 

« Un jeune écrivain italien de 30 ans décide de s'isoler pendant quelques saisons dans une maison de berger des hauteurs alpines. Il pense que le fantasme romantique de se couper de la compagnie des hommes aura pour lui un effet positif, tant du point de vue physique que spirituel. Si la nature est bien présente tout le long du récit que ce soit sous forme animale, végétale ou minérale, ce sont bien les rencontres avec les rares hommes de ces contrées qui vont marquer le jeune homme. Ce carnet de montagne est un hymne à la nature dénué de misanthropie où les nombreux extraits de poésie qui jalonnent le texte rajoute à la beauté des lieux, la beauté des hommes. »

Pierrick

« Sous la plume de Paolo Cognetti, l'isolement est loin de n'être qu'une banale expérience. Le  »garçon sauvage«  n'est pas un bon solitaire, c'est un très bon écrivain. » Nadège

« Ces carnets d'un  »garçon sauvage«  sont magnifiques. »

 

« J'ai aimé l'honnêteté de l'auteur sur son héritage en littérature et son incapacité à vivre seul. Le tout avec beaucoup de poésie. »

Michel

Comme une parenthèse dans une vie, un retrait du monde pour mieux se retrouver.
Isolé au creux des montagnes, au rythme de la nature et des saisons, « Le Garçon sauvage » cherche à retrouver l’essentiel, loin de l’agitation de la ville et de la vie.
Un thème maintes fois traité, certes, mais toujours et plus que jamais d’actualité.
Et surtout au bout de l’expérience se rendre compte d’une chose importante:
« Je pourrais m’affranchir de tout mais pas de la solitude ».
Plus que le rejet du monde, l’envie d’une autre forme de vivre ensemble, apaisé et serein.

Nathalie

Un vrai plaisir rafraîchissant et vigoureux comme la montagne.

Pierre Coutelle

« Chaque chapitre, sorte de petite nouvelle, explore un sujet de préoccupation lié à la vie en montagne. (…) Autant d'éléments que le protagoniste cherche à maîtriser pour se rapprocher du garçon sauvage qu'il a été lors de nombreux étés passés dans les alpages. »
Agathe Beaumont

Qui ne rêve pas de passer quelques mois dans les alpages pour observer, penser, se dépenser, s'oublier, ralentir et lire ?!

Partir avec Paolo Cognetti (jeune citadin italien héritier de Thoreau) nous revigore, nous connecte à nouveau avec la nature et la lecture, nos deux essentiels.

Nathalene

L'auteur, en manque d'inspiration, décide de se réfugier (…) dans le val d'Aoste, pour renouer avec la nature, la liberté et l'écriture. FANTASTIQUE !

Caroline

Sur les traces de Thoreau, Rigoni Stern ou Tesson, P. Cognetti quitte le confort du succès et de la ville pour faire face à la solitude. Par chance le silence et la nature sont là pour traduire ce qu'il ressent. Un récit d'une grande finesse.

Olivier

Chronique de l'isolement ou comment se recentrer quand la société devient insupportable.

Une belle plume au service d'une belle région, celle des Alpes italiennes.

 

Droits vendus

Français (poche)
Acquéreur éditions 10/18
Année 2016

Extrait

Topographie

 

 

[…]

Pourquoi cette histoire m’intéressait-elle autant ? Parce qu’il me semblait important de me répéter une chose élémentaire : le paysage qui m’entourait, en apparence si authentique et sauvage, avec ses arbres, ses pâturages, ses torrents et ses rochers, était en fait le produit de siècles de labeur, un paysage artificiel au même titre que celui de la ville. Sans l’homme, rien de ce qui était là-haut n’aurait été pareil. Pas même le ruisseau, ni certains arbres majestueux. Même le pré où je prenais le soleil aurait été une forêt dense, rendue impénétrable par les troncs et les branches tombées, les rochers couverts de mousse, et un sous-bois rempli de genévriers, de buissons de myrtilles et de racines intriquées. Il n’y a pas d’état sauvage dans les Alpes, mais une longue histoire de présence humaine qui traverse aujourd’hui une époque d’abandon : certains le déplorent comme la fin d’une civilisation, moi, il m’arrivait au contraire de me réjouir quand je voyais des vestiges engloutis par le sous-bois ou un arbre sortir de terre là où, un temps, on avait semé le blé. Il faut dire que ce n’était pas mon histoire qui disparaissait. Moi qui rêvais de voir revenir les loups et les ours, je n’avais pas de racines là-haut, rien à perdre si la montagne se libérait enfin de l’emprise de l’homme.

 

Ainsi, mes explorations prirent la tournure d’une enquête, une tentative de lire les histoires que le terrain avait à raconter. Plus trivialement, je ramassais les déchets. Un vieux seau en bois pourri à moitié enfoui dans une fosse à purin, une serrure rouillée. L’histoire qui m’intéressait était exclusivement humaine : pourquoi, par exemple, la baita derrière la mienne avait-elle ce prolongement sur le côté ? Les affaires avaient peut-être mieux marché à un moment donné, si bien que la famille avait dû agrandir l’étable ? C’était la plus grande de toutes, mais aussi la plus austère. De toutes petites fenêtres, trois planches branlantes en guise de balcon. La troisième baita tournait le dos aux autres, la façade orientée vers le nord. Là aussi, il avait fallu qu’ils aient une bonne raison pour se priver du soleil : une querelle autour des limites de propriété peut-être ? La quatrième était la plus soignée, peut-être aussi la plus récente. Elle avait un petit balcon avec quelques tentatives de décoration, des vitres aux fenêtres et même du mortier sur les murs extérieurs – un mélange rugueux, avec quelques bosses ici et là, d’un blanc cassé qui me plaisait beaucoup. Dehors, il y avait deux enclos de travers, pour les poules ou les lapins ou quelque animal domestique. Comme le hameau était légèrement en pente, la baita blanche dominait de sa hauteur celle à l’envers, celle avec la grande étable ainsi que la mienne, qui en contrepartie jouissait d’une vue imprenable.

En les observant, il m’arrivait parfois de me demander : avait-elle vraiment existé, cette époque où Fontane était habité ? J’avais peine à le croire. Pour moi qui depuis tout petit voyais la montagne comme un grand champ de ruines, le présent se résumait depuis longtemps à un tas de morceaux que nul ne pouvait plus recoller. Tu ne pouvais rien faire d’autre que les tourner entre tes mains et imaginer à quoi ils avaient bien pu servir, comme il m’arrivait parfois de le faire quand, en décalant une pierre, je trouvais un manche de bois, un gros clou tordu, du fil de fer entortillé.

 

 

Aussi absurde que cela pût paraître, chaque baita avait un numéro. Un beau jour, un fonctionnaire avait dû recevoir l’ordre d’inscrire au cadastre tous les édifices, et depuis, toutes les ruines éparpillées dans la montagne possédaient une petite plaque avec un chiffre. Ma baita avait le numéro 1. Tôt ou tard, pensais-je, je descendrai en plaine et m’enverrai une carte postale, lieu-dit Fontane n° 1, puis m’en retournerai là-haut pour accueillir le facteur qui montera clopin-clopant. La baita avec la grande étable avait le 2, celle qui nous tournait le dos, le 3, celle qui avait été peinte en blanc, le 4. Mais les seuls habitants qu’il y avait ici étaient les loirs et blaireaux dont j’entendais parfois les allées et venues. La population, c’était moi. Comme Robinson sur son île déserte, je pouvais proclamer haut et fort : « J’étais seigneur de tout le manoir : je pouvais s’il me plaisait, m’appeler roi ou empereur de toute cette contrée rangée sous ma puissance ; je n’avais point de rivaux, je n’avais point de compétiteur, personne qui disputât avec moi le commandement et la souveraineté. » Je représentais à la fois l’habitant le plus en vue et l’indigent, le noble propriétaire et son fidèle gardien, le juge, l’invité, l’ivrogne, l’idiot du village : j’avais tant de moi dans les jambes qu’il m’arrivait parfois le soir de devoir sortir et m’en aller dans les bois pour me retrouver un peu seul.

 

 

 

Nuit

 

[…]

Au cours de cette nuit étrange, une autre, bien des étés en arrière, commencée dans un bar de village, avec mon père et mon oncle, me revint en mémoire. Ce sont deux hommes à l’esprit de compétition : ils ne se voient pratiquement jamais, mais quand cela leur arrive, ils expriment leur attachement comme des gamins, en se lançant des défis – une inclination que je crains moi aussi d’avoir héritée. Après manger, mon père parla d’une montagne non loin de là, au sommet de laquelle on montait autrefois de nuit pour admirer l’aube. Du village, il devait y en avoir pour deux mille mètres de dénivelé, cinq heures de marche à tout casser en allant d’un bon pas. Si c’est que ça, dit mon oncle, qu’est-ce qu’on attend ? Allons-y ! Eux, ils s’envoyaient des tournées de grappa et moi, j’avais seize ans et ne demandais qu’à montrer de quoi j’étais capable. Je partis donc avec eux. Aucun de nous ne s’était soucié de la lune, d’ailleurs il n’y en avait pas. À minuit, nous prîmes le sentier et passâmes la première heure à nous prendre les pieds dans les racines et les pierres, à rire, à pester, à nous éclairer les uns les autres avec la seule lampe de poche que nous avions. Quand la forêt fut derrière nous, l’effet de la grappa l’était aussi. Les frères ne la ramenaient plus, ils soufflaient, c’est tout. Ils devaient avoir la gorge bien sèche et les jambes en compote, mais aucun des deux ne voulait lâcher le mot demi-tour. Nous avions fait plus de la moitié du chemin quand, vers trois heures du matin, en plein pâturage, nous crûmes entendre un orgue. Puis, nous aperçûmes la lueur d’une petite fenêtre. C’était à peine croyable mais quelqu’un jouait de l’orgue au beau milieu de la nuit, dans une baita perchée à plus de deux mille mètres d’altitude. Nous étions fatigués et commencions à avoir froid. Pour ne pas effrayer le musicien, mon père et mon oncle décidèrent qu’au lieu de frapper à la porte, il valait mieux se présenter en chantant à tue-tête. Même en pareilles circonstances, ils gardaient leur esprit potache. Devant la baita, ils entonnèrent une chanson de chœur alpin : au bout de deux strophes, la musique s’interrompit, une lumière s’alluma au rez-de-chaussée et le propriétaire vint nous ouvrir. C’était un homme sur la soixantaine. Il n’avait pas l’air du tout content de nous voir. Même s’il se serait visiblement passé de notre compagnie, il s’efforça de se montrer aimable : il nous prépara un thé chaud, nous prêta deux autres lampes de poche, déclina les tentatives de conversation, nous souhaita bonne route et nous raccompagna à la porte. Plus tard, sur le sentier, nous l’entendîmes qui reprenait. Pour finir, nous avons bel et bien atteint le sommet, mais je n’ai aucun souvenir de cette aube-là : à chaque fois que, les trois, nous nous racontons cette histoire, nous arrivons à ce curieux musicien, et nous en restons là. Qui était-il ? Comment avait-il fait pour monter un orgue là-haut ? Lui aussi entretenait peut-être un rapport compliqué avec l’obscurité. À l’époque, je le prenais pour un excentrique, pour ne pas dire un fou de la montagne ; mais devant le feu, ce jour-là, j’aurais bien voulu savoir jouer, moi aussi. Un peu de guitare ou d’harmonica. Chanter tout seul, ce n’était pas la même chose.

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