Une fois par mois, le comité de Katterijn se réunissait. À ce qu’Hortensia avait compris, il avait été institué par une femme du nom de Marion Agostino, qui se trouvait aussi être sa voisine, une femme désagréable qu’Hortensia n’aimait pas. Mais il faut dire qu’Hortensia n’aimait pratiquement personne. Elle était tombée par hasard sur ces réunions, peu après son arrivée à Katterijn. Personne n’avait songé à lui signaler qu’en tant que propriétaire, elle bénéficiait du droit de tuer le temps avec les autres membres du comité. Cette indication était sortie par inadvertance. Quand Hortensia avait senti que cette omission initiale n’était pas un oubli, mais délibérée, il lui fut facile d’en déduire que cet affront était dû à la couleur de sa peau. Forte de cette prise de conscience, Hortensia avait parcouru la courte distance qui la séparait de chez Marion et avait pressé le bouton de l’interphone.
« C’est Hortensia James, la voisine. »
Elle n’avait pas été offensée par l’absence de manifestations de bienvenue de sa part, ni de celle des autres résidents. Ils n’étaient pas venus à Katterijn pour se faire des amis, chose dont Peter et elle s’étaient dispensés pendant la majeure partie de leur vie.
« Un instant, je vais appeler ma patronne », dit une voix désincarnée. Hortensia appuya son épaule contre le mur.
« Oui ? » Ce devait être Marion.
« C’est Hortensia. La voisine.
— Ah bon ? »
À ce moment précis, Hortensia comprit qu’elle ne serait pas invitée à entrer. Cet affront la contraria brièvement, mais elle n’en fit pas cas, le considérant sans importance.
« Je vais assister aux réunions. » Cela ne devait pas laisser penser qu’elle demandait une autorisation. « Les réunions du comité.
— C’est que… je n’avais pas compris que vous étiez propriétaires. »
Hortensia, toujours en train d’écouter à l’interphone comme une mendiante :
« Oui, eh bien, c’est le cas.
— Ah, c’est que… je ne savais pas trop. Et… » Hortensia entendait presque Marion chercher un autre argument. « … est-ce que ce monsieur est votre mari ? » Ce n’était pas tant une question qu’une remontrance.
« Qui, Peter ? Oui. » Une fois encore ceci n’avait pas surpris Hortensia. Elle était tombée amoureuse d’un Blanc à Londres dans les années cinquante. Bien des fois, on leur avait demandé de s’assurer de leurs sentiments, d’affirmer qu’ils tenaient l’un à l’autre, de prouver le bien-fondé de leur amour. Au bout d’un an ensemble, ils en avaient pris l’habitude.
« Oui, Peter est mon mari.
— Je vois. »
Dans le silence, Hortensia imaginait Marion en train de réfléchir, de s’appliquer à élaborer le coup suivant, de préparer une autre pique, mais au lieu de cela, elle entendit un soupir et faillit rater les détails concernant la prochaine réunion. Marion alla même jusqu’à parler de code vestimentaire en guise de cadeau d’adieu.
« Nous nous habillons pour nos réunions, Mrs James. Nous respectons de rigoureuses convenances. » Comme si elle pensait que la dignité était une chose à laquelle Hortensia devait être éduquée.
Les réunions semblaient avoir été créées dans le but de surveiller le quartier : être vigilant aux « éléments », avait expliqué à Hortensia la bibliothécaire de la communauté. N’importe quoi, avait-elle pensé, et après avoir assisté à quelques séances, elle se sentit bientôt confortée dans son impression. Les réunions visaient à afficher une importance qui n’existait pas. De vieilles femmes portant perruque, aux ongles vernis, au rouge filant dans les ridules du contour de leurs lèvres. De vieilles Blanches riches et effrayées, voulant faire croire au monde alentour qu’elles étaient importantes. Hortensia y assistait parce que ces femmes étaient divertissantes, à papoter avec le plus grand sérieux de sujets futiles. Cela l’amusait de penser qu’elle se riait d’elles. Mais, en vérité, cela lui faisait passer le temps, en distrayant son esprit de ce qui l’encombrait.
Certaines fois, pourtant, les réunions cessaient d’être divertissantes pour devenir choquantes. Un jour, un couple noir vint s’installer à Katterijn ; ils avaient loué un duplex, pas sur l’Avenue, mais près d’une des rues secondaires. Ils avaient deux enfants. Un voisin, un vieil homme, un peu décati et n’ayant plus qu’une dent, se plaignit, ces enfants devaient arrêter de s’en prendre à sa boîte aux lettres. L’affaire fut débattue en comité. Il prétendit que les enfants s’attaquaient à sa boîte aux lettres, qu’ils l’endommageaient. Comment le savait-il ? les avait-il vus ? Non, il l’avait senti en descendant de son stoep pour aller chercher son courrier. Il connaissait l’odeur des enfants de couleur. Est-ce que ces tracas pouvaient enfin trouver leur terme ? supplia-t-il. Hortensia l’avait maudit, avait quitté la réunion. Et comme si le Ciel avait entendu la requête de cet homme, les tracas stoppèrent – il mourut.
Néanmoins, Hortensia retournait toujours aux réunions. Pour se moquer d’eux, pour leur montrer qu’ils étaient hypocrites, pour s’occuper.