Chasper vit un peu à l’extérieur du village, dans un creux au-delà de la route. En rentrant chez lui, il peut au moins mettre les mains dans les poches. C’est la fin septembre; la campagne est d’une clarté brunâtre, elle paraît plus vaste. Quelque part, un petit troupeau de moutons en pâture, on entend aussi quelques cloches de vaches ; dans un champ, des tiges de pommes de terre brûlent, un ruban de fumée suspendu au-dessus. Il aime cette odeur qui lui rappelle le passé, tout comme l’odeur du fumier sec sur les prés, en fin de compte. On voit les feuilles tomber, quelque part un arbuste rouge feu. Les mélèzes sont déjà jaunissants, éparpillés dans les forêts de sapins comme des flammes de chandelles. L’air est figé. Sur les sommets, il y a déjà un peu de neige, ils sont juste saupoudrés de blanc.
La maison de Chasper, très vieille, est une des plus singulières, par ici. À moitié en pierre, avec des murs irréguliers, à moitié en bois, les poutres et les planches presque noires, un balcon couvert, des fenêtres de tailles différentes. Il n’y a pas l’ombre d’une symétrie : on ne sait pas pourquoi cette maison, à partir du milieu, penche un peu sur le
côté. Le fond de la grange, sous le même toit, arrive jusqu’à la roche ; le toit est couvert de bardeaux. Au mur, l’année de construction, décolorée : le milieu du dix-septième siècle. La pierre et le bois ont résisté au temps, bien que le temps soit toujours là, fouillant tout autour, de ses mains silencieuses.
Mais aujourd’hui, tout cela ne donne aucun souci à Chasper, ni le poids du temps ni le poids des dettes. Plus qu’autre chose, il lui semble, en entrant chez lui par la grande entrée, qu’aujourd’hui ses pas résonnent plus fort que d’habitude.