« C’est pour cela que notre roi m’a choisie pour l’accompagner, je ressemblais à son garçon. Cela faisait si longtemps de ces combats, à croire que nous allions tous mourir là, nous qui venions des campements et vous de Troie, et qu’ensuite tout serait oublié. Mais notre roi nous l’a évité, il a ordonné que l’on tresse ce grand animal en bois, un cheval, un vrai présent. Je suis entrée dans le ventre de la bête derrière lui, je me suis assise dans le noir à ses côtés une fois le ventre refermé. Il m’a dit que nous serions cruels et joyeux bientôt, et puis plus un bruit, plus un mot. Il fallait attendre. Il a vite fait très chaud, nous étions nombreux à l’intérieur, nos bouches sèches. Que vous Troyens acceptiez la bête, que vous la fassiez entrer dans votre ville et vous seriez vaincus. Ou alors que vous la refusiez, en ouvriez le ventre pour nous y tuer et je finirais couchée sur notre roi, un corps de fille qui n’avait rien à faire là. Je n’y pensais plus, que j’avais été fille, j’étais volée, même de ça. Après des heures sans bouger, les muscles durs, nous avons entendu vos voix de tout près. Vous vous demandiez encore, prendre la bête ou non, l’ouvrir, la faire entrer. Je n’avais plus peur car il avait fait trop noir trop longtemps, nous n’étions plus nulle part. Et puis la bête a remué. Elle nous a emmenés, elle a quitté le sable pour le sol dur de la cité. Quand elle s’est arrêtée il a fallu attendre encore, la nuit, le signal, et puis nous sommes sortis de son ventre et nous avons incendié. Les maisons, les granges, les attelages dans les rues, tout a brûlé. J’ai voulu aimer ce feu, qu’il nous délivre. Il ne nous a pas délivrés. Nous avons été cruels encore et sans joie, rejoints par les autres, frappant, pillant, chantant. Ce fut une très longue nuit. »