Fin d’été 1871 : Henri-Frédéric Amiel passe ses vacances à Chernex, au-dessus de Montreux. Le professeur genevois n’en interrompt pas pour autant son activité de diariste, relatant son quotidien au sein de la petite société des résidents de la pension Dufour. Les extraits choisis ici sont emblématiques de l’ensemble de son œuvre gigantesque. Anecdotes, citations, poèmes, réflexions plus générale, attention à sa santé, lettres et même notes de cours : autant d’éléments qui stimulent sa pensée et le font réagir. La compagnie avant tout féminine donne au diariste l’occasion de réfléchir aux relations entre les sexes, à ses propres contradictions, au monde.
Extraites du gigantesque Journal d’Amiel, les entrées ici présentées couvrent dix jours passés à Chernex, où le diariste est en vacances. Ce cadre, où la compagnie est avant tout féminine, donne à Amiel l’occasion de s’attarder sur les bontés de Cali, les travers de Madrina et le caractère de Sériosa, trois des ses amies qu’il nomme, comme à son habitude, par des surnoms. « Au fond, quel est mon sentiment sur Sériosa ? C’est une belle âme, éprise de toutes les pures ambitions, aspirant religieusement à la vérité, à la charité, à la sainteté (…). Cette âme est d’autant plus belle qu’elle a plus d’obstacles sur sa route, la laideur, une vue courte, l’insignifiance des dehors, peu de facilité naturelle en tout genre. » S’il consacre de nombreuses lignes à Sériosa et à l’influence qu’il pense exercer sur elle, Amiel note aussi des considérations plus générales sur les relations entre les sexes et sur ses propres doutes et contradictions. « L’incapacité de résolution est le résultat de mon talent à trouver le pour et le contre. L’impossibilité d’un parti sûr et excellent me dégoûte de tout parti. Qui ne risque rien n’a rien, d’accord ; mais je déteste le risque dix fois plus que je ne désire le gain. » Dans le journal, les notations du quotidien et de la société dans laquelle Amiel évolue côtoient des réflexions plus profondes, tandis qu’il prête également une attention accrue à santé. « (9 heures du matin) Mon appétit s’émousse, mon estomac se babeurre avec ce chocolat et ces laitages continués. Je finis à déjeuner par avoir le cœur sur les lèvres. Les yeux aussi me cuisent. Pourtant la nuit a été meilleure que les précédentes (…). » Représentatives de l’ensemble de l’œuvres d’Amiel, ces pages mélangent les langues (citations en latin, en allemand, en italien) et les types de textes : anecdotes, citations, poèmes, lettres et même notes de cours. Autant d’éléments qui stimulent la pensée et l’ego du diariste et le font réagir.